Sérénade à trois : mettre à mal la monogamie en Blu-ray

Pour la première fois en France, « Sérénade à trois » fait ses débuts en haute-définition ! Après une ressortie en salle en début d’année, le long-métrage est disponible en Blu-ray et DVD grâce à l’éditeur Elephants Films.

En 34 ans de carrière, Ernst Lubitsch n’a pas chômé. Avec pas moins de 73 crédits en tant que réalisateur entre 1914 et 1948, il est une personnalité incontournable du cinéma de cette époque ayant connue les deux Guerres mondiales. Sérénade à trois est un incontournable de sa filmographie. Adapté en 1933 à partir d’une pièce de théâtre britannique réputée présentée l’année précédente, il rassemble des stars telles que le par deux fois oscarisé Fredric March (Docteur Jekyll et Mr. Hyde, Les plus belles années de notre vie), Gary Cooper (Sergent York, Le train sifflera trois fois) qui en a remporté tout autant, ainsi que la nominée Miriam Hopkins (Becky Sharp). L’œuvre cinématographique fut malgré tout critiquée pour son scénario réécrit par un Américain, Ben Hecht (Les nuits de Chicago), avant d’être censuré un an après sa sortie suite à l’introduction du Code Hays.

Sérénade à trois : une comédie sophistiquée et avant-gardiste

Transporté dans un train parisien, le spectateur se retrouve dans un compartiment en compagnie des trois protagonistes principaux : le dramaturge aux pièces inconnues Thomas B. Chambers (March), son ami le peintre George Curtis (Cooper), et la charmante Gilda Farrell (Hopkins) qui travaille dans la publicité. Un entremêlement de jambes imprévu alors qu’elle leur fait face suffit à lier leur destin, et très vite leur relation dépasse la simple complicité. Dès cette introduction, il est aisé de qualifier la femme, de saisir sa personnalité. Taquine et joueuse, elle dissimule volontairement son visage en feignant de dormir afin de faire languir ses compagnons de voyages. Elle n’a pas sa langue dans sa poche, mais n’en est pas moins séductrice.

À grand renfort d’ellipses narratives, le réalisateur ne laisse aucun temps mort assombrir le tableau bien qu’il prenne malgré tout son temps dans le but de proposer des scènes fouillées. Alors que seulement une quinzaine de minutes se sont écoulées, tous décident d’emménager ensemble après que la demoiselle ait confié être en incapacité de déterminer pour qui son cœur bat le plus fort. Pour cause, chacun de ces deux artistes bohèmes possèdent leurs atouts et qualités, et se révèlent complémentaires à ses yeux. En outre, en choisir un au profit de l’autre menacerait l’amitié masculine. À cette colocation s’impose un principe clair et évoqué sans artifice : « pas de sexe ».

Les situations délicates s’enchaînent, et les changements de situations professionnelles brisent cette harmonie à trois. Lorsque l’un quitte le pays, Gilda n’a plus l’utilité de prendre une décision. Elle opte alors pour la monogamie en compagnie de George. Si cela fonctionne durant plusieurs mois, c’est sans compter sur le retour de Chambers qui ravive instantanément la flamme. Ne supportant plus cette situation de tension et de confusion, elle se marie à la quatrième roue du carrosse : Max Plunkett (Horton), le gérant d’une agence publicitaire. Saura-t-elle se contenter de cette situation ? Et qu’en est-il des deux copains ?

Lors d’une discussion avec le dernier personnage mentionné, Chambers déclare que « la délicatesse est la peau de banane sous la semelle de la vérité. » C’est une philosophie qu’Ernst Lubitsch garde à l’esprit lors de Sérénade à trois. Bien que la sexualité soit uniquement sous-entendue, suggérée grâce à des allusions, il n’a aucune honte à aller à l’encontre des mœurs et de la morale du siècle dernier. Ménage à trois, partage d’une résidence avant le mariage, une femme aux sentiments explicites et sans cesse mis à nus… Rien n’est laissé au hasard dans ce film terriblement moderne et particulièrement culotté qui est une ode au désir ainsi qu’à l’amour. Confrontée à un choix draconien qu’elle ne peut accomplir, pourquoi ne pas tout simplement décider de ne pas en faire et construire sa vie avec les deux individus dont elle est follement éprise ? Quel est l’intérêt de faire passer la société et ses normes avant son propre bonheur ?

Les éditions commercialisées

Sérénade à trois est édité par Elephant Films en Blu-ray et DVD pour la première fois en version restaurée. Il rejoint ainsi la collection Cinéma MasterClass à l’instar de quatre autres œuvres du même réalisateur. Outre-Atlantique, Sérénade est disponible depuis 2011 sur ces mêmes supports grâce à Criterion. Malheureusement, il n’est pas possible de déterminer si un master différent a été utilisé bien que cela ne soit pas inenvisageable.

De gauche à droite : Blu-ray + DVD, Blu-ray (USA)

Si Criterion s’est contenté d’une image professionnelle restituant l’ancienneté du long-métrage, l’éditeur français a opté pour une seconde photographie mise aux goûts du jour grâce à un travail de colorisation. Les deux approches se défendent et sont très bien exécutées.

Test Vidéo/Audio

Sérénade à trois est proposé dans son format originel 1,33:1 (4/3). Il faut donc remercier Elephant Films de ne pas proposer une version troquée du film dans le but de s’adapter aux normes actuelles. Dans le cas contraire, une perte de définition aurait été notable et la composition des plans ruinée.

De par son ancienneté, le film est uniquement présenté en noir et blanc. Constat immédiat : le travail de réduction numérique destinée à doser le grain de la pellicule a subi un dosage plus discret que lors du visionnage de La Victime du même éditeur. Bon point, car il s’agit d’un outil qui peut rapidement se révéler abusif sur les grands écrans. L’œuvre du cinéaste Lubitsch dispose ainsi d’un aspect visuel naturel, organique, d’autant plus limité par le matériel de l’époque précédant La Victime de trois décennies. Alors, oui, quelques éléments viennent parasiter l’image de temps à autre, mais le travail effectué quant à cette restauration demeure de qualité. Il ne faut pas oublier que les négatifs originaux datent du début des années 30 ! Bien entendu, cela reste subjectif mais ne faut-il pas mieux admirer une vidéo présentant quelques défauts plutôt qu’ayant subi une quantité de filtres non-négligeable ?

Grâce à une luminosité et des contrastes contrôlés, les nuances de gris parviennent à éviter des noirs bouchés, ainsi que des blancs brûlés. L’image procure une sensation de profondeur (plutôt légère) grâce aux différentes ombres, mais aussi de densité grâce aux multiples détails venant ponctuer cette présentation. Le public assiste donc à une prestation visuelle où il peut identifier cheveux, textures de la peau, tissus et différents matériaux, que ce soit en gros plan ou en plan d’ensemble.

Concernant l’audio, le disque français a troqué l’encodage LPCM Mono (format audio non-compressé) de son homologue américain pour un DTS-HD Mono. Les dialogues sont aisément intelligibles puisque la musique est pour ainsi dire absente. Aucune version française n’est disponible. L’initiative de ne pas proposer de piste en faux stéréo rejoint les commentaires précédents. Elephant Films est ici plus dans un esprit de conservation que de modernisation à proprement parlé.

Test Bonus

Pour un film datant des années 1930, il est difficile de se montrer très exigeant quant aux suppléments. Bien sûr, le spectateur ne pas s’attendre à un commentaire audio ou autre featurette promotionnelle typique de l’époque actuelle. Elephant Films a malgré tout su proposer un contenu intéressant et qui satisfait ceux qui auraient craint de devoir se contenter du long-métrage.

  • Introduction (1:13 min) : le critique de cinéma pour Transfuge, Frédéric Mercier, présente brièvement les nouveaux titres du réalisateur Ernst Lubitsch rejoignant la collection Cinema MasterClass. Cette courte vidéo est présentée en préambule du menu de navigation.
  • Le film par Frédéric Mercier (28:54 min) : le professionnel revient sur les origines du classique. Il révèle notamment que celui-ci est une pièce de théâtre écrite par Noël Coward qui fut jouée pour la première fois en 1932. Son succès fut tel qu’elle attira l’attention de Lubitsch qui prit l’étonnante décision de s’éloigner du matériel original pour n’en garder que la trame. Mercier s’attarde ensuite sur le casting, et propose une analyse poussée de l’adaptation de Sérénade à trois. Entre sensualité et complicité, ce « coup de foudre à trois » n’aura ensuite plus de secrets pour le public. Son traitement du personnage de Max Plunkett est tout aussi pertinente qu’intéressante.
  • Galerie photos : la galerie se compose d’une affiche publicitaire et de neuf clichés promotionnels. Les images sont propres et de très bonne qualité.
  • Bandes-annonces : au nombre de cinq, elles mettent la lumière sur les titres ayant rejoint la collection. En haute-définition : La huitième femme de Barbe Bleue (1:14 min), Si j’avais un million (1:16 min), Une heure près de toi (1:21 min), Sérénade à trois (1:10 min). Quant à L’homme que j’ai tué (1:09 min), la bande-annonce est uniquement proposée en résolution standard. Pour cause, il s’agit de l’unique œuvre cinématographique à ne disposer que d’une sortie DVD. Si la raison n’est pas explicitée, il est envisageable que les négatifs originaux ont été perdus.
  • Crédits : petit « bonus » habituel, il s’agit d’un remerciement à l’égard de tous ceux ayant travaillé sur le disque (chefs de travail, studio DVD, graphisme et encodage, etc.).

Mais qu’en est-il comparé à l’édition américaine ? La conclusion est simple : elles n’ont aucun supplément en commun ! En effet, Criterion propose un extrait Si j’avais un million (3 min), 36 minutes de commentaire audio par l’auteur du livre Ernst Lubitsch’s American Comedy, une analyse de la structure du film par le scénariste Joseph McBride filmée en 2011 (23 min), et une production britannique de la pièce datant de 1964 et présentée par Noel Coward (74 min). Pour finir, un feuillet illustré composé d’un essai du critique Kim Morgan est fourni. Les fans les plus complétistes n’auront d’autre choix que de se procurer la galette française et américaine toutes deux indispensables.

Conclusion

Note de la rédaction

Lors de sa sortie en salle en 1933, « Sérénade à trois » à tout pour provoquer le scandale en abordant frontalement le principe de polygamie. Aller à l’encontre du conformisme sans broncher est une prise de risque, mais c’est aussi la marque de fabrique du réalisateur européen Ernst Lubitsch. Heureusement, le film dispose d’un humour léger le rendant accessible et ne se prétend pas moralisateur. Le Blu-ray est de qualité, et ses bonus sont soignés bien que peu nombreux. Barème : Film ★★★★ / Blu-ray ★★★★ / Bonus ★★

Sur la bonne voie

Note spectateur : Sois le premier