Valse avec Bachir : interview d'Ari Folman

Valse avec Ari...

 

Dans un petit hôtel non loin de Pigalle, nous avons poussé la porte d’Ari Folman, réalisateur du très attendu Valse avec Bachir. Favori à Cannes mais reparti bredouille, l’auteur du documentaire d’animation n’a pas perdu de son enthousiasme. Regard perçant, stature imposante, Ari brise la glace (et le stress) en un sourire et en profite pour répondre à nos questions.

Votre film a été particulièrement bien accueilli à Cannes. Comment avez-vous vécu le festival ? Cela a changé le destin du film ?
Ça a été une expérience hors du temps. Ça n’a rien à voir avec la vraie vie. C’est bien plus grand que la vie. C’est épatant comme on revient à un autre temps du cinéma, quand il était vraiment important. Là-bas, on juge le film en 90 minutes. Le film peut mourir ou prendre son envol. Et j’ai l’impression que mon film a été lancé, établi. C’est plutôt bien, non ? Le Festival de Cannes est la meilleure place pour présenter un film si tout se passe bien. Et oui, ça c’est bien passé !

Lorsque votre projet a été proposé au Festival de Cannes, on vous a beaucoup comparé à Marjane Satrapi et son film d’animation Persepolis. Cela vous a-t-il choqué ?
C’est complètement différent. C’est un très bon film mais c’est un film pour la famille, c’est autre chose. Mais je pense que la réaction des journalistes était normale car c’est une histoire biographique en animation. Il y a un an que Persepolis est né et à sa sortie, lui aussi a rencontré un bon accueil de la part du public. Finalement, les journalistes ont fait leur travail même s’ils se sont trompés.

Quand avez-vous pensé à l’animation ?
Ce n’était pas comme si j’avais commencé à travailler sur le script et qu’au milieu je m’étais exclamé : « ah et si je le faisais en animation ! ». Dès le début je savais que le film serait soit un film d’animation, soit n’existerait jamais. Il n’y avait pas d’autre projet possible pour moi.

Comment a débuté le processus d’écriture ?
J’ai entendu toutes ces histoires incroyables qui se passaient pendant la guerre. Et j’ai écrit le script. Je n’ai jamais été aussi rapide de ma vie. Sept jours. J’étais dans une petite cabane dans la montagne, avec plein de choses à manger. Je me suis mis à écrire et le film ressemble beaucoup à ce premier jet. On a ensuite filmé les interviews dans un studio et on a tout redessiné. Mais les dessins n’ont pas été faits à partir des images mêmes, ce sont des dessins originaux, fabriqués à partir de notre imagination.

Les dessins, le titre même, sont emprunts de poésie. N’avez-vous pas peur que cela nuise à votre propos ? Que quelque part, le message passe inaperçu, au second plan ?
C’est pour ça qu’on a des images d’archives à la fin. Le réel arrive à la fin, pour tout remettre dans le bon ordre. Quand on sort du cinéma, on ne peut pas se dire que c’est juste un petit film d’animation anti-guerre. Ces choses sont arrivées, des milliers de personnes sont mortes et d’autres ont été tuées. Exactement pour ce que vous avez dit. Le message n’était pas passé. Avec mon film, j’espère que les jeunes arriveront à la bonne conclusion : la guerre n’a rien à voir avec la bravoure, elle est inutile.

Pouvez-vous nous parler de la bande originale du film ?
Le compositeur s’appelle Max Richter et habite à Edimbourg. Je connaissais sa musique, pleine d’inspiration, de mélancolie. Parfaite pour faire ressortir les émotions. En écrivant le script, j’écoutais sa musique sur mon ipod, puis je l’ai appelé. « Vous avez contribué sans le savoir à l’écriture du scénario, alors, peut-être que vous allez vouloir composer la musique du film fini ? » Il a accepté. Il a été pour immédiatement. Et de mon point de vue, c’était la partie la plus agréable du travail. C’est que du plaisir de travailler avec un musicien qui a autant de talent. Les musiciens peuvent tellement exprimer leurs sentiments. Nous, on a une idée et il faut quatre ans pour la mettre en images. Eux, un ordinateur, un clavier et hop, c’est fait. Je suis plutôt jaloux de ça !

Et la musique des années 80 ?
Le film se déroule au début des années 80. Je ne suis pas vraiment fan de cette musique mais c’est celle de cette époque et elle fait partie de mes souvenirs, elle se devait d'être présente dans le film. C’est un peu la bande originale de ma vie.

Le film repose sur le travail de mémoire, avez-vous retrouvé la vôtre ?
Je n’ai jamais complètement perdu la mémoire. Je n’ai jamais été objet d’amnésie. Ça ne m’intéressait pas, c’est tout. Jamais je ne me suis intéressé à ces souvenirs. On peut plutôt parler de trous noirs qu’il a fallu que je retrouve.

Est-ce que les personnes interviewées dans votre film l’ont vu ? Comment ont-ils réagi ?
Ils sont tous venus à la première il y a deux semaines. Ils étaient complètement sous le choc. Se voir soi-même, comme ça, sur un grand écran,… La plupart l’ont vraiment bien pris. C’est quand même flatteur que des illustrateurs aient travaillé sur eux pendant de longs mois. Peut-être pour le nageur, l’anti-héros qui rentre à la nage, ça a été un peu plus difficile de se voir. Mais en général, tout le monde a apprécié le film.

Allez-vous garder contact ?
Oui. Pas avec tous mais oui, je vais garder contact.

Maintenant que vous avez créé votre propre société de production, pensez-vous produire d’autres réalisateurs ?
Non, c’est contre mon projet. Je ne veux pas produire d’autres réalisateurs, à part moi-même. J’écris pour d’autres mais je ne peux pas les produire, je ne veux pas prendre ce risque pour d’autres gens.

Allez-vous poursuivre dans l’animation ?
Le prochain film est en animation. Je vais adapter le livre de science-fiction Futurological Congress du Polonais Stanislaw Lem. Steven Soderbergh avait déjà adapté un roman du même auteur : Solaris. Futurological Congress évoque la façon dont le cinéma peut lutter contre la culture de l’Internet et de la télévision. Il s’agit plus d’un film sur la culture que d’un film sur la guerre. Et en ce moment, en France, on est en train de travailler sur une série TV en animation pour adultes…

Et…
Et je ne peux pas trop en dire pour le moment à part que ça va être une série vraiment très cool !

Propos recueillis par Mathilde Grosjean (Paris, Juin 2008)