L’Insulte de Ziad Doueiri : face aux fractures de la société libanaise

L’Insulte de Ziad Doueiri : face aux fractures de la société libanaise

L’année 2018 commence fort avec la sortie, à la fin du mois de janvier, de "L’Insulte", le brillant et courageux quatrième long-métrage du réalisateur franco-américano-libanais Ziad Doueiri.

Après West Beyrouth, L’Attentat et la série remarquée Baron Noir, Ziad Doueiri signe avec L’Insulte un film remarquable et bouleversant, qui saisit à bras-le-corps des tabous profondément enracinés dans la société libanaise d’aujourd’hui.

Le film prend place de nos jours, à Beyrouth, et se construit autour d’un fait divers en apparence anodin : une gouttière mal installée provoque une violente dispute qui amènera Toni, jeune garagiste chrétien libanais, à poursuivre en justice Yasser, contremaître réfugié palestinien. Le procès qui va s’en suivre, long, douloureux, médiatisé dans le pays entier, va libérer des sentiments profondément réprimés et enclencher, non seulement chez les deux protagonistes, mais, semble-t-il, dans le pays entier dont le tribunal se fait l’écho, un profond travail de mémoire, brisant peu à peu des tabous et découvrant des plaies jamais cicatrisées de l’histoire mouvementée du Liban.

Briser le silence

Ce tout petit pays comptant une population de 4,4 millions d’habitants est aujourd’hui le pays au monde qui concentre le plus grand nombre de déplacés de guerre : une personne sur quatre est réfugiée au Liban, en provenance de Syrie, d’Irak ou de Palestine majoritairement. L’arrivée des Palestiniens commence en 1948, avec la première guerre israélo-palestinienne, et elle continue encore aujourd’hui, avec l’arrivée de Palestiniens jusqu’alors réfugiés en Syrie et contraints de quitter à nouveau le pays depuis le début de la guerre civile.

Cet afflux de déplacés de guerre, difficilement géré par le Liban qui maintient beaucoup de ses ressortissants palestiniens dans une situation précaire (plus de 60 ans après leur arrivée, deux tiers des réfugiés palestiniens vivent encore dans les camps aujourd'hui et font face à des difficultés économiques et sociales considérables)  provoque des troubles considérables au sein de la société libanaise depuis 1948. Les partis nationalistes montent en puissance et attisent la haine entre Libanais et Palestiniens. C’est dans ce contexte que s’inscrit le nouveau film de Ziad Doueiri.

L’Insulte de Ziad Doueiri : face aux fractures de la société libanaise

Alors que le film lui-même constitue une transgression des tabous, il met en scène la difficulté à rompre le silence à laquelle les protagonistes se heurtent : non seulement Yasser, qui refuse obstinément de rapporter au juge « l’insulte » humiliante et d’une violence inouïe que lui a adressée Toni, mais aussi Toni, qui ne peut se résoudre à révéler son histoire familiale traumatisante à son avocat.

Un propos subtil et nuancé

La force du film est d’aborder avec une grande subtilité des enjeux extrêmement complexes : questionnant les limites du dicible et de l’indicible, le film souligne la difficulté à tracer une frontière entre les coupables et les victimes, aborde la question de la mémoire, à l’échelle de la famille comme à celle de l’Histoire.

Au fil du procès, L'Insulte retrace des moments-clés de l'histoire du Liban en s'efforçant d'en offrir une image nuancée, montrant les implications des différents acteurs, notamment l'épisode du "septembre noir" de 1970 et la meurtrière guerre civile de 1975-1976 durant lesquels les massacres de la ville chrétienne de Damour et du camp palestinien de Tel al-Zaatar ont été perpétrés.

L’Insulte de Ziad Doueiri : face aux fractures de la société libanaise

A ce titre, le jeu d’acteur est absolument remarquable, non seulement celui de Kamel El Basha (Yasser) qui lui a valu à Venise le prix de la meilleure interprétation masculine, mais aussi celui de Adel Karam (Toni) et de Rita Hayek (la femme de Toni), dont c’est le premier film. Ils savent rendre avec talent les contradictions qui les habitent, entre colère et culpabilité, entre peur et repentir.

Un rythme captivant

Passionnant par son propos, L'Insulte est aussi un film captivant. Non seulement le scénario est parfaitement construit, mais le réalisateur fait le choix de lui donner le rythme d'un thriller palpitant. S'il fallait trouver un défaut à ce film, c'est peut-être d'ailleurs là qu'il se nicherait : dans sa tendance à exagérer les effets de dramatisation et dans ses plans "à l'américaine" qui contredisent un peu la grande subtilité du reste du film ; peut-être un souvenir des débuts de Ziad Doueiri aux côtés de Quentin Tarantino ? Quoiqu'il en soit, L'Insulte est un intense moment de cinéma et d'humanité qui comptera sans aucun doute parmi les meilleurs films de l'année.

 

L'Insulte de Ziad Doueiri, en salle le 31 janvier 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Dans "L'Insulte", Ziad Doueiri interroge avec finesse et intelligence les blessures encore vives qui fracturent la société libanaise contemporaine. Un très beau film qui nous en apprend beaucoup sur le rôle politique que peut jouer le cinéma aujourd'hui.

Premier de la classe

Note spectateur : 4.55 (1 notes)