Lawrence d'Arabie : les secrets d'un tournage infernal

Lawrence d'Arabie : les secrets d'un tournage infernal

Après "Le Pont de la rivière Kwaï" en 1957, David Lean retrouve une histoire ambitieuse dans des lieux exotiques pour "Lawrence d'Arabie". Chef-d'oeuvre du cinéma, le film a été tourné et produit au gré de conditions extrêmes et des caractères de ses auteurs.

David Lean aime-t-il la chaleur et faire suer ses acteurs ? C'est une question qu'on est en droit de se poser, avec au moins deux films, deux chefs-d'oeuvres, Le Pont de la rivière Kwaï et Lawrence d'Arabie, où une sensation de chaleur douloureuse transpire de l'image. Magie du cinéma ? Pas seulement, quand on sait pour Lawrence d'Arabie que le tournage s'est fait parfois sous une température montant au-dessus des 50° Celsius ! Lawrence d'Arabie, sorti en 1962 est considéré comme un des plus grands films de l'histoire du cinéma, récompensé de sept Oscars - dont Meilleur film et Meilleur réalisateur, cinq Golden Globes et cinq BAFTA en 1963. Il propulse immédiatement Omar Sharif et Peter O'Toole au statut de légendes cinéma.

Un tournage épique et laborieux

Le film, tourné à partir de mai 1961 et terminé en septembre 1962, est un des derniers films "à grand spectacle", typique des années 50. Sa durée excède les 3h30, il a pu compter sur des milliers de figurants mis à disposition par l'armée jordanienne, il est enfin l'adaptation de l'histoire épique et célèbre de la vie de Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d'Arabie. Cet officier britannique a joué un rôle important durant la Grande révolution arabe conduite par Hussein ben Ali pour libérer la péninsule arabique de l'Empire Ottoman, entre 1916 et 1918. Le sujet est dantesque, le tournage l'est tout autant.

Lawrence d'Arabie

Tourné en Espagne, en Jordanie et au Maroc, essentiellement en plein été,  les prises de vue doivent être effectuées le matin, la chaleur de l'après-midi rendant les conditions de tournage impossibles. Peter O'Toole a subi un calvaire pour tourner les scènes à dos de chameau, l'animal étant infesté de puces et rendu brûlant par une température excédant les 50° Celsius, et l'acteur redescendant finalement de sa monture les cuisses ensanglantées. Contrairement au personnage historique qu'il incarne, dans une rare interview, donnée en 1963, l'acteur déclare à propos de son expérience du désert : "J'ai détesté". 

Concernant le réalisateur David Lean, initialement monteur, il avait la réputation d'arriver sur les plateaux sans savoir comment il allait tourner les scènes, ce qui a occasionné beaucoup de retard sur le tournage de Lawrence d'Arabie. Par ailleurs, il refusait de partager et sympathiser avec ses acteurs hors du temps de travail, afin de garder la capacité de les diriger objectivement, et préserver la spontanéité et l'authenticité.

Le 17 septembre 1961, soit quatre mois après le début du tournage, le scénariste Robert Bolt est condamné à un mois de prison suite à son arrestation lors d'une manifestation pour le désarmement nucléaire à Londres. Refusant de signer un document légal l'engageant à ne pas s'impliquer davantage dans ce type d'activités, il faudra que le producteur Sam Spiegel l'y oblige, pour être libéré au bout de deux semaines d'emprisonnement, et achever le script. Robert Bolt regrettera ensuite d'avoir cédé, et n'adressera plus jamais la parole au producteur une fois le film terminé.

Les sables mouvants : un trucage très dangereux

Plusieurs séquences de Lawrence d'Arabie sont mémorables, notamment la scène de la bataille de Damas et des scènes équestres de très grande échelle. Mais une des séquences qui a le plus marqué les esprits est la scène où Lawrence d'Arabie perd un compagnon dans des sables mouvants. Pour réaliser ce trucage, le chef-accessoiriste construit et enfouit une boîte en profondeur dans le sable, et s'y introduit pour tirer le jeune acteur par les pieds... Au risque que les deux hommes s'étouffent.

Un film sans aucune parole féminine

Ce n'est pas l'anecdote la plus glorieuse attachée à Lawrence d'Arabie, mais elle est symptomatique d'un Hollywood centré sur de fortes valeurs masculines, d'autant plus avec ce film dont le sujet et la période ne se prêtent pas à une forte représentation féminine. Mais tout de même, aucun rôle autre que figuratif n'est confié à une femme, si bien que si on peut en voir à l'écran, il n'y a strictement aucune voix féminine dans Lawrence d'Arabie. Du côté de l'équipe technique, elles sont deux : Phyllis Watson aux costumes, et Anne V. Coates au montage. La carrière de cette dernière s'étend de 1952 à 2015. Elle a reçu un Oscar pour le montage de Lawrence d'Arabie, et un Oscar d'honneur pour l'ensemble de sa carrière en 2017, un an avant son décès à l'âge de 92 ans.