[Critique] I Am Not a Witch

[Critique] I Am Not a Witch

Une petite fille, accusée de sorcellerie, est envoyé dans un camp de sorcière par un fonctionnaire d'état ubuesque. Inespéré et pourtant si évident lors de sa découverte, « I Am Not a Witch » de Rungano Nyoni est un bijou d'inventivité et d'humour.

Imaginez une marmite remplie d'ingrédients divers et variés dont le bouillonnement révélerait une imagination débordante. I Am Not a Witch est le film qui en ressortirait. À savoir un film à la croisée de chemins qu’on pensait ne jamais pouvoir faire se rencontrer : celui de l’humour, du conte, de la tragédie, où sorcellerie, satire et drame inquiétant se mélangent. Réalisé par Rungano Nyoni après être passé par la Cinéfondation du festival de Cannes, ce petit film d’une heure et demie, présenté à la Quinzaine des réalisateurs cette année, est une bouffée d’air frais et l’un des tout dernier sursaut de l’année 2017. D’une évidence inattendue, cette histoire de sorcellerie dans une région imaginaire d’Afrique de l’Est résonne juste.

Fraîcheur d'un imaginaire inédit

Shula (Maggie Mulubwa), une jeune vagabonde, est accusée de sorcellerie par les habitants d’un petit village reculé au fin fond d'un royaume africain. Shula est arrêtée et, après un rituel loufoque effectué par un sorcier clownesque pour savoir si, oui ou non, cette petite fille est une véritable sorcière, le verdict est sans appel : Shula va devoir rejoindre un camp de sorcière et devenir, au passage, propriété de l’état, sous peine d'être transformée en chèvre. Là voilà à travailler de force dans ce camp, entourée de femmes âgées, toutes enchaînées par des rubans qui les empêche de « s’envoler ». Au fil du temps, la fillette révèle ses « pouvoirs » à Mr. Banda (Henry B.J. Phiri), un homme du gouvernement. Celui-ci va alors la prendre sous son aile et la forcer à révéler des supposés coupables lors de procès grandement improvisés, tout en tentant d’exploiter ses prétendus pouvoirs magiques.

Au départ, I Am Not a Witch avait pourtant tout d’une dénonciation virulente de la condition des femmes en Afrique et, surtout, d’une mise en lumière de l’existence réelle de ces camps de sorcières (qui sont, au fond, de simple prétextes à faire travailler des femmes dont personne ne veut dans les champs ou dans les mines). Si cette dimension est bien évidemment présente et irrigue tout le propos du film, Rungano Nyoni nous surprend totalement en faisant dériver un film accablant vers une conte satirique, allégorique et absurde. Terrain de jeux de personnages excentriques aux discours loufoques, I Am Not a Witch apporte une légèreté bienvenue à un imaginaire qui se révèle d’une cruauté terrible pour ces femmes littéralement attachées aux croyances folkloriques qui les asservissent.

Mr. Banda et la « sorcellerie pataphysique »

Le duo principal qui reflète d'ailleurs parfaitement les deux penchants d’un film qui jongle avec aisance et justesse entre les tons, tantôt d'une bouffonnerie ubuesque, tantôt d’une gravité beaucoup plus sérieuse. Cette confrontation permanente entre l’enfant Shula, et l’adulte Mr. Banda, qui représente le gouvernement, est un duel à la fois terrible et pathétique où un théâtre de l’absurde, mené tambour battant par Banda (qui n’aurait par ailleurs rien à envier à un Idi Amin Dada, qui, de son côté, n’avait rien d’une fiction) domine et exploite les femmes marginalisées. Ce dernier, aidé par l'interprétation comique brillante de Henry Phiri, équilibre le silence quasi permanent de Shula en déblatérant ses inepties à longueur de temps.

Nous voilà ainsi en train de rire jaune face à un film où mysticisme et aberrations se mélangent dans un décor sublimé par la réalisation aboutie d'un jeune talent. À travers des scènes d’anthologie (on pense à celle où Mr Banda présente sa petite « sorcière » Shula sur un plateau de télévision afin de faire la promotion des « œufs Shula », qui vous « donneront la pêche dès le matin ! »), Rungano Nyoni enrichit sans cesse sa brillante vision de départ (celle de ces dîtes sorcières attachées par un ruban blanc) et ne se limite pas à cette simple idée introductive.

Les instants iconique sont nombreux et saisissants. Du déguisement improbable de Shula au bêlement des chèvres en hors-champ, en passant par la course de Shula dans les bois rattrapée par les hommes de mains de Banda : I Am Not a Witch marque les esprits par sa singularité stupéfiante. Autant dire qu'on attend déjà le prochain film de Rungano Nyoni avec curiosité, enthousiasme et impatience.

 

I Am Not a Witch de Rungano Nyoni, en salle le 27 décembre 2017. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Venu tout droit de Zambie pour secouer cette fin d'année, « I Am Not a Witch », premier film de Rungano Nyioni, est une bombe à la fois singulière, originale, cinglante et très rafraîchissante.

BILAN TRÈS POSITIF

Note spectateur : Sois le premier