Le plus vieux cinéma du monde fait peau neuve à La Ciotat

Le plus vieux cinéma du monde fait peau neuve à La Ciotat

Les sièges poussiéreux ont laissé la place à de rutilants fauteuils de velours, les moulures ont retrouvé leur lustre rouge d'antan et la façade son apparence d'origine : le plus vieux cinéma du monde, à l'histoire indissociable des frères Lumière, rouvre ses portes mercredi à La Ciotat (Bouches-du-Rhône).

L'Eden-Théâtre surgit, ocre et décoré de mosaïques, derrière une grille, au fond d'une cour blanche, sur le front de mer de cette commune balnéaire située à une demi-heure de route de Marseille, où la famille Lumière aimait venir en villégiature à la fin du 19e siècle.

C'est là que, le 21 mars 1899, 250 spectateurs émerveillés découvrirent les premiers films de Louis et Auguste Lumière, moins de quatre ans après "la première projection publique de l'histoire du cinéma", dans la somptueuse demeure bâtie par leur père Antoine, industriel lyonnais, à destination de notables invités à "assister à quelques expériences de cinématographe".

Une date mythique qui fait de l'Eden la doyenne des salles, ses consoeurs ayant au fil du temps disparu. Si elle-même a échappé à ce sort funeste, c'est grâce à la détermination d'une poignée de Ciotadens refusant de voir mourir "une salle populaire, où la moitié de la ville a rencontré l'autre moitié", se plaît à raconter, l’œil rieur, Michel Cornille, président de l'association "Les lumières de l'Eden".

À la fois lieu de spectacle, qui vit les débuts sur scène de Fernandel ou d'Yves Montand, et cinéma de quartier, l'Eden voit dans les années 1980 les difficultés s'accumuler: "le gérant est assassiné par des malfrats qui veulent lui voler la recette", et le public se fait plus rare sur fond de déclin de la construction navale.

Parcours du combattant

Très vite, la petite salle n'a d'autre choix que de mettre la clé sous la porte, à l'exception d'une petite semaine par an pour accueillir le "festival du Berceau", consacré aux premiers films francophones. Jusqu'à sa fermeture définitive en 1995 pour des raisons de sécurité.

Commence alors un véritable "parcours du combattant" pour réhabiliter ce théâtre à l'italienne vieillissant, inscrit à l'inventaire des monuments historiques, relate le maire Patrick Boré, saluant le rôle "déclencheur" de Marseille Provence 2013 (MP 2013), capitale européenne de la culture.

À l'issue des travaux de rénovation, d'un montant total de six millions d'euros, la doyenne fait aujourd'hui figure de jeunette. Sa structure en bois qui menaçait de s'écrouler a été renforcée, au sol la moquette élimée a été remplacée par du parquet en chêne noir et à l'étage, des fauteuils d'époque restaurés attendent le visiteur.

"Dans ce joli lieu qui raconte une histoire", l'architecte marseillais André Stern a mis au point une scénographie retraçant le passage de la photographie à l'image animée, tandis qu'à l'extérieur, le bâtiment se transformera la nuit en locomotive - en hommage au film des frères Lumière "L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat", qui avait tant provoqué l'effroi dans le public -, avec sur la façade un show sur le septième art.

Atout touristique pour cette commune de 35.000 habitants, dont la population triple l'été, l'Eden "ne sera pas seulement un mausolée à l'histoire cinématographique", se félicite Jean-François Chougnet, président de MP 2013, mais une salle de cinéma à part entière qui, après le temps fort de l'ouverture, sera gérée par un exploitant privé.

Un exploitant qui en fera "sa danseuse, sa vitrine", selon M. Cornille, car "avec ses 166 places, elle sera sans doute difficile à faire vivre économiquement".

L'enjeu est donc d'"inclure ce lieu patrimonial dans un projet culturel plus large": outil pédagogique à destination des écoliers, programmation de films restaurés et accueil de festivals existants ou tout nouveaux comme les "Cris du monde", qui invite de jeunes réalisateurs à présenter des courts métrages sous forme de plan-séquence.

En somme, en faire un cinéma qui garde son "âme", résume le Ciotaden, insistant sur le côté "affectif" de cette réouverture. L'Eden, souffle-t-il, "fait consensus dans une ville déchirée" par la douloureuse disparition des chantiers navals, où "les cicatrices ont eu du mal à se refermer".

(8 Octobre 2013 - Relax News)