Action réaliste, vrais coups de feu et physique de "taureau" : le réalisateur de "AKA" nous dit tout

Action réaliste, vrais coups de feu et physique de "taureau" : le réalisateur de "AKA" nous dit tout

Chef-opérateur sur "Balle perdue" et "Balle perdue 2", Morgan S. Dalibert est à la réalisation du film d'action "AKA", qu'il a co-écrit avec Alban Lenoir. Une histoire et un film que les deux amis développent depuis très longtemps, et qu'on peut enfin découvrir sur Netflix. On a rencontré le réalisateur pour parler plan-séquence, réalisme de l'action, John Wick, physique de "taureau" et potentielle suite...

Un nouveau nom dans le cinéma d'action français

Avec son premier long-métrage AKA, qu'il a co-écrit avec Alban Lenoir sur une idée originale qu'ils portent ensemble depuis quasiment 15 ans, Morgan S. Dalibert propose un spectacle où tout n'est pas parfait, mais où la brutalité des coups se fait durement sentir et où on prend un plaisir sincère à voir Alban Lenoir casser du méchant à tour de bras. L'acteur et le réalisateur, amis et collaborateurs de longue date, se retrouvent notamment sur l'exigence d'une action réaliste, sur l'envie aussi de proposer une différence, de ne pas faire comme les autres, à l'image de la musculature bestiale de l'acteur pour ce film. On a rencontré le réalisateur, qui nous a ouvert les coulisses d'AKA.

Tournage AKA
Tournage AKA ©Netflix

Rencontre

AKA est un projet que vous portez ensemble avec Alban Lenoir depuis longtemps, quel a été l'élément déclencheur ?

Morgan S. Dalibert : Après Balle perdue, je rencontre Rémi Léautier, le producteur. On s'entend bien. On a les mêmes références. Il me dit, "je cherche mon prochain film, vous avez pas un truc toi et Alban ? Je sais que vous écrivez..." Je réponds qu'on a un projet, on retape une version et on lui envoie. Il voit le potentiel tout de suite, avec quand même de la réécriture. Le projet était là, depuis longtemps. Nos premiers échanges de mail sur AKA avec Alban remontent à plus de 14 ans. À l'époque on allait filmer des après-midi des scènes de baston avec des cascadeurs, et on a pensé à un projet qui se développerait depuis ces scènes d'action. C'est né de l'envie de bosser ensemble et de s'éclater à faire de l'action.

On aime l'énergie d'un plateau de tournage d'action, mais on ne savait pas écrire de scénario. Notre histoire était donc un peu boursouflée, mais avec du potentiel. On a d'abord pensé à une série, parce qu'il y avait beaucoup de personnages. On l'a écrite. Mais le développement ne s'est pas bien passé, donc on a laissé tomber ce format. On s'est orientés sur un unitaire, pour encore laisser le projet de côté. Puis on a rencontré une production, qui a essayé de le faire financer pour les salles, sans succès...

Tournage AKA
Tournage AKA ©Netflix

À un moment, le projet est toujours là mais je me dis, "c'est bon, ça fait 10 ans qu'on bosse dessus, ça prend pas, donc tant pis..." Mais Alban ne lâchait pas, il me disait "Ne t'inquiète pas, un jour on le fera", je répondais " oui oui...". Et puis Rémi est arrivé. Comme quoi, il ne faut jamais lâcher l'affaire, on peut glisser un projet dans un tiroir et le ressortir cinq ans après. C'est ce qui s'est passé avec AKA.

AKA est très riche, avec plusieurs séquences d'action, une intrigue principale et des sous-intrigues, beaucoup de personnages. Est-ce qu'il y a une séquence, une idée que tu retiens en particulier ?

Morgan S. Dalibert : Tellement de choses... Je crois que je retiens avant tout le plan-séquence d'introduction. Parce que c'est une scène qu'on a faite comme on le désirait, on a pris le temps de la répéter, de tout bien caler en amont. C'était notre premier jour de tournage. Je m'en souviens comme quelque chose de très agréable, parce que quand tu as le temps, que tout est calé, t'arrives sur le plateau presque en spectateur. Quand on fait un plan-séquence, au "moteur !", c'est comme si toute l'équipe se tenait la main en retenant son souffle. Tout doit être au diapason. On a fait sept prises, je crois qu'on a gardé la cinquième.

À la fin, quand on voit que tout s'est passé comme prévu, c'est une communion rare. Sur celle-ci, à la différence d'autres séquences où on n'a pas fait exactement ce qu'on imaginait, c'est vraiment ce qu'on voulait obtenir. De l'idée à sa réalisation, il n'y a eu aucune frustration. Tout a marché.

AKA
AKA ©Netflix

Point technique. Les scènes d'action sont très réalistes, brutales, les sensations sont là. Pour les fusillades par exemple, combien de vraies détonations pour combien d'effets spéciaux ?

Morgan S. Dalibert : On a fait en sorte que tout soit tiré à blanc. Par exemple, sur le plan de la lumière, quand on est dans une cave et que le personnage tire, j'ai envie que le coup de feu éclaire son visage. Pour les comédiens, quand t'as un flingue, tirer à blanc ça fait du bruit, il y a un petit recul, donc pour la sensation c'est un vrai plus. On ne manie pas une arme de la même manière si c'est un jouet ou si ça tire. Je voulais ça. Il doit y avoir un décor ou deux où, pour des questions d'autorisation, on ne pouvait pas tirer. Là on a ensuite rajouté des effets spéciaux. Après, même si on tourne avec de réelles détonations à blanc, par exemple pour la fusillade après le braquage, c'est de jour et, selon les réglages de la caméra on ne va pas forcément voir les flammes à l'écran, donc on peut en remettre un peu en post-production.

C'est toujours important pour moi de mixer les deux. S'il y a par exemple quatre voitures à mitrailler, on va surtout en charger une, avec de vrais impacts, des explosions, pour qu'on croit à l'ensemble. Si les quatre sont en numérique, ça le fait beaucoup moins.

C'est ce qu'Alban Lenoir raconte aussi, la nécessité pour vous d'avoir une action réaliste, avec un minimum d'artifices.

Morgan S. Dalibert : On a regardé avec Alban des scènes d'action, dont quelques-unes de The Gray Man, et c'est un peu dommage, parce que c'est de la bouillie... Ça te sort du film. Ça peut sembler bête mais, avec de fausses explosions, tu as moins peur pour le personnage. Tu le vois que c'est faux. Quand Alban baisse la tête parce qu'une balle pète à côté de lui, s'il ne le fait pas, il va se blesser. Ce sont des détails importants. Dans The Gray Man, il y a des super séquences, mais les scènes où c'est trop fake... Comme dans Fast and Furious maintenant, les voitures qui font des méga-flips en 3D, on y croit de moins en moins... Le réalisme est fondamental, pour qu'on puisse sentir l'action.

À l'inverse donc de ce qu'on peut reprocher par exemple au dernier John Wick, une action spectaculaire mais irréaliste dans ses sensations ?

Morgan S. Dalibert : John Wick 4, quand même, Keanu va moins vite qu'avant. Les cascadeurs font des mouvements superflus pour lui laisser du temps. C'est dommage parce que la force de cette saga, particulièrement dans le premier film, c'est certes de l'action surréaliste, le gun-fu, mais c'est fait au cordeau. Aujourd'hui on a l'impression qu'ils s'en foutent un peu.

C'est le genre de trucs qui énervent beaucoup notre chef-cascadeur, le côté irréaliste de se prendre quatre patates, de rester debout et d'attendre que l'adversaire soit bien en face pour l'attaquer... On a essayé de faire très attention à ça. Partout dans le cadre, il faut y croire. Toujours dans John Wick 4, la scène dans la boîte de nuit, les mecs se bastonnent à quelques centimètres de gens qui continuent à danser... C'est quand même très con !

Il y a quelques images très fortes dans AKA, qui impriment bien la rétine. Notamment un bel empalage de tête sur un bout de métal...

Morgan S. Dalibert : J'avais envie de faire ça, j'avais cette idée d'une baston un peu bordélique dans un escalier, avec à un moment un gars qui roule contre le mur et se prend quelque chose. Un bout de pierre, un truc pointu, je ne savais pas exactement. On réfléchit avec la déco, et arrivé l'idée d'un élément d'étagère rouillé. Génial ! C'est ensuite la fabrication de cet élément qui permet qu'on le tourne "en vrai". C'est une tige en mousse qui s'affaisse quand on appuie dessus, avec un petit travail numérique derrière pour ajouter un peu de sang, effacer ce qui resterait de l'écrasement de l'élément.

D'ailleurs le cascadeur a bien failli se crever l'oeil là-dessus. C'est mou, mais il y a quand même une petite rigidité. Si tu te le prends bien dans l'axe, il y a un risque. Et donc le cascadeur, plutôt que de bien se le prendre dans la tempe, se l'est pris juste à côté du nez... Ce genre de détail, l'idée d'avoir quelque chose d'un peu spécial pour chaque scène, on garde toujours ça en tête.

Est-ce qu'il y a de grandes inspirations qui étaient là au moment de fabriquer AKA ?

Morgan S. Dalibert : Il y a des ombres qui planent, évidemment, dont la série des films Bourne. Il y a A bittersweet life, il y a Man on Fire aussi. Sinon, j'ai beaucoup grandi avec Luc Besson. Ce sont mes premières émotions de cinéma. Nikita, la BO de Léon... C'était le feu. Et c'est en sortant du Cinquième Élément que j'ai compris que c'était ce que je voulais faire dans la vie. Au plus près de mon coeur, il y a aussi toute la vague mexicaine fantastique, même plus que le cinéma d'action. Après, les codes de l'action, c'est ce que j'ai appris très vite, j'ai dû voir 40 fois Bad Boys.

Pour AKA, Alban Lenoir a passé un nouveau palier de musculature, ce qui donne un parti pris esthétique particulier.

Morgan S. Dalibert : C'était un peu un fantasme de son côté je pense, et moi j'avais vraiment envie que ce soit un taureau. On avait ces images de Matthias Schoenaerts dans Bullhead, qui m'avaient vraiment marqué. La première image de Schoenaerts, de dos, t'as l'impression d'un taureau humain. Rien que ça, ça raconte le personnage. E puis on voulait voir Alban avec une tête différente, un look différent, de l'amocher un peu. Gros travail de sa part. Quand tu te balades comme ça sur un plateau, tu dégages quelque chose, ça aide à devenir le personnage.

Adam Franco (Alban Lenoir) - AKA
Adam Franco (Alban Lenoir) - AKA ©Netflix

Si on devait ne plus refaire de films AKA, je serais content que ce physique reste unique, parce qu'il aura apporté une vraie singularité au film. Quand les deux productrices Netflix du film sont sorties de la première projection, elles étaient contentes que le personnage ne ressemble pas à celui de Balle perdue, et avaient aussi d'en voir plus sur lui.

Est-ce qu'une suite est alors à l'ordre du jour ?

Morgan S. Dalibert : On l'a écrit sans penser à d'autres histoires, je voulais que ce soit un film clos. Mais si l'envie est là, du public, de Netflix, d'en voir plus d'Adam Franco, on sait qu'il y a à faire dans son passé et après l'histoire d'AKA. Donc il y a de la matière. Après, il faut l'envie aussi de rester dans ce monde. Est-ce qu'on a envie de se replonger tout de suite dans autant de violence et de noirceur ? En tout cas, ce qui est sûr, c'est que j'adore le personnage et j'adore bosser avec Alban...