David Lowery (A Ghost Story) : "je manque beaucoup de confiance en moi"

David Lowery (A Ghost Story) : "je manque beaucoup de confiance en moi"

David Lowery est encore un jeune cinéaste mais il peut déjà se vanter d'avoir réalisé une des oeuvres majeures de l'Histoire du cinéma indépendant américain : "A Ghost Story" sorti en 2017. De passage à Paris pour un hommage qui lui était consacré à l'occasion du Champs-Elysées Film Festival 2019, il nous a accordé une interview passionnante.

David Lowery s'est fait en quelques années et quelques films très remarqués un nom dans l'industrie du cinéma. Né en 1980, il se fait connaître dès ses 19 ans avec son premier court-métrage, Lullaby. C'est en 2009 qu'il effectue son entrée dans le grand monde avec son premier long-métrage : St Nick, présenté et primé dans plusieurs festivals. Il évoque pour nous son rapport au temps, sa méthode de travail et ses inspirations.

Dans The Old Man and the Gun, le personnage de Robert Redford dit que quand il doute de lui, il se demande si le petit garçon de sept ans qu'il était serait fier de lui. Est-ce qu'il t'arrive de ressentir la même chose ?

Oui ça m’arrive. Mais dans la scène, Sissy Spacek dit que l’enfant n’a aucune idée de ce que l’adulte a traversé, et c’est vrai. Cette scène c’est un peu la conversation que je peux avoir avec moi-même. Je me sens redevable vis à vis de l’enfant que j’étais, celui qui voulait être réalisateur. J’ai envie qu’il soit fier de moi, mais d’un autre côté j’essaie de ne pas me focaliser là dessus pour définir mon succès.

As-tu confiance en toi ?

Non pas vraiment. J’ai assez confiance en moi pour persévérer dans ce métier mais je suis presque handicapé par mes doutes au quotidien.

Est-ce que le fait que tes pairs, comme Robert Redford par exemple sur The Old Man and the Gun, te fassent confiance, augmente ton estime de toi ?

Oui, un peu. Je suis flatté et je me dis que quelque chose dans mon travail doit fonctionner pour que des gens comme Robert Redford me fassent confiance. En même temps je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils vont forcément se rendre compte au beau milieu du film qu’ils ont fait une erreur et qu’ils ont été bernés (rires). Parfois je me dis que ça ne peut pas durer comme ça, que quelqu’un va forcément se rendre compte à un moment donné que je fais n’importe quoi. Mais j’essaie de mettre ce sentiment de côté le plus possible quand je travaille, en me focalisant sur le fait que mon travail a pour le moment plutôt bien fonctionné. Mais c’est un équilibre difficile à trouver.

Tes films questionnent beaucoup le temps qui passe. D’où provient cette obsession ?

J’aimerais avoir une réponse claire à cette question, mais je ne sais pas vraiment d’où me vient cette inspiration. Je pense qu’elle prend racine dans l’enfance, mais je ne parviens pas à la situer parfaitement. Le travail de montage est implicitement lié à la question de la temporalité et c’est grisant, quand on monte un film, de pouvoir littéralement manipuler le temps et de voir comment il conditionne les émotions. Ça influe ensuite beaucoup sur la façon d’appréhender le temps dans la réalité. Mais je suis aussi passionné par la physique quantique et, évidemment, le fait de vieillir me fait aussi beaucoup réfléchir. Donc c’est un mélange de toutes ces choses !

Je suis en train d’écrire un nouveau script actuellement et le temps est encore une fois au centre du récit. Je me rends compte que j’y reviens toujours.

Quelles sont les choses qui t’inspirent dans la vie ?

En premier lieu je dirais les films, et l’Art en général. Si je lis un bon livre, ou si je vois un bon film, je ressens cette étincelle qui me pousse à créer quelque chose d’aussi exaltant. Savoir que les artistes que j’admire sont en train de préparer de nouvelles choses m’excitent aussi beaucoup. Par exemple, le fait de savoir que James Gray prépare un nouveau film me donne envie de me lancer dans un nouveau film aussi.

Ensuite je peux aussi être inspiré par des choses plus terre à terre, comme la bienveillance entre les êtres humains, c’est quelque chose qui me touche beaucoup et qui me donne envie de créer et de participer à ma manière au bien-être des autres. Même si je ne suis pas au premier rang, je me dis qu’en tant que réalisateur, mes films peuvent peut-être inspirer les autres à agir pour le bien global. J’aimerais beaucoup que ça soit le cas.

Trouves-tu que la vie aujourd’hui, qui est très connectée, est plus difficile qu’avant ?

Je trouve que l’existence en général est plus difficile qu’elle ne l’a jamais été, et ce en dépit de tous les progrès technologiques. Mais il faut aussi se rappeler que beaucoup de ces choses sont avant tout des choix. Les réseaux sociaux par exemple. Nous ne sommes pas obligés de nous en servir. Je n’ai pas installé Instagram sur mon smartphone par exemple, et je ne suis plus sur Twitter ou Facebook depuis des années car je me suis rendu compte que ça rendait ma vie plus difficile et je me suis dit « mais pourquoi m’infliger ça ? ». Mais c’est très addictif car ça nourrit nos propres obsessions.

Est-ce que tu peux parler de ton prochain film, Green Knight ?

C’est une adaptation d’un poème du 14e siècle qui s’intitule Sir Gawain and the Green Knight . Je l’ai découvert quand j’étais à l’université. Ça parle d’un des chevaliers de la Table Ronde du roi Arthur qui se lance dans une quête. C’est un poème très connu qui a déjà été adapté en film une ou deux fois. D’autres réalisateurs ont essayé de le faire, même Terrence Malick était attaché au projet. Heureusement pour moi, il ne l’a pas fait, je me suis quand même renseigné avant de me lancer dedans (rires) et je lui ai demandé s’il était toujours sur le projet, mais il m’a dit non et m’a donné son feu vert.

On l’a tourné au printemps, en Irlande avec Alicia Vikander et Dev Patel. Je suis en plein montage actuellement. Et comme à chaque fois que je fais un film, les premiers mois de post-production sont un désastre, j’ai l’impression que rien ne va. Mais je sais par expérience qu’il en sortira peut-être quelque chose de pas trop mal (rires). Là je suis dans la période où j’essaie de mettre mes idées au clair. C’est pour ça que je ne suis à Paris que pour deux jours, car je veux repartir dans ma salle de montage.

Vois-tu le montage comme une partie intégrante du processus d’écriture d’un film ?

Le montage est la partie que je préfère. Quand j’écris le script d’un film, je pense déjà à comment la scène pourrait être montée. Quand je tourne un film, je pense aussi au montage. Et quand je peux enfin passer au montage, j’ai l’impression d’écrire à nouveau le script. Sauf que cette fois-ci, j’écris avec des images, et non plus avec des mots. Il y a des choses qui fonctionnent comme prévues, d’autres non, et d’autres idées qui viennent en cours de route. Le montage est une aventure car on peut explorer plein de pistes. C’est aussi très reposant car on est seul face à son ordinateur. Après un tournage éreintant, c’est très plaisant de pouvoir se retrouver seul dans une pièce.

Penses-tu que la solitude soit l’un des moteurs de la créativité ?

Certaines personnes peuvent trouver excitant le travail en équipe mais ça n’est pas mon cas. Je suis quelqu’un d’extrêmement solitaire, j’aime la solitude. Être sur un plateau entouré d’autres personnes pendant le tournage d’un film est un exercice difficile pour moi. C’est très angoissant, et je ne suis jamais au meilleur de moi-même. J’ai juste l’impression d’essayer de survivre. Mais dès que je retrouve ma pièce de montage, j’ai l’impression de pouvoir à nouveau faire de grandes choses, du moins je l’espère !

Tu étais rattaché à la version live action de Peter Pan pour Disney. C’est toujours d’actualité ?

Le script est terminé, et tout le monde chez Disney l’aime donc on attend juste qu’une date soit fixée. S’ils m’appellent demain en me disant « on tourne la semaine prochaine » je serais très heureux car j’aime beaucoup le script. On a beaucoup travaillé sur l’histoire avec mon co-scénariste, pendant trois ans. Jusqu’à arriver à quelque chose de bien. On attend juste le feu vert du studio maintenant pour tourner.

C’est une histoire qui a été maintes fois racontée au cinéma. Comment as-tu fait pour en faire quelque chose de personnel ?

C’est une des raisons pour lesquelles l’écriture a mis autant de temps. On voulait rendre hommage au matériau d’origine que tout le monde apprécie sans avoir l’impression de faire un remake de plus, qui n’a pas de raison d’être. Si je fais un film Peter Pan j’ai envie de faire un film que j’aurais envie d’aller voir au cinéma, même si j’ai déjà vu beaucoup de films Peter Pan. Mais quand on travaille avec Disney il faut aussi faire en sorte qu’ils soient contents, et que le script colle à l’esprit de la marque qui traverse les âges. Il faut trouver le bon équilibre entre ses aspirations personnelles et ce qu’attend Disney. Mais je crois qu’on est arrivé à quelque chose de bien.