Alix Poisson (Laëtitia) : "la série n'est pas difficile, elle est essentielle !"

Alix Poisson (Laëtitia) : "la série n'est pas difficile, elle est essentielle !"

La série "Laëtitia", dont les trois premiers épisodes ont été diffusés lundi 21 septembre sur France 2, est une reconstitution monumentale du terrible meurtre de Laëtitia Perrais par Tony Meilhon survenu en janvier 2011, par le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade. Il y dirige un casting étendu et brillant, dont une de ses actrices fétiches, Alix Poisson. Nous avons pu la rencontrer pour parler de ce rôle et de son rapport aux différents genres de cinéma qu'elle explore.

Alix Poisson fait partie du très beau casting de Laëtitia, où avec ses partenaires elle reconstitue sous la direction de Jean-Xavier de Lestrade le terrible meurtre de Laëtitia Perrais, âgée de 18 ans, par Tony Meilhon dans la région nantaise le 19 janvier 2011. Un tragique fait divers que le réalisateur, oscarisé en 2002 pour son documentaire Un coupable idéal, a décidé de raconter, et de déplier presque jusqu'à ses limites, pour mieux en comprendre l'horreur et le mal systémique qui l'a produit. Pour l'actrice, que le grand public connaît peut-être mieux sous les traits d'Isa Martinet dans Parents mode d'emploi, ce n'est pas une première. Elle est en effet une proche collaboratrice de  Jean-Xavier de Lestrade, et possède une filmographie où se dessine maintenant un axe fort, un fil rouge : l'incarnation de personnages ambivalents et l'exploration de thématiques contemporaines et dures à appréhender, des réalités profondes et ténébreuses que la fiction aide à éclairer. Nous avons pu lui poser quelques questions, attentifs à ce que nous dirait cette comédienne passionnée par les projets qui "regardent les choses en face".

Laëtitia est votre cinquième collaboration avec Jean-Xavier de Lestrade. Qu'est-ce qui vous rapproche de ce cinéaste ?

Alix Poisson : Je crois qu'on a un peu les mêmes obsessions, même si évidemment en tant que comédienne le pur plaisir est de pouvoir se balader entre les genres. Si on ne faisait que des choses très lourdes et dramatiques, au bout d'un moment on s'épuiserait. J'aime autant la comédie que le drame, mais je pense que ce n'est pas un hasard si ça fait cinq fois qu'on travaille ensemble, je sais qu'il y aura une sixième, et j’espère une septième, une huitième…

Jean-Xavier de Lestrade est vraiment habité... Une phrase que dit Frantz Touchais (Yannick Choirat) dans Laëtitia, lui pourrait la dire aussi : "je ne sais pas pourquoi ça m'obsède autant la vérité, mais sans elle j'arrive pas à respirer". Je crois que Jean-Xavier est un peu comme ça, je pense qu'il est obsédé par l'idée de justice. Et aussi par l'idée que, parfois, certains sont victimes d'injustices terribles, alors qu'il n'y avait pas forcément de raison pour que ça leur arrive à eux plus qu'à d'autres.

Laëtitia est le récit d'un fait divers, avec son exposé d'une somme complexe de terribles défaillances...

A.P. : Jean-Xavier aime bien faire des portraits sans concession de la société, pour montrer à quel point certains problèmes sont systémiques, et qu'on peut les déconstruire. Si vraiment on met le nez dedans et qu'on arrête de faire les trois petits singes qui ne veulent ni voir, parler ou entendre, on peut les déconstruire. Je suis un peu pareille. On a chacun nos thèmes de prédilection, et il y a des sujets, comme dans Laëtitia, où tout me parle.

J'avais lu le livre d'Ivan Jablonka avant la proposition du rôle, et l'idée n'est pas de réduire le livre ou la série au simple fait divers, mais de partir de ceux-ci pour dénoncer la violence faite aux femmes, devenue ordinaire et banale, la violence infantile qui est le dernier grand tabou de notre société - ce qui me rend dingue - et qu'ainsi on puisse vraiment combattre et détruire. Il s'agit d'affronter les manquements de notre société. Je me suis donc dit, sur cette série, "ça y est quelqu'un le fait".

Laëtitia n'est donc pas que le portrait d'une victime, mais aussi celui d'un meurtrier, et plus largement de notre société ?

A.P. : Quand on regarde la série, on comprend comment mais aussi pourquoi c'est arrivé. C'est ça qui est admirable, il y a une immense humanité dans son travail. Il n’excuse en rien Tony Meilhon et son acte barbare, mais on comprend, quand on voit d’où il vient qu’il a lui aussi été victime avant de devenir bourreau. Lui aussi est une victime de tout un système, de tout un patriarcat, et d’une société qui met discrètement sous le tapis la violence faite à un enfant. À un moment, les gens vrillent et ça se termine comme ça. Et c’est courageux de le montrer.

Laëtitia

La série offre une multiplicité de points de vue au travers d'une grande distribution. En tant qu'actrice, comment aborde-t-on en confiance un tel projet ?

A.P. : C’est rare, parce qu'il y a des très bons réalisateurs qui ne sont pas de bons directeurs d’acteurs. Lui, en plus de savoir réaliser, il dirige vraiment les acteurs. Et c’est étonnant parce qu’il n’est pas du tout dirigiste, il n'impose pas. Il trouve cet endroit… Je pense que, parce qu’il vient du documentaire, il y a un truc qui fait qu’on ne peut pas tricher. Noam Morgensztern a dit, et je trouve ça très juste : « Jean-Xavier il vous regarde dans l’oeil, il regarde son sujet dans l’oeil, et quand vous jouez il vous regarde aussi dans l’oeil. »

Il a ce truc, il sait quand c’est au bon endroit. Il connaît cet endroit de vérité, de ce jeu qui doit être aussi du non-jeu. Mais, tous autant qu’on est, on joue bel et bien ! Il n’y a jamais aucune improvisation chez lui, tout est écrit. C’est comme de la belle ouvrage, il ne faut pas voir les coutures.

Comment percevez-vous votre personnage, Béatrice Prieur, l'assistante sociale qui suit les deux jumelles dans Laëtitia ?

A.P. :  À proprement parler, des personnages principaux, Béatrice est la seule qui n’a pas existé, elle est la somme de trois personnes : deux assistantes sociales et une psychologue. C’était plus fort pour la dramaturgie d’avoir une seule personne pour suivre les jumelles sur toute la durée. Ce que je lui trouve de fascinant, c’est qu’elle est presque l’allégorie de cette société qui, à un moment, ne veut pas voir. Elle est consciencieuse, elle fait bien son travail, même très bien et pendant très longtemps, elle le fait avec tout son coeur. Pour les auteurs Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez, c’est aussi je crois un personnage pour rendre hommage à tous ceux et celles qui travaillent dans les services sociaux et qui travaillent vraiment bien, se battent, avec le dixième de ce qu’ils devraient avoir, et qui arrivent à sauver des enfants.

Elle est ça. Mais en même temps, à un moment, elle est faillible, profondément humaine, et il y a un manquement. Elle faute, aurait pu voir, dû voir, mais elle n’a pas pu. Et ça, ça la rend profondément humaine. Pour elle, pour ce personnage, les jumelles allaient s’en sortir, elles y étaient presque.

Son travail accompli était une réussite. Cette ultime plainte de Lola, peut-être que ça remettait tout son travail en question, et elle n’a pas pu l’entendre. Dans cette histoire, Béatrice a réussi à un endroit. À un autre, elle a échoué.

En 2009, vous êtes remarquée chez, déjà, ce réalisateur, avec Parcours meurtrier d'une mère ordinaire : L'affaire Courjault, dans le rôle de la mère infanticide. Une révélation ?

A.P. : Ça a joué un rôle essentiel. Et c’est comme un mille-feuilles dont je découvre les strates à mesure que les années passent, et que j’avais pas forcément comprises sur le moment. C’était notre première collaboration, je n’avais jamais vraiment tourné avant, c'est une première fois avec un rôle de cette envergure. J’y ai découvert que j’aimais la caméra, et qu’on pouvait être libre quand on est portée par la pensée d’un réalisateur, par son regard, quelqu’un qui a un vrai point de vue, un projet. Ça donne des ailes. On m’a dit « mais non, tu vas pas faire ce rôle, c’est horrible, c’est hyper voyeur… » quand j’ai rencontré Jean-Xavier j'ai dit « mais si, bien sûr ! ». Si c’est bien le même gars qui a fait Staircase, il va la respecter cette femme, il n’y a aucun problème. Ce rôle a été déterminant, il m’a libérée dans le jeu.

Chose étrange, il ne s’agit pas d’excuser les faits, mais j’ai senti comme une accointance avec elle. Il m’a fait écouter un enregistrement de sa voix lors de son procès, et d'abord je me cachais parce que j'avais les larmes au yeux et la chair de poule. Mais je ne peux pas le dire autrement, je la comprenais. Au départ ce film devait s'appeler La Fille du silence, titre qui a changé par la suite, et je pense qu'il y avait un endroit en moi où était une "fille du silence" aussi.

Ce registre dramatique semble très éloigné de ce que le public perçoit de votre travail, dont la porte d'entrée pour le grand public est souvent Parents mode d'emploi...

A.P. : Au conservatoire, lors de ma première année, j’étais un peu sombre, un peu dark, et on me distribuait souvent dans des rôles correspondants. Et puis un jour j’ai joué du Feydeau, et une copine m’a dit  "mais je savais pas qu’on avait une Jacqueline Maillan dans la promo !"  Le plus difficile, c’est vrai, c’est de ne pas se laisser enfermer.

Après Courjault et Les Revenants, mon agente de l'époque me disait « j’arrive pas à te foutre sur une comédie parce qu’ils pensent tous que t’es dépressive. » Et après « Parents mode d’emploi », elle me proposait sur des projets dramatiques et c’était « bah non, elle est hyper marrante ». Donc au bout d’un moment je me suis dit que je m’en foutais et que j’allais dans les deux directions. Du moment que c’est bien écrit, c’est génial à faire.

Laëtitia

Ce n'est pas douloureux d'incarner ces parcours, ces trajectoires tragiques ?

A.P. : Même si c’est du jeu, on est quand même traversés par des émotions réelles. Ou alors, on va puiser. Comme dit Juliette Binoche, une phrase que j'adore : "on ne peut pas faire l’économie de faire une vraie spéléologie". Si on veut livrer un truc rare, il faut aller chercher quelque chose, sinon ça n’en vaut pas la peine. Personnellement, ce n’est jamais douloureux, je ne me fais jamais mal quand je travaille avec des gens qui ont l’exigence et les compétences de Jean-Xavier. Il y a des scènes où j’ai le trac, où je me dis "quand même c’est chargé", et sur Laëtitia d’autres l'ont eu bien plus que moi, avec des scènes très compliquées à appréhender.

Mais bien accompagnés et sachant que le sujet est traité de la bonne façon, on peut aller très loin. Là où on se fait mal, c’est quand on a un sujet hyper fort à traiter, des scènes qui ne laissent pas le choix, et qu’il n’y a pas les compétences, pas l’exigence, pas le bon regard.

Le seul moyen d’éradiquer les fléaux est de les regarder bien en face. On m’a dit de la série Laëtitia, « elle est difficile quand même », mais elle n’est pas difficile, elle est essentielle. Il y a ça, déjà, dans le livre d’Ivan Jablonka. Grâce à la fiction, grâce à l’écriture d’un scénario, grâce à l’incarnation des acteurs, on sublime quelque chose. Jean-Xavier de Lestrade ne fait pas l’économie de la violence, mais il amène aussi beaucoup de poésie.