À l'ombre des filles : une colonne d’air en prison

La liberté par le chant

À l'ombre des filles : une colonne d’air en prison

CRITIQUE / AVIS FILM – Pour son deuxième long métrage après "Django", Etienne Comar raconte avec "À l’ombre des filles" la rencontre improbable et touchante de deux mondes, qui sublime l’art du chant et sa capacité à ouvrir le champ des possibles. Avec Alex Lutz, Agnès Jaoui et Veerle Baetens.

Donner aux autres pour aller mieux soi-même

Dès l’arrivée de Luc (Alex Lutz) dans le centre de détention pour femmes, le réalisateur Etienne Comar de À l'ombre des filles  réussit à intriguer le spectateur. D’emblée, on a envie de savoir pour quelles raisons cet homme si délicat, maladroit et intimidé, s’inflige cette situation. Il se confronte à un monde nouveau et à sa violence sous-jacente. On veut connaître son histoire, entrer dans sa propre prison mentale et l’accompagner tout du long de son chemin de rédemption.

Car le film évoque les rencontres improbables qui transforment les êtres humains, du côté du chanteur lyrique comme de celui des détenues. On ne saura rien du parcours et des condamnations de ces dernières. Même si Etienne Comar, rencontré en avant-première à Bordeaux, dit avoir communiqué aux actrices une bio de leur personnage, que chacune a intégré dans son interprétation.

À l'ombre des filles
À l'ombre des filles ©Ad Vitam

Il est parfois compliqué dans un film choral, qui plus est dans le contexte de la prison, de singulariser des personnages attachants sans les caricaturer et de trouver un casting cohérent. Etienne Comar s’en sort plutôt bien, grâce à Veerle Baetens (Carole) et à Marie Berto (Jeanine), aux côtés de deux actrices non professionnelles épatantes, Fatima Berriah (Noor) et Anna Najder (Marzena). 

On est un peu moins convaincu par les prestations d'Hafsia Herzi et la timidité de son personnage Jess, et d'Agnès Jaoui, dont le personnage de Catherine est assez nébuleux en mère de substitution de Luc. Un rôle qu’on aurait d'ailleurs plus vu du côté de la logeuse de Luc (formidable Michele Moretti).

Le chant comme lien entre les êtres

Le réalisateur, tel le balancier d’un métronome, parvient très bien à équilibrer son film, allant de Luc aux détenues, et des détenues à Luc, chacun avec son tempo. Le format 4/3 y est pour beaucoup, donnant une patte quasi documentaire au film et permettant un focus sur l’humanité de chaque visage. De musique et de chant, il est évidemment question dans À l’ombre des filles, et les métaphores sont nombreuses. L’oreille musicale et la justesse des voix ne sont d'ailleurs pas les qualités premières des détenues volontaires de l’atelier de chant de Luc.

Mais le film montre à quel point le chant peut apporter du plaisir et libérer le corps et l’esprit. Il permet même, le temps de l’atelier, une évasion alors que la réalité est pourtant bien présente entre ces murs. Une réalité oppressante avec ses bruits caractéristiques, ses portes qui claquent, ses détenues qui crient et se disputent le pouvoir.

À l'ombre des filles
À l'ombre des filles ©Ad Vitam

Du cafouillage acoustique laborieux et des doutes naîtront des regards respectueux, mais surtout la confiance et la fierté d’avoir accompli quelque chose de beau et d’harmonieux, ensemble. La difficile notion de transmission et de création en prison avait déjà été abordée par le biais du théâtre et de la tragicomédie, dans Un triomphe de Emmanuel CourcolÀ l’ombre des filles propose un cadre plus intime, donnant à Luc l’occasion d’offrir un cocon à ces femmes et à lui-même. Le film montre habilement comment Luc passe de sa bulle artistique et solitaire d’homme en deuil à son ouverture aux autres.

Après avoir interprété un chanteur dans Guy, et un champion de tennis dans 5ème Set, Alex Lutz est encore bluffant de réalisme et de sobriété dans ce rôle de contreténor à la croisée des chemins. Grâce notamment au jeu de l’acteur, À l’ombre des filles se révèle donc un film d’une grande finesse et sans jugement. Il donne à voir la prison pour ce qu’elle est : un lieu à part qui tente de transformer des individus purgeant leur peine en leur offrant une possibilité de réinsertion, mais aussi d’espoir.

À l’ombre des filles d'Etienne Comar, en salle le 13 avril 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la Rédaction

"À l'ombre des films" est un film subtil qui donne à voir le chant comme lien entre des êtres seuls et heurtés par la vie, entre la prison et le monde extérieur, porté par le bluffant Alex Lutz.

Note spectateur : 4 (1 notes)