Entretien avec John Carroll Lynch : "Harry Dean est un modèle d’inspiration"

Entretien avec John Carroll Lynch : "Harry Dean est un modèle d’inspiration"

Rencontre avec John Carroll Lynch, comédien doté d'une impressionnante filmographie qui passe pour la première fois à la réalisation avec "Lucky". Dans ce drame touchant et très réussi, Harry Dean Stanton trouve le dernier grand rôle de sa vie.

Avec Lucky, John Carroll Lynch signe son premier long-métrage. Pourtant, s'il en est à sa première expérience en tant que réalisateur, sa filmographie en tant que comédien est déjà impressionnante. L'acteur et désormais cinéaste a en effet été révélé en 1996 dans le grand Fargo des frères Coen. Par la suite, il a notamment tourné avec David Fincher (Zodiac), Clint Eastwood (Gran Torino) ou encore Martin Scorsese (Shutter Island), pour ne citer qu'eux.

Cette année, vous avez également pu le voir dans American Horror StoryLe Fondateur et Jackie. Mais son projet le plus ambitieux et le plus abouti de 2017 est sans conteste Lucky, un drame sur un vieux cow-boy solitaire qui réalise qu'il va mourir. Avec ce film extrêmement touchant (en salle le 13 décembre 2017), Harry Dean Stanton a trouvé le dernier grand rôle de sa vie (voir notre critique). Entouré de ses amis David Lynch et Ed Begley Jr., le comédien brille sous l'oeil des caméras de John Carroll Lynch. En plus d'être un acteur extrêmement talentueux, ce dernier vient tout juste de prouver qu'il était un réalisateur tout aussi doué, avec l'un des plus beaux drames de cette fin d'année.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir Lucky comme première expérience en tant que réalisateur ?

J’ai adoré le message du scénario, sur le fait de vivre sa vie tout en ayant conscience de notre propre mortalité. Ce message était exprimé d’une manière très belle dans le scénario et Harry Dean (Stanton, ndlr) était parfait pour parler de ce sujet. Par ailleurs, d’un point de vue logistique, le scénario m’a été offert et j’ai été attiré. Je me suis rendu compte que je pouvais le faire. Travailler avec Harry a renforcé mon désir, parce qu’il est un véritable modèle d’inspiration en tant qu’acteur.

 

Qu’avez-vous aimé à propos de son personnage ?

J’adore la juxtaposition entre sa vitalité physique et sa fragilité, qui est également perceptible dans ses émotions. J’ai aimé le fait que le scénario aborde la notion de mortalité de manière singulière, loin de l’approche standard que l’on voit habituellement au cinéma. Le drame que traverse Lucky est amené de manière unique.

 

Il ressort du film une véritable énergie et une certaine communion entre les personnages. L’ambiance était-elle semblable lors du tournage ?

Dans tous les films réussis dans lesquels j’ai joué, il y avait une atmosphère de collaboration créative. Cela a également été le cas sur celui-ci. Le climat artistique était bon durant le tournage. Le sentiment de soutien était lui aussi totalement perceptible. Tout le monde était réuni dans le but commun de travailler avec Harry Dean. C’était mon cas. C’était celui de David Lynch, et de toutes les personnes ayant travaillé sur le film.

 

Entretien avec John Carroll Lynch : "Harry Dean est un modèle d’inspiration"

Lucky a d’ailleurs été écrit pour Harry Dean Stanton. Comment a-t-il abordé le rôle, étant donné qu’il y a énormément de similitudes entre son personnage et sa vie ?

Harry Dean et moi avions toujours la même conversation lorsque nous faisions le film. Nous nous posions la question suivante : à quoi correspond cette scène dans l’histoire de Lucky ? Je comprends maintenant que nous faisions cela car il mettait toute sa confiance entre mes mains pour que je crée un personnage inspiré directement de sa vie.

Avec Harry et l'équipe, nous parlions régulièrement de trois mouvements fondamentaux du scénario, qui devaient être compris par le public. Il y a la vie de Lucky avant sa chute, sa vie après la chute et le passage où l’histoire de la petite fille des Philippines lui est racontée. Ces trois mouvements, qui revenaient régulièrement dans nos discussions, devaient être clairs pour les spectateurs.

 

À quel moment vous êtes-vous dit que vous aviez envie de passer à la réalisation et que vous pouviez le faire ?

J’ai commencé à vouloir passer à la réalisation il y a une quinzaine d’années. Il y a des histoires que je veux raconter, mais dans lesquels je n’ai pas ma place en tant qu’acteur. C’est l’opportunité qu’offre la réalisation, de ne pas être "dans le film". L’autre chance lorsqu'on réalise est qu'on échange avec les scénaristes, le directeur de la photographie et le reste de l'équipe qui participe au film. Le fait d’avoir de longues conversations avec ces personnes durant plusieurs semaines est vraiment passionnant. C’est quelque chose que les acteurs n’ont pas la chance de faire, parce qu’ils arrivent alors que le processus est déjà lancé et repartent une fois que leur travail est terminé.

 

Cette première expérience en tant que réalisateur a-t-elle eu un impact sur votre métier d’acteur ?

Un énorme impact. J’espère que cela fait de moi un meilleur collaborateur. J’espère que c’est le cas. Je pense que c’est important de comprendre où se placer dans le processus. C’est parfois difficile de se rendre compte ce qu’endure l’autre si l’on n’est pas à sa place, que ce soit pour un réalisateur ou un acteur.

 

Vous avez tourné avec de nombreux réalisateurs prestigieux. L’un d’entre eux vous a-t-il particulièrement inspiré pour Lucky ?

Pendant la pré-production, nous avons beaucoup parlé des films de Jim Jarmusch, Peter Bogdanovich, David Lynch et John Ford. L’un de mes collaborateurs m’a dit qu’il y avait beaucoup de Clint Eastwood dans le film et je lui ai dit : « Quoi ?! » (Rires) Je n’y avais pas pensé de cette façon. En travaillant avec lui, j’ai clairement vu la confiance qu’il plaçait en ses acteurs et son histoire. C’était fun d’être sur le tournage (de Gran Torino, ndlr) et de le regarder travailler avec une équipe qu’il connaît depuis cinquante ans, voire soixante pour certains. S’il peut faire sa scène en une prise, il la fait en une prise. Il considère que s’il n’a pas besoin de plus, une seule prise suffit. Et je m’en suis rendu compte sur le tournage de Lucky.

 

Entretien avec John Carroll Lynch : "Harry Dean est un modèle d’inspiration"

Vous n’aviez jamais tourné avec David Lynch. À quoi cela ressemble de le diriger ?

Je n’avais jamais eu l’occasion de travailler avec lui en tant qu’acteur, et je me rends compte à travers son œuvre que ce serait un véritable challenge. Je sais qu’il aime les performances déconstruites mais ce n’est pas ce qu’il a fait sur le tournage. Il est venu extrêmement bien préparé, avec des choix définis et n’a pas hésité à les revoir lorsque je lui ai demandé de changer des éléments. Il s’ajustait en permanence, ce qui est la marque de n’importe quel bon acteur. Il était très discipliné, et je pense que c’est dû à sa longue expérience en tant que réalisateur et le fait qu’il respecte suffisamment les cinéastes pour faire ce qu’ils lui demandent. J’ai énormément apprécié le fait qu’il respecte mon travail en tant que réalisateur alors que je suis nouveau dans cette profession.

 

Avez-vous d’autres projets de réalisation pour la suite ?

Grâce au succès de Lucky, je vais pouvoir passer de nouveau à la réalisation. Je veux faire des films sur les gens, avec des messages qui me tiennent à cœur, mais le chemin de la réalisation prend du temps. Vous devez subvertir le processus pour arriver à d'autres choses, comme l’ont fait Jordan Peele et Greta Gerwig avant de réaliser Get Out et Ladybird. Clint Eastwood n’a pas commencé la réalisation avec Impitoyable. Il a d’abord réalisé Sudden Impact et La Sanction. Puis, il a fait Bronco Billy, Un monde parfait… Il y a été lentement pour en arriver jusqu’à Lettres d’Iwo Jima.

Sinon il y a deux ou trois choses sur lesquelles j’aimerais travailler. J’ai deux scripts sur lesquels nous avons travaillé avec un collaborateur. Je dirais qu’ils ont des problèmes de production, surtout maintenant que je comprends un peu mieux ce qui peut bloquer. Je comprends qu’il va falloir que je continue de travailler dessus, car ce sont de plus gros projets. J’en ai deux autres, l’un que je vais écrire avec mon partenaire d’écriture et l’autre qu’un ami va scénariser. Ils pourraient se faire plus rapidement.

Propos recueillis par Kevin Romanet.