Un Peuple et son roi de Pierre Schoeller : la Révolution sur papier

Un Peuple et son roi de Pierre Schoeller : la Révolution sur papier

CRITIQUE FILM - Après « Versailles » et « L’exercice de l’état », Pierre Schoeller continue de sonder l’exercice et l’identité politique française avec « Un Peuple et son roi », qui retrace les événements de la Révolution Française, de la prise de la Bastille en 1789 à la décapitation de Louis XVI, Place de la Concorde, en 1793.

14 juillet 1789, la Bastille est prise d’assaut. Les parisiens, affamés, habitant non loin de là assistent ébahis à sa destruction. Les premières pierres tombent et voici qu’apparaît la lumière du soleil. Celle, un peu paradoxale, qui définit à la fois le siècle de philosophie qui vient de s’écouler (celui des Lumières), et l’incarnation suprême de la monarchie française (le Roi Soleil, dont le règne a marqué le XVIIe siècle). Cette lumière, le peuple la cherche, le roi pense l’incarner. Que dit Un Peuple et son roi de ce rapport d’attraction-répulsion entre le peuple français et sa royauté, encore d’actualité aujourd’hui à l’heure où parler d’une cinquième République en forme de monarchie présidentielle paraît tout sauf délirant ? Pierre Schoeller (réalisateur de Versailles et L’exercice de l’état) l’illustre assez frontalement, en montrant – et en montant – en parallèle le soulèvement d'une population revendicatrice et la détresse d'un souverain au bord du précipice.

En équilibre

Ce choix de l’alternance programmatique, du « en même temps », est à l’image du film lui-même. En équilibre permanent, là où toutes ses extrémités sont situées à équidistance de son centre narratif, où le mélodrame éthéré se juxtapose aux métaphores plastiques, où le film d’auteur s’entremêle avec la grande fresque populaire, Un Peuple et son roi est un film polymorphe mais éminemment terne. Sur le papier, l’alignement des astres contenus dans Un Peuple et son roi semblait pourtant le présenter comme la conclusion grandiose et définitive de la Révolution Française à l’écran. Mais l’équation, a priori complète, du « cinéaste en vogue taillé sur mesure pour le projet » armé d'un « casting cinq étoiles, aussi populaire que reconnu » au sein d’une « narration éclatée entre les deux pôles primordiaux de ce qui a composé, de 1789 à 1793, la genèse de notre République actuelle (un peuple et, donc, son roi, Louis XVI) », ne résulte qu’à un film bloqué à l’état d’ébauche.

Au-delà de son luxueux packaging, Un Peuple et son roi, dépassé par sa complétude historique comme narrative, finit par provoquer un sentiment d’amertume permanente, où le grandiose paraît tout proche mais ne semble jamais vraiment pouvoir être atteint. La volonté de Schoeller de vouloir couvrir, de manière synthétique et schématique (le film est chapitré), les soubresauts de l’intime comme les grands actes politiques issus de la Révolution Française place le film dans un entre-deux peu propice aux frissons, personnels comme historiques, qu’appelaient un tel sujet. Les personnages, à l’image de leurs interprètes (de Ulliel à Haenel en passant par Garrel, Lafitte et Gourmet – exception faite de Lavant, profitant du rôle de Marat pour se hisser au dessus de la masse) traversent le film comme des symboles sur pattes, des objets matérialisant une idée (l’espoir du peuple qui cherche la lumière, ainsi que toutes les variations de ce même espoir lors de chaque séquence du film) à défaut d'incarner pleinement ces corps portés, rongés, déformés ou mutilés par le mouvement de la Révolution, que Schoeller aura tenté de figurer quelques reprises (le personnage de L'Oncle qui perd ses deux yeux dans la bataille ou Basile qui, voûté au début du film, se tiendra de plus en plus droit).

Révolution extérieure

C’est cette idée de l’enrobage systématique, où la Révolution se matérialise à l’extérieur des corps (la lumière, les artifices, les cris et les hurlements) et non à l’intérieur d’eux même (les corps sont vidés de toute substance, ne sont que les avatars de la Révolution plutôt que la Révolution en elle-même) qui figure le réel problème d’Un peuple et son roi. Reste qu’il subsiste à ce capharnaüm historique, aussi contrefait qu’en parfait équilibre, quelques brèves éclaircies, où le plaisir de la mise en scène tente de gagner un peu de terrain sur le film-somme pétrifié par les enjeux primordiaux qu'il tente, non sans tressaillir, d'illustrer. Quelques belles idées interviendront lors des scènes à l’Assemblée, là où la direction de notre regard fait partie intégrante de la plaidoirie politique, ou lorsque le roi de France finit par être décapité d’un bref coup de guillotine face aux mines, mi-satisfaites, mi-déconfites, de son ex-peuple, qui aurait aimé savourer l’aboutissement de son soulèvement un tout petit peu plus longtemps.

 

Un Peuple et son roi de Pierre Schoeller sortira le 26 septembre en salle. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

En choisissant de traiter la Révolution Française par le prisme d'un symbolisme équilibré, Pierre Schoeller livre, avec « Un Peuple et son roi », une fresque cadenassée par le poids de l'Histoire, fidèlement polymorphe à son sujet mais réduisant ses figures, historiques et anonymes, à de simples avatars théoriques.

Note spectateur : Sois le premier