Quelques semaines seulement après la sortie – et le carton en France de La vengeance dans la peau, nous avions passé un petit coup de téléphone à Dan Bradley, cascadeur de légende qui a travaillé avec les plus grands. Cascadeur, coordinateur de cascades, réalisateur seconde équipe, Dan Bradley a plusieurs casquettes et a notamment bossé sur La memoire dans la peau, Casino ou encore Independence Day… Il travaille actuellement en tant que réalisateur seconde équipe sur Quantum of solace après avoir posé sa patte sur Indiana Jones et le Royaume du Crane de Cristal. Et oui, rien que ça ! Nous avons donc voulu en savoir un peu plus sur lui, son métier, Matt Damon et ses projets. Histoire de savoir pourquoi cet homme a la cascade dans la peau…
Vous êtes à la fois superviseur de cascades et réalisateur seconde équipe… Comment se fait-il que vous combiniez si souvent les deux ?
C’est par préférence personnelle. J’ai débuté en tant qu’étudiant en cinéma pour ensuite devenir un cascadeur. J’étais très attiré par le monde des cascades car c’est un métier fantastique, toujours amusant et excitant, mais j’adore aussi la réalisation… Pour combiner les deux, sur les films à gros budget, je suis obligé d’engager un coordinateur de cascades sur les lieux de tournage, parce qu’une fois que je commence la réalisation, je ne peux pas m’éloigner à plus d’un mètre cinquante de la caméra ! Le travail du coordinateur des cascades lui se passe essentiellement hors plateau et hors caméra, plutôt lors des répétitions. Et j’aime bien faire les deux métiers à la fois car la réalisation en seconde équipe se déroule très rapidement, avec très peu de temps de préparation, et sans avoir véritablement d’influence sur la conception de la séquence. Dans tous les films auxquels j’ai participé depuis Les rois du désert, j’ai composé toutes les scènes d’action : le travail du superviseur de cascades dure ainsi tout le long de la production.
Comment s’est déroulé la collaboration avec Paul Greengrass sur les deux derniers Jason Bourne ?
Très bien ! Vous voulez un exemple ? La séquence de poursuite en voiture dans Moscou était déjà finie avant même que l’équipe principale n’ait commencé à tourner ! En fait, Paul était à Berlin pour la pré-production, et en attendant je lui ai écrit 15 pages de script pour une course-poursuite dans les rues de Moscou. Je lui ai envoyé mon projet, il a trouvé ça génial, il m’a donc envoyé en Russie pour tourner la course des voitures ! Je lui ai envoyé les rushs à Berlin, et Paul les a montés avec son équipe… Et c’était ça, la base de notre relation, et nous avons continué à travailler ainsi. Nous nous retrouvions tous les trois avec Paul et Matt Damon, je leur soumettais mes idées, ils en discutaient, apportaient leurs propres idées et nous peaufinions ainsi toutes les séquences. Paul me faisait assez confiance pour me laisser faire toutes ces scènes.
Vous n’avez jamais été en désaccord, sur une cascade impossible par exemple ?
Non, jamais, on n’a jamais eu aucune discorde. Et de toute façon, je ne crois pas qu’il y ait de cascade impossible…
Beaucoup considèrent que les cascades dans la trilogie de Jason Bourne sont très innovantes. Qu’est-ce que vous en pensez ?
D’abord il faut que je vous remette dans le contexte. Je travaillais sur Spider-man 2 et 12 heures après l’avoir bouclé, j’étais à Moscou pour le tournage de La Mort dans la peau. Donc j’avais eu ma dose de CGI (Computer-generated imagery – Images de synthèse), j’avais fait de la super production hollywoodienne. Je voulais revenir vers le naturel, et je me disais que pour faire vivre l’expérience de Jason Bourne, il fallait revenir vers de l’action plus réelle et personnelle, plus viscérale, plus excitante. Alors, en analysant le film à la manière d’un étudiant en cinéma, les cascades sont moins impressionnantes, mais techniquement, elles sont beaucoup plus cohérentes et beaucoup plus nombreuses. On a créé des situations spectaculaires et non plus des cascades spectaculaires. Et cela demande beaucoup d’efforts, car ce n’est pas une cascade instantanée mais 11 minutes de cascades d’affilée. On ressent ainsi beaucoup plus les émotions de Bourne, dans son élan pour s’en sortir. Et c’est ça qui nous fait apprécier autant ces séquences.
Il paraît que vous n’aviez pas le droit de dépasser 35 miles /h (55km/h) lors du tournage à New York. Est-ce que c’est vrai ?
C’est bien vrai… Les autorités de la ville de New York m’ont dit que si jamais l’un de mes cascadeurs dépassait les 35 miles par heure, on viendrait l’arrêter avec des menottes pour le mettre en prison ! Enfin, en même temps, pour moi la sécurité est toujours ce qu’il y a de plus important. J’ai fait de nombreuses immenses cascades, mais toujours dans des conditions de sûreté respectées. Jamais aucun spectateur ou piéton dans les rues n’a été blessé. Mais il reste que New York est un véritable challenge pour faire de telles cascades et les New Yorkais sont très difficiles à arrêter. En particulier les coursiers chinois ! (…) J’avais fait fabriquer des barrières spéciales pour empêcher qui que ce soit de passer, mais on a quand même attrapé un livreur chinois en train d’essayer de se frayer un chemin à travers le plateau. Pas facile !
Que pensez-vous de Matt Damon en tant que cascadeur ? Comment l’avez-vous préparé ?
En fait, Matt et moi discutions souvent, et je lui disais : "Matt, je pense que ça serait génial si tu sautais toi-même du pont". Et il me répondait : "Ouais, mais j’ai un peu le vertige". Je lui dis : "Ce que je peux te garantir, c’est ta sécurité, en revanche, je ne peux pas te garantir que tu n’auras pas peur". Et finalement il acceptait en disant : "Allez, j’ai quasiment pas de dialogue, il faut bien que je fasse quelque chose pour tout l’argent qu’on me donne" ! Matt a une véritable éthique de travail, il est acharné, vraiment honorable. Un mec génial, très talentueux. Il serait parfait en cascadeur ! Il est déjà fantastique en tant que star du cinéma, mais il serait parfait en cascadeur. C’est lui qui fait toutes ses scènes des combat. Chaque image de chaque scène de combat, c’est Matt Damon qui est à l’écran. Il est aussi un excellent conducteur. Il lui arrivait de venir en dehors du tournage, dès qu’il avait un peu de temps, pour s’amuser avec nos voitures. Je l’ai vu à fond sur un circuit dans une Mercedez en train de faire des 720° aussi bien qu’un cascadeur. C’est quelqu’un d’unique. Il est probablement la seule star avec qui je serais plus que partant pour refaire un film.
Avez-vous jamais vu un acteur refuser de faire une cascade à la dernière minute ? Juste pour savoir qui est une poule mouillée…
Ça m’est arrivé une fois. Et je ne compte pas retravailler avec cet acteur de ma vie ! Mais je ne peux pas dire qui… !! Non, je ne vous donnerai pas de noms !
Quelle est votre cascade préférée dans La vengeance dans la peau ?
Celle qui a été la plus dure à faire. En fait il y en a deux : la scène finale avec la collision des voitures, l’une étant poussé par l’autre sur une rampe, comme un skateboard. Je l’ai vraiment adorée, je la trouve fantastique. Sinon, j’ai beaucoup aimé la course à travers les toits, et quand Jason Bourne saute à travers une porte fenêtre, suivi par la caméra. Il y avait un cascadeur équipé d’une caméra qui a sauté juste derrière le premier cascadeur.
Ça doit être excitant de faire ce genre de chose…
Ah ça, vous savez, je fais le meilleur métier du monde !
Propos recueillis par téléphone par Lorraine Creaser (Paris, Novembre 2007)