Whitney : un portrait de l’Amérique au travers de Whitney Houston

Whitney : un portrait de l’Amérique au travers de Whitney Houston

CRITIQUE FILM - Avec « Whitney », Kevin Macdonald retrace le parcours d’une artiste hors norme tout en mettant en avant des questions raciales et d’image aux Etats-Unis auxquelles Whitney Houston ne pouvait échapper.

L’année dernière, le festival de Deauville accueillait Clive Davis, immense producteur de musique américain, à l’occasion du documentaire Clive Davis : The Soundtrack Of Our Lives qui lui était consacré. La dernière partie de ce dernier, la plus émouvante, mettais en avant Whitney Houston, découverte par Davis qui la considéra longtemps comme sa fille. À la sortie du film, une seule envie : celle d’en découvrir davantage sur la chanteuse. Un an après donc, notre vœu est exaucé puisque sort en salle (et en avant-première à Deauville) Whitney, documentaire consacré à la diva, réalisé par Kevin Macdonald.

Bien que d'autres se soient déjà intéressés à elle avant (Whitney: Can I Be Me de Nick Broomfield), le réalisateur apporte quelque chose d'autre. Il aurait été facile de faire se succéder les intervenants où chacun irait de ses louanges pour Whitney Houston. Au contraire, Kevin Macdonald ne compte pas livrer un portrait tel un fan de la chanteuse. Justement, le réalisateur expliquait ne pas être forcément intéressé par le projet à l’origine, ne trouvant pas un grand intérêt sur ce qui n’était, en apparence pour lui, qu’une chanteuse pop. Mais après s’être laissé convaincre, Macdonald découvrait un potentiel fort autour d’elle, et notamment dans ce qu’elle a pu représenter pour l’Amérique et sa communauté afro-américaine en tant que star noire dans le monde de la pop blanche.

Un symbole malmené

Logiquement, le documentaire débute par l’enfance de Whitney Houston, dans les années 1960 à Newark dans le New Jersey. Période sanglante dans l’histoire de l’Amérique (et de Newark en 1967) qui a vu des émeutes éclater et un conflit s’engager entre la communauté noire et le pouvoir local. Encore aujourd’hui, il semble y avoir une scission entre blancs et noirs aux Etats-Unis, et entre les différentes communautés. Ainsi, Whitney Houston, dont la couleur de peau n’est pas assez noire pour les jeunes de son quartier, avec son prénom tout droit sorti d’une sitcom de blancs et son éducation au-dessus de la moyenne, s’est constamment retrouvée à la frontière des deux. Et ce, en dépit d’une formation au gospel et à la soul, héritée de sa mère (ancienne choriste célèbre), qui lui aura conféré cette voix unique, probablement inégalée.

Critique Whitney : un portrait de l’Amérique au travers de Whitney Houston

Dès ses premiers tubes pop, tel que I wanna dance with somebody, par-dessus lequel Kevin Macdonald fait apparaître toute une imagerie publicitaire des années 1980 à base de coca cola et autres, Whitney Houston apparaît comme un produit de consommation pour le public blanc. Une entrée en matière nécessaire pour atteindre la première place du Billboard américains et se faire sa place chez les plus riches. Ce conflit qui l’oppose alors régulièrement au public noir durant sa carrière - appelée Whitney “Whitey” Houston (la blanche Whitney Houston) par le révérend Al Sharpton, ou huée lors des Soul Train Awards en 1989 -, est probablement ce qu’il y a de plus passionnant au sein du film.

Un environnement nocif

Sans doute, le film aurait pu s’en contenter. Bénéficiant déjà d’un sujet extrêmement riche et complexe. Mais il aurait été mal vu de ne pas aborder également la vie personnelle de la chanteuse et l’environnement toxique l’entourant. On pourrait évoquer sa relation difficile avec son mari Bobby Brown, son père bien content d’avoir, avec sa fille, une poule aux œufs d’or, ou simplement son entourage qui préférait fermer les yeux sur son addiction à la drogue de crainte de perdre ses avantages. Et on veut bien croire que Kevin Macdonald ne pensait pas aller au-delà. C’était sans compter sur la bombe qui lui sera confessée au détour d’une interview. Celle de l’agression sexuelle de Whitney Houston par une de ses tantes dans sa jeunesse, et qui aurait sans doute été à l’origine de ses maux. C’est du moins l’avis de son frère, qui justifie par là son addiction, ou d’une amie proche, à propos des doutes sur sa sexualité, de son désir de ne pas divorcer de Bobby Brown ou de ses difficultés à être mère.

Le documentaire bascule alors. Et derrière le pathétisme de cette pauvre femme loin de sa gloire d’antan, le réalisateur tire une puissante empathie. L’émotion est alors au rendez-vous de cette véritable tragédie. Celle d’une immense star, symbole d’une génération noire dans l’Amérique blanche (à l’image de son baiser avec Kevin Costner dans The Bodyguard à la manière des classiques du cinéma hollywoodien), dont le succès profita avant tout aux autres. Whitney parvient tout de même à lui rendre un vibrant hommage, à elle, à sa personnalité et à sa voix unique qui faisait chavirer dès les premières notes.

 

Whitney de Kevin Macdonald, en salle le 5 septembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

"Whitney" ne se contente pas de simplement retracer le parcours de Whitney Houston, il traite de l'Amérique et du rapport complexe avec une communauté noire que l'artiste représentait tout étant destinée malgré elle à un public blanc. Un documentaire passionnant et tragique.

Note spectateur : Sois le premier