Des toxicomanes tentent de s'en sortir par l'ascèse dans "La Prière" de Cédric Kahn, un film intense en salles mercredi, qui s'interroge sur l'expérience de la foi et a valu à son acteur principal le prix d'interprétation au dernier festival du film de Berlin.
N'étant ni croyant, ni pratiquant, je ne pouvais entrer dans ce film qu'en ayant l'impression que ce qu'il racontait allait au-delà,
a raconté le réalisateur Cédric Kahn lors d'un entretien à l'AFP.
Avec des films comme Des Hommes et des dieux (2010) de Xavier Beauvois, Les Innocentes (2015) d'Anne Fontaine et plus récemment L'Apparition de Xavier Giannoli, le cinéma français s'intéresse à nouveau à la question religieuse.
Avec comme nouveauté, de s'interroger sur "le rôle de la foi, qui est un chemin de recherche", estime Valérie de Marnhac, qui fait partie du jury oecuménique à Cannes.
La Prière n'échappe pas à ces questionnements.
Le film brosse le portrait de jeunes qui rejoignent une communauté en montagne, où ils soignent leurs addictions par la discipline, l'amitié et la prière. Un mode de vie qu'ils adoptent souvent pendant des années, avant de rejoindre le monde extérieur.
La drogue, c'est très loin de la religion mais en même temps très proche, il y a une recherche de transformation du réel, d'absolu, de transcendance. Mais on défie aussi la vie,
estime Cédric Kahn.
Son film suit les pas de Thomas, 22 ans, accro à l'héroïne (incarné par une découverte, Anthony Bajon, Ours d'argent du meilleur acteur à Berlin), de son premier jour dans cette communauté à son dernier. Du parcours de ce jeune, au départ récalcitrant, on ne saura presque rien. Mais les blessures de l'enfant en lui affleurent parfois sur son visage, mélange de candeur et de violence, comme dans une scène inoubliable face à l'actrice Hanna Schygulla, égérie de feu Rainer Werner Fassbinder.
C'est en découvrant les témoignages d'anciens drogués qui ont fait le choix de l'isolement et de la prière qu'est née l'idée du film, souligne Cédric Kahn, qui a travaillé avec un duo de scénaristes. Ces témoignages donnent d'ailleurs lieu à une scène de huit minutes où une série de personnages, hommes et femmes, reviennent sur leur parcours et évoquent leurs craintes face à l'avenir.
Psaumes, chants et miracle
La drogue, "ce n'est jamais la même histoire, et c'est toujours la même histoire", estime le réalisateur. Ce qui diffère (dans les témoignages, ndlr), c'est le rapport initial à la religion, dit-il. "Il y a des gens avec une éducation catholique, des athées, des gens d'autres confessions..."
Malgré cette base documentaire, le film se concentre sur la reconstruction d'un être et dégage une grande ferveur, en s'appuyant sur les rituels de cette communauté.
Pour se tourner vers la prière, ils ont été très loin dans la drogue. C'est seulement à cette condition qu'ils acceptent l'ascèse dans laquelle ils réapprennent la vie,
explique le réalisateur de L'Ennui et Vie sauvage, récemment vu à l'écran dans L'Economie du couple.
Pour faire ressentir la force de la prière, Cédric Kahn a misé sur de longues scènes de psaumes et de chants, exécutés par les comédiens. Un point sur lequel il ne voulait pas transiger. Il filme également une scène de miracle qu'il a voulu "acceptable pour un croyant comme pour un non-croyant".
Il avait "envie de montrer le groupe, il n'avait pas d'obsession autour de la religion", a raconté Damien Chapelle, l'un des acteurs du film, à Berlin. "On ressent quelque chose de très physique dans le film, c'est ce qui évite l'écueil d'un film très religieux", selon lui.
La Prière laisse enfin la place au doute, n'éludant rien des sentiments traversant ceux qui prient.
Il y en a qui trichent avec eux-mêmes, il y en a qui deviennent fervents ou qui se tournent définitivement vers la religion,
explique Cédric Kahn.