Les Soprano : retour sur un monument télévisuel

Une des plus grandes séries de tous les temps

Les Soprano : retour sur un monument télévisuel

Diffusée entre 1999 et 2007, "Les Soprano" est l'une des séries majeures d'HBO, et un tournant pour la chaîne américaine. Retour sur une immense fresque qui a bouleversé le paysage télévisuel.

Les Soprano : c’est quoi ?

Alors qu’il a l’idée d’un film sur un mafieux dépressif décidant de suivre une thérapie, le scénariste David Chase se voit conseiller par son manager Lloyd Braun de repenser le concept pour un format télévisuel. Le 10 janvier 1999, le pilote de la série Les Soprano est diffusé sur HBO. S’ensuivent 85 épisodes jusqu’au 10 juin 2007, date à laquelle la conclusion laisse des millions de téléspectateurs américains bouche bée.

Entre-temps, Tony Soprano traverse de nombreux états, surmonte de nombreuses crises et enjambe de nombreux cadavres. Au fil des six saisons de ce monument culturel à cheval entre deux siècles, le caïd - avec lequel le regretté James Gandolfini trouve le rôle de sa vie - essaie de parvenir à un équilibre entre sa vie personnelle et l’organisation criminelle qu’il dirige. Le protagoniste est à la tête d’une famille de mafieux du New Jersey, État dans lequel David Chase a grandi, observant minutieusement ses activités criminelles à l’instar de Martin Scorsese à New York.

Les Soprano
Les Soprano © HBO

Entre deux crises de panique et deux séances avec sa psychanalyste Jennifer Melfi (Lorraine Bracco), Tony Soprano tente de préserver son mariage avec Carmela (Edie Falco) malgré ses innombrables infidélités, mais aussi de ne pas rater l’éducation de sa fille Meadow (Jamie-Lynn Sigler) et de son fils Anthony (Robert Iler). En parallèle, avec l’aide de son consigliere Silvio (Steven Van Zandt), ainsi que celle de ses bras droits Paulie (Tony Sirico) et Christopher (Michael Imperioli), il veille à éviter la surveillance du FBI, à anticiper les trahisons et à se débarrasser discrètement des balances. Le tout en empochant, continuellement, un maximum d’argent.

Prendre le temps

Difficile de devenir l’une des pièces maîtresses d’un genre régulièrement transcendé au cinéma, notamment au cours des trois décennies qui précèdent la diffusion de la première saison des Soprano. Néanmoins, la série le renouvelle et s'impose comme une étape charnière au sein d'un paysage télévisuel sur le point de faire peau neuve. Volontairement, elle s’écarte de la flamboyance de la trilogie du Parrain, dont les personnages s’amusent à réciter des scènes qu’ils connaissent sur le bout des doigts. Si elle sait se montrer nerveuse, elle n’a pas non plus la rutilance de longs-métrages comme Les Affranchis ou Casino.

À l’inverse de Tony Soprano lorsqu’il mange, le programme prend le temps. Il prend le temps d’habituer le spectateur à des lieux qui deviennent incontournables, comme la boucherie Satriale, l’imposante demeure du protagoniste ou le club de strip-tease Bada Bing. Il prend surtout le temps de développer ses personnages. Les principaux ne cessent de gagner en épaisseur tout au long des six saisons. D’autres se révèlent en quelques épisodes. Tous participent à un ensemble cohérent et servent l’ampleur dramatique de cette fresque.

La plupart des morts sont par exemple amenées de façon brutale et anti-spectaculaire, donnant parfois l’impression d’être insignifiantes. Mais les fantômes continuent par la suite de planer sur le récit, quand ils n’apparaissent pas dans les visions des meurtriers incapables de tourner complètement le dos à la culpabilité. Ces disparitions deviennent donc un véritable crève-cœur pour le spectateur.

Les Soprano
Les Soprano © HBO

Une grande famille

La richesse d’écriture des Soprano passe aussi par ses nuances et ses ambivalences. Malgré ses actes monstrueux, il est quasiment impossible de ne pas s’attacher profondément à Tony Soprano, tout en redoutant ses accès de cruauté. Il en va de même pour Silvio, Paulie ainsi que Christopher, magnifique figure tragique constamment rattrapée par ses démons, tour à tour pathétique et charismatique.

Les Soprano est évidemment une histoire de gangsters. Pour autant, chaque spectateur peut se retrouver dans cette grande famille dysfonctionnelle. Difficulté à tuer le père, incapacité à comprendre ses enfants, sentiment de nostalgie à l’égard d’une époque inconnue, peur d’un avenir résolument sombre et incertain… Les thématiques et sentiments universels contribuent à en faire une œuvre colossale, réussissant à ne jamais tomber dans la psychanalyse ou le symbolisme bas de plafond.

Outre l’incroyable casting principal, la grande famille des Soprano est également composée de seconds rôles prestigieux. Robert Patrick, Joe Pantoliano et Julianna Margulies viennent ainsi l’agrandir. Certains, à l’image de Steve Buscemi ou du cinéaste Peter Bogdanovich, profitent même de l’occasion pour réaliser un ou plusieurs épisodes.

Une histoire de l’Amérique

Allant quotidiennement chercher son journal en bas de l’allée de sa propriété avant d’ouvrir mécaniquement la porte d’un frigo constamment rempli, Tony Soprano représente une certaine idée de l’opulence, et la fin d’une époque.

Deux ans après la diffusion du premier épisode, les attentats du 11 septembre 2001 plongent les Etats-Unis dans l’effroi. Ces événements et leurs conséquences marquent durablement la série et impactent son évolution. Les Soprano se sert de l’actualité pour nourrir ses personnages et leurs névroses. Contrairement à sa mère et son père, le jeune Anthony s’interroge par exemple sur les problématiques environnementales grandissantes, tiraillé entre l’aisance et la nécessité de changer. Meadow confronte quant à elle ses parents à leur racisme et leur homophobie.

Dans la sixième et dernière saison, la mort de la mafia italo-américaine, dont les revenus sont en partie plombés par la gentrification, se fait clairement ressentir. Tony et ses partenaires ne sont plus que les dinosaures d’un temps révolu. Ils tentent désespérément de se raccrocher à un présent qui les a déjà rayés de la carte. La vieillesse prend le pas et il est désormais évident que le XXIe siècle ne sera pas le leur.

En se penchant sur deux générations de gangsters et sur la communauté italo-américaine vivant en autarcie dans le New Jersey, David Chase parvient à mettre en lumière les bouleversements d’un pays. Près de quinze ans après la fin de la série, c’est dans le passé que Les Soprano a trouvé refuge avec le préquel Many Saints of Newark (retrouvez ici et nos interviews de Ray Liotta et d'Alessandro Nivola). Un sursis pour ces dinosaures, quoi qu’il en soit immortels.