Cannes 2018 : compte-rendu de la première semaine

Cannes 2018 : compte-rendu de la première semaine

Le festival de Cannes se poursuit jusqu’au 19 mai. Retour sur la première semaine et nos premiers pronostics pour la Palme d'or.

Cette année, le festival de Cannes avait fait grandement parler de lui et était attaqué avant même son commencement. Pour les journalistes, ce fut avant tout la question des projections presse qui importait, puisque Thierry Frémaux (délégué général du festival) avait annoncé vouloir revenir à de vraies premières mondiales pour les films en compétition, avant que la presse ne puisse en parler. Beaucoup d’incompréhension sur le sujet, puisque dans les faits l’organisation s’est avérée plus que convaincante. Avec une multiplication des projections, dont deux en même temps (où presque) que la séance officielle au théâtre Lumière, la possibilité pour les accrédités presse de découvrir les films a été favorisée. On fait donc un premier point sur les films présentés en compétition officielle jusque-là.

Une montée en puissance de la compétition

C’est sur Everybody Knows que le festival de Cannes s’ouvrait cette année. Le nouveau film du réalisateur iranien Asghar Farhadi, le premier en espagnol pour le réalisateur, et avec le duo attendu Penelope Cruz/Javier Bardem, n’a malheureusement pas convaincu, loin de là. Avec son scénario creux, marqué par des rebondissements mal amenés, et mis en scène de la plus plate des manières, Everybody Knows ressemble davantage à un feuilleton de l’été. Grosse déception tant le sujet – une histoire de kidnapping sous fond de drame familial – entrait en corrélation avec les précédentes œuvres de Farhadi. – voir notre critique ★☆☆☆☆ –

Heureusement, la mauvaise surprise Everybody Knows a vite été oubliée puisque dès le lendemain on pouvait découvrir l’excellent L’été (Leto) de Kirill Serebrennikov. Le cinéaste, qui n’a pu venir présenter son film car assigné à résidence en Russie, livre une fresque musicale entraînante dans laquelle la jeunesse soviétique des années 1980 s’enivre de rock ‘n’ roll et d’amour libéré. Plus qu’une histoire de musique, L’été est avant tout une histoire d’amour touchante dans laquelle un couple s’éloigne délicatement. L’originalité venant alors de cette figure de héros mélancolique qu’incarne Mike (charismatique Roman Bilyk), restant d’une passivité étonnante tandis qu’il laisse s’éloigner sa compagne, la délicieuse Irina Starshenbaum. Un vrai coup de cœur !voir notre critique ★★★★☆ –

Entre temps, la compétition offrait une sorte de parenthèse avec Yommedine, petit film égyptien sur le parcours d’un lépreux qui bascule vers le road-movie décalé. Une œuvre gentille, qui aurait certainement eu mieux sa place dans une autre section du festival. – voir notre critique ★★☆☆☆ –

D’une thématique de l’amour…

Les jours suivants, l’amour a continué d’être une thématique prédominante dans le festival. D’abord avec Plaire, aimer et courir vite de Chrisophe Honoré. Se déroulant dans les années 1990, le film lève le voile sur la solitude des victimes du sida, et leur volonté de vivre toujours intensément. Une œuvre qui a fait l’unanimité et ne surprendrait pas en étant au palmarès. – voir notre critique ★★★★☆ –

Ensuite, c’est avec Cold War qui offrait un excellent parallèle à L’été, avant que Les Éternels ne lui réponde. En effet, on notera la pertinence dans la programmation des films en compétition qui montre une véritable continuité. Cold War débutant comme L’été en musique et dans un noir et blanc sublime, suit un couple en pleine Guerre froide. Celui-ci va alors enchaîner les séparations et retrouvailles durant près de dix ans, entre la Pologne, Paris et Berlin. Une belle histoire d’amour tragique portée par le sens du cadre du réalisateur Pawel Pawlikowski, qui aurait pu bénéficier d’un traitement moins resserré. Le cinéaste usant de nombreuses ellipses empêchant de s’impliquer entièrement. - voir notre critique ★★★☆☆ -

Tout l’inverse donc des Éternels, nouvelle réalisation de Jia Zhangke. Cette fois, il est question de la pègre chinoise du début des années 2000 à aujourd’hui. Durant 2h30 (contre 1h24 pour Cold War), le cinéaste suit Qiao, amoureuse de Bin, petit chef de gang. Pour lui, elle ira cinq ans en prison. À sa sortie, Bin refusera de la rejoindre, jusqu’à dix ans plus tard, après que Qiao a réussit à refaire sa vie. Construit en trois actes, Les Éternels dégage une puissance émotionnelle impressionnante qui nécessite cette durée. Assurément notre Palme d’or au moment d’écrire ces lignes ! – voir notre critique ★★★★★ –

… À une thématique politique

La fin de la première semaine de Cannes, vendredi 11 et samedi 12, mis enfin de côté l’amour pour des discours plus engagés. Que ce soit dans l’expérimental Le Livre d’image, nouveau film événement de Jean-Luc Godard qui n’a pas fait le déplacement mais a répondu aux questions des journalistes en facetime depuis un téléphone portable en conférence de presse. Une scène hallucinante, à l’image de son dernier film. Inaccessible au possible, Le Livre d’image est un assemblage d’images d’archives, de séquences de films ou télévisée avec la voix de Godard par-dessus. Dans cette déconstruction du cinéma, le cinéaste mythique se lance dans un étrange discours philosophico-politique autour des pays du Golf. Le message du mal à passer entre la complexité des idées et la configuration volontairement inaudible de son œuvre. On en attendait pas moins.

Dans un tout autre style, Les filles du soleil emmène en plein conflit kurde. Malheureusement, le nouveau film d’Eva Husson n’est pas à la hauteur des attentes. Entre une morale douteuse et une surenchère agaçante qui veut forcer à l’émotion, le film se rate totalement. Le "Sinvergüenzas ! Inmorales ! Pobres kurdas" (Escrocs ! Sans moral ! Pauvre Kurdes !) lâché par un journaliste espagnol à la fin de la projection ponctuant comme il se doit le malaise provoqué.

Heureusement Jafar Panahi vint refermer la journée du samedi (présenté à la presse le dimanche matin) d’une bien meilleure manière avec Trois visages. Toujours interdit de quitter le territoire, le cinéaste iranien n’a lui non plus pas pu venir présenter son film. Fort dommage, tant son œuvre s’avère intelligente dans sa réalisation (comme Taxi Téhéran, bien plus travaillée qu’elle ne pourrait y paraître), et dans sa manière de mettre en lumière les problèmes de sa société. Finement, il met en avant trois visages de femmes trois « actrices » confrontées à leur manière au patriarcat. En optant pour un réalisme minimaliste, Panahi est bien plus percutant. Et si on le voit difficilement être en courses pour une Palme d’or, une autre récompense serait la bienvenue. – voir notre critique ★★★★☆ -

Le 71 festival de Cannes se déroule du 7 au 19 mai 2018.

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