Sauver ou périr : rencontre avec Pierre Niney et Anaïs Demoustier

Franck est Sapeur-Pompier de Paris. Il sauve des gens. Il vit dans la caserne avec sa femme qui accouche de jumelles. Il est heureux. Lors d’une intervention sur un incendie, il se sacrifie pour sauver ses hommes. À son réveil dans un centre de traitement des Grands Brûlés, il comprend que son visage a fondu dans les flammes. Il va devoir réapprendre à vivre, et accepter d’être sauvé à son tour. A l’occasion de la sortie en salles le 28 novembre 2018 de "Sauver ou périr", nous avons rencontré Pierre Niney et Anaïs Demoustier. L'interview vidéo est à découvrir ci-dessus.

Sauver ou périr offre au spectateur une magnifique histoire d’amour, grâce à laquelle le héros se reconstruit après son traumatisme et la traversée de douloureuses épreuves.– voir notre critique.

 

Entretien avec Frédéric Tellier et ses acteurs

 

Nous avons rencontré Frédéric Tellier à Bordeaux, et il a longuement évoqué son inspiration à partir du réel et son souci d’authenticité et de vérité nécessaires à l’immersion totale du spectateur dans son cinéma. Touchés par les débats avec le public pendant les avant-premières, Pierre Niney et Chloé Stefani ont parlé de la façon dont ils avaient abordé leurs personnages (le pompier Franck et l’infirmière Valérie), s’inspirant de leurs rencontres avec ces corps de métiers, sur lesquels ils portent désormais un regard encore plus reconnaissant. Une rencontre passionnante pour parler de ce film qui, s’il ne suscite pas de vocations professionnelles, suscitera au moins, comme le dit le réalisateur, la vocation d’être heureux !

Frédéric, dans vos deux films (L'affaire SK1 et Sauver ou périr), vous semblez avoir une grande appétence pour ceux qui servent et sont utiles?

Frédéric Tellier : C’est vrai que j’aime beaucoup la police et les pompiers, je ne sais pas si c’est un hasard. J’ai plutôt l’impression que j’ai une attirance pour les victimes et, je viens de le découvrir en faisant mon auto psychanalyse, pour la tranche d’âge des 20-40 ans. La trentaine soumise à l’intensité de la vie me fascine beaucoup.

Rêviez-vous d’être pompier quand vous étiez petit ?

Pierre Niney : Non, pas spécialement. Je suis passé par d’autres rêves, comme pilote d’avion ou joueur de basket, ça ne s’est pas réalisé même si je me rattrape dans les films (NDLR: il est pilote dans La promesse de l'aube). En découvrant cet univers finalement assez méconnu et très codifié, je comprends tout à fait pourquoi c’est un fantasme. Je me suis rendu compte qu’il y a surtout un très bel objet cinématographique et Frédéric explore très bien la thématique des pompiers dans la première partie du film – car le film n’est pas un film seulement sur les pompiers-

Frédéric Tellier : Moi non plus, je rêvais d’être soit metteur en scène, soit astronaute.

Le film plonge donc le héros dans la réalité du quotidien des pompiers et des aides-soignants, pensez-vous que votre regard sur eux a évolué depuis le film ?

Pierre Niney : Oui complètement, j’étais très ému par l’histoire et bouleversé par la préparation que m’a demandé ce film, et par la rencontre avec le public. Au-delà des pompiers ou des infirmières, j’ai l’impression que c’est une émotion commune et universelle, car les gens se reconnaissent. Tout le monde a eu des épreuves à traverser dans sa vie et ce film est un hymne aux gens qui retrouvent, en eux-mêmes et en les autres, la force de se relever. J’ai eu la chance de partir avec des pompiers en intervention et j’ai vu des choses qui m’ont marqué à vie. Mon regard a aussi changé sur les gens potentiellement accidentés, en fauteuil roulant. Dès que je vois quelqu’un qui a un souci, j’imagine le lot de problèmes et d’épreuves qu’il a dû surmonter et ça me fait relativiser beaucoup de choses.

Chloé Stéfani : Evidemment, ce sont des professions précieuses et nécessaires qu’il faut encourager, et soutenir autant qu’elles nous défendent dès qu’on a besoin d’elles. On s’aperçoit qu’on est tous concernés, car on a tous un jour eu besoin d’une béquille. On a essayé de transmettre de l’honnêteté, d’être dans le juste, au plus près de ce que les infirmières vivent au quotidien. J’essayais de faire en sorte que mon personnage soit au plus près de la force de vie que les infirmières essaient de ramener tous les jours dans le quotidien des patients. Avec Pierre, on s’attendait à des sujets très graves autour de ces drames de vie, et quand on est arrivé à Saint-Louis où on a eu la chance de pouvoir travailler pour préparer le film, on a rencontré des gens lumineux, souriants et très avenants.

Frédéric, vous vous inspirez toujours du réel : est-ce parce que c’est plus simple de partir de l’existant ou parce que la réalité est plus forte que la fiction ?

Frédéric Tellier : Oui, j’ai peut-être plus de facilité à partir et à m’ancrer de la réalité et de romancer dessus après. Ou l’inverse en l’occurrence, parce que là, j’avais envie de raconter cette histoire d’amour et de m’interroger sur la quête d’identité, et j’ai cherché une histoire qui pouvait coller. J’aime aller traquer la vérité dedans. Les acteurs ont passé du temps avec les vrais conseillers, les vrais accidentés de la vie- et pas forcément des grands brûlés-. Ça me dérange toujours un peu dans les films quand un personnage joue du violon et qu’on voit que l’acteur ne sait pas en jouer.

Vous avez donc veillé à ne pas tomber dans la caricature ?

Pierre Niney : Frédéric voulait travailler avec le plus d’authenticité possible, toujours au plus près du réel et des scènes d’action, comme celle de l’incendie. Donc la préparation a été très intense. Je me suis beaucoup entraîné, et j’ai passé beaucoup de temps avec les pompiers et les infirmières, je n’avais jamais fait ça autant pour un film. Et puis on a répété, parlé de ce propos. Tout ce qu’on a abordé, on l’a fait à 200% de la façon la plus honnête possible.

N’y a-t-il d’ailleurs pas un risque, quand on évoque ce type de métiers au cœur de l’action, de basculer dans le documentaire ? Avez-vous veillé à ne pas y tomber ?

Frédéric Tellier : Oui et non, car ce que permet le cinéma, contrairement au documentaire, c’est d’aller placer une caméra à l’intérieur du personnage et de chercher son âme. Dans le documentaire, on n’irait pas autant romancer une histoire d’amour, dans le romantisme ni dans cette beauté de la vie qu’on entrevoit. Naïvement, je n’ai pas eu ce stress ni cette crainte, de même que quand je vois Apocalypse Now, je ne vois pas un documentaire sur la guerre mais un film sur la guerre. D’autant que j’ai construit une belle lumière et des artifices de cinéma pour que ce soit un film cinématographique. La limite était très claire pour moi : je voulais que les gestes soient précis, qu’on y croit vraiment. J’aime faire cette proposition que le spectateur soit dans une intensité telle qu’il est un personnage parmi les personnages. J’aime bien le cinéma immersif, qui fait rêver. Comme spectateur, j’aime bien les films intenses qui se finissent bien. J’essaye de faire ça en me disant bêtement que d’autres gens doivent aimer ça aussi.

Pierre, le fait d’être devenu vous-même papa au moment du tournage, vous a-t-il nourri pour interpréter votre personnage de Franck, papa de jumelles ?

Pierre Niney : Oui, certainement. Le filtre entre nous et le personnage est toujours assez poreux. Ce qui est intéressant, c’est qu’on met de notre propre histoire, consciemment ou inconsciemment, dans notre personnage. Et paradoxalement, même si Franck est masqué pendant une grande partie du film, il y a beaucoup de choses de moi dans le film. C’est ce que je trouve bouleversant dans ce film et dans la collaboration avec Frédéric, c’est qu’on a mis beaucoup de nous-mêmes.

Frédéric, comment avez-vous travaillé avec votre co-scénariste habituel David Oelhoffen, qui, au passage, ne fait pas appel à vous sur ses propres films (Frères Ennemis) ?

Frédéric Tellier : Non, en effet, David Oelhoffen ne fait pas appel à moi ! Julien Madon, le producteur de mes deux films, m’avait présenté David avec lequel je suis devenu ami. Quand on écrivait L’affaire SK1 ensemble, je lui avais déjà parlé de ce projet, et il m’avait fait promettre, si le film se faisait, qu’on l’écrirait ensemble. Le hasard de la vie et des alignements de planètes, parce qu’il avait cette disponibilité, ont rendu cela possible. Mais il est metteur en scène et a de moins en moins de temps, et je ne sais pas encore si j’écrirai le prochain film avec lui. La dramaturgie d’un texte n’a l’air de rien quand on voit un film fini, mais ce n’est pas pour rien qu’une phase d’écriture dure deux-trois ans. Avec David, on a le même âge, les mêmes tracas, une sensibilité commune au moins sur ces deux sujets. On parle beaucoup de la façon dont on a envie d’articuler l’histoire et vers quoi les personnages devraient aller.

C'est important pour vous d'avoir un sparring partner dans l'écriture du scénario?

Frédéric Tellier : J’ai écrit pour d’autres gens avant, j’ai été script doctor sur quelques films, et lorsque l’on vient me consulter pour des scénarios, je réponds que je ne travaille pas tout seul. J’ai besoin d’avoir quelqu’un en face, un retour, une discussion… C’est un exercice comme la psychanalyse, ça marche à deux. Pour moi, ceux qui écrivent seuls sont des génies ou alors ils sont persuadés d’avoir la science infuse, ce qui n’est malheureusement pas mon cas.

Les acteurs font-ils des propositions sur le tournage et les écoutez-vous ?

Frédéric Tellier : Je travaille avec le doute, donc le scénario fini est loin d’être un produit sacré. J’attends de mes acteurs, qui sont mes plus grands complices au moment de la fabrication du film, qu’ils me fassent toutes les propositions bienvenues. Je suis très ouvert, mais pour autant je peux ne pas être d’accord parce que ce n’est pas une bonne idée ou que ça ne me parle pas de le filmer comme ça. Moi j’aime bien m’effacer, je ne suis pas un metteur en scène tyrannique. Quand j’arrive sur le plateau, on met d’abord en place avec les acteurs et ensuite la technique s’installe par rapport à ce que les acteurs ont proposé.

Pierre Niney : On a discuté de plein de choses et ce qui est beau c’est qu’à la fin on ne sait même plus quelles répliques on a amené ou ce qui a émergé d’une discussion. S’approprier un rôle, c’est le meilleur service qu’on puisse rendre à un metteur en scène et à un film. Si on attend qu’il nous donne toutes les clés, ce sera moins incarné. Moi en tout cas, j’ai besoin de le faire mien. J’ai fait des choix de mon côté, en travaillant physiquement sur la démarche et la voix dans la deuxième partie du film. Notamment dans une scène on parle du visage, j’avais vu une interview qui m’avait inspirée et une réplique que j’ai amenée et qu’on a intégrée dans le dialogue.

Chloé Stefani : Frédéric protège beaucoup les acteurs sur le plateau, c’est très agréable et précieux. La mise en place est vraiment un instant sacré. Ce moment où on cherche l’essence de la séquence, où on redéfinit les enjeux ensemble, c’est très fort. J’ai eu la chance de travailler sur L’affaire SK1, et à chaque fois il reproduit ça.

Il y a de nombreuses scènes sans paroles où l’émotion transperce les visages, c’est un travail particulier que de savoir jouer les silences ?

Chloé Stefani : Dans la séquence où Nathalie écoute Franck, on s’est laissé porter par la force du texte tellement bien dit par Pierre. Je crois que j’étais vraiment Nathalie à l’écoute du patient Franck.

Pierre Niney : C’est aussi de la mise en scène et une grande qualité que le réalisateur s’attarde sur quelqu’un qui ne parle pas et lui donne la place au bon moment. Ce n’est pas si courant dans les films, et moi je crois beaucoup que l’image est toujours plus forte que la parole. Il y a une forme de véracité encore plus forte que le texte, parce qu’on sait que c’est quelqu’un qui n’a pas de réplique. Cette écoute commune peut être magnifique et je trouve que Frédéric met ça très bien en valeur.

Les réalisateurs n’aiment pas trop que l’on dise que leurs films délivrent un message, mais en montrant les œuvres du peintre James Ensor, pensez-vous que la beauté d’une œuvre peut alléger des souffrances humaines ?

Frédéric Tellier : Pour les autres réalisateurs, je ne sais pas mais pour ma part, je n’aime pas trop révéler mon message parce que je m’aperçois que chacun interprète des choses que je n’ai pas forcément voulu y mettre au départ, à part le message universel de l’amour et de l’hymne à la vie. J’ai découvert le peintre belge James Ensor dans un musée par hasard en écrivant le film – j’étais parti sur autre chose puisqu’au départ ça devait être les masques des Daft Punk. Sa toile « Masques raillant la mort » m’a hypnotisé par sa beauté, ses couleurs chatoyantes. Elle fait un petit peu peur au début, puis quand on y regarde bien, il peint la mort au milieu de fêtes et immanquablement les invités bien vivants rient de la mort, ce qui est rare. D’habitude, on a plutôt des tableaux plus funèbres où la mort gagne. Là elle perd à chaque fois, les gens sont joyeux. Ce message là m’a beaucoup plu, mais je pense qu’en voyant le film il est indescriptible parce qu’on est dans l’émotion et dans l’allant du récit. Mais si on s’intéresse un peu à ce peintre, il y a ce personnage qui sort étrangement du tableau et qui vient visiter Franck à plusieurs reprises. Tout cela est très référencé dans ma tête et je m’aperçois que je me suis fait mon propre cinéma mais c’est bien que chacun y voit ce qu’il a envie de voir.

Pensez-vous que votre film peut aider des gens à se reconstruire ?

Frédéric Tellier : Dans la reconstruction du personnage et dans le grand bonheur de vivre il y a l’amour, le centre du film, et il y a la culture, l’art, la beauté pure. Un beau tableau, une belle statue, une architecture, pour moi ça fait partie des grands bonheurs de la vie. Je ne peux pas m’empêcher de penser à Gilles Deleuze qui disait « Le cinéma est une rencontre ». On ne fait du cinéma que pour rencontrer des gens qui ressemblent au sujet qu’on propose ou qui nous ressemble. Ce moment est absolument magnifique. Rien n’est banal dans ce moment de rencontre avec le public, une salle émue de 600 places. Je pense que c’est le plus beau truc qu’un film qui a cette ambition d’hymne à la vie, puisse toucher les gens et apaiser un peu les maux de notre monde et de nos vies, décentrer les gens de leurs propres problèmes et montrer quelque chose de joyeux et d’essentiel.

Frédéric, vous êtes aussi co-compositeur de la musique, ça ne fait pas beaucoup sur un même film ?

Frédéric Tellier : Je trouve aussi et d’ailleurs je vais arrêter, je l’ai fait deux fois et c’est trop de boulot. Je connais la musique, j’avais un groupe de rock, Crépuscule. C’était un aboutissement de quelque chose, mais c’est aussi beaucoup d’émotion pour un metteur en scène de ne jamais décrocher du film. J’ai un peu manqué d’oxygène.

Pierre, votre César du Meilleur Acteur obtenu en 2015 pour Yves Saint-Laurent vous a-t-il légitimé ou rassuré à propos des doutes qu’un acteur peut avoir ?

Pierre Niney : Non parce que j’ai toujours des doutes, mais je compose avec et je les aime bien. Le César ça fait toujours plaisir, mais c’est un à-côté du travail, même s’il s’agit de 5000 votants de l’Académie des César qui font ce métier. Ce n’est pas pour les récompenses qu’on fait ce métier et qu’on veut raconter des histoires. On espère toujours que le public sera touché. Autour des avant-premières du film il y a une vraie rencontre émotionnelle très forte avec le public. C’est la première fois que je fais des débats, il y a des moments magiques d’échange avec des gens qui malgré des parcours très différents se reconnaissent complètement dans le film.

 

Sauver ou périr de Frédéric Tellier, en salle le 28 novembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

 

Propos recueillis par Sylvie-Noëlle et Marc-Aurèle à Paris et Bordeaux pour CinéSéries en novembre 2018.