Acide : Guillaume Canet sous une pluie de colères

Acide : Guillaume Canet sous une pluie de colères

CRITIQUE / AVIS FILM - Avec Guillaume Canet en tête d'affiche, Just Philippot réussit le récit d'un homme brisé, d'une famille morcelée et d'un monde à son effondrement dans "Acide". Une démonstration magistrale de cinéma de genre, comme l'était déjà "La Nuée", avec cependant une forte volonté de réalisme qui finit par lui jouer un tour.

Just Philippot, deuxième

Deux ans après la sortie nationale de son premier long-métrage La Nuée, Just Philippot revient avec un nouveau film, Acide, dans une continuité très séduisante. La Nuée avait été salué partout où il avait été montré avant sa sortie en salles, et si la pandémie de Covid-19 n'était venue s'en mêler, le grand public aurait pu largement découvrir pourquoi Just Philippot est considéré comme un des nouveaux maîtres du cinéma de genre français.

De l'horreur, du film catastrophe, du drame familial et intime et de la réalité sociale, l'énumération des éléments est toujours plus simple que l'exécution de la recette. Celle-ci doit être balancée, équilibrée, liée dans un puissant élan de cinéma. Avec Acide, Just Philippot et son très bon casting réussissent très bien l'exercice, dans une triple histoire qui évidemment rappelle celle de La Nuée.

Acide
Acide ©Pathé

Quand le ciel nous tombera sur la tête

Michal (Guillaume Canet), ouvrier, est en liberté surveillée. Une peine qu'il purge pour avoir roué de coups un CRS lors d'une intervention dans son usine, menacée par un plan social. Il a une fille adolescente, Selma (Patience Munchenbach), qui ne vit pas bien la séparation de ses parents et la situation de son père. Pour le moment, Michal ne peut pas déménager. Mais bientôt il rejoindra en Belgique Karin (Suliane Brahim), sa nouvelle compagne. Acide est un film français, et un film français pourrait déjà s'arrêter là, ayant exposé avec brio une situation sociale et familiale propre à de nombreuses péripéties. Mais Just Philippot, réalisateur extrêmement précis et efficace, trouve encore de la place pour y ajouter un phénomène terrifiant : des tombées de pluies mortellement acides.

Dans La Nuée, Virginie (Suliane Brahim) se débattait avec ses dettes et son exploitation agricole d'insectes, élevant isolée et seule ses deux enfants, avant que le goût du sang ne fasse de ses grillons de dangereux prédateurs. Un triple enjeu, social, familial et horrifico-environnemental, comme dans Acide. Cinéma de genre très maîtrisé, les films de Just Philippot se ressemblent sans se copier. Ils témoignent ensemble d'un grand savoir-faire de mise en scène et de fabrications d'images, ainsi que de la volonté de saisir la puissance d'un drame par le plus grand nombre de ses facteurs.

Selma (Patience Munchenbach) - Acide
Selma (Patience Munchenbach) - Acide ©Pathé

Tout en teintes grises et fatiguées, en intérieur et extérieur, Just Philippot parvient à amener le spectateur d'Acide là où il veut, avec une fluidité exemplaire. Sur un pont assailli par une foule paniquée, alors que les nuages approchent. Dans la cave d'une maison de survivants isolés, ces fameux "hôtes" qu'on croise dans tous les survivals et dont on ne sait qu'au dernier moment s'ils ont des alliés ou des ennemis. Acide, visuellement, est captivant. Et l'ambition technique est immense. Qu'on soit dessus, dedans, ou qu'elle nous tombe du ciel, l'eau est un élément particulièrement difficile à mettre en scène au cinéma.

Un réalisme sans issue

Dans Acide, l'eau tombe, contamine et ronge tout. Les vêtements, la peau, le plastique, les métaux, elle détruit tout ce qu'elle mouille. Ennemi très visible mais insaisissable, danger permanent et total, la pluie a ainsi commencé à détruire le monde. Michal et Selma se retrouvent donc dans une fuite effrénée pour leur survie. Une fuite vers où ? C'est là où Acide devient très intéressant, en dévoilant la colère, voire la rage, de son auteur, et à la fois l'intelligence de son film et sa limite.

Il pleut, et parce qu'Acide est un film de genre réaliste, la catastrophe est très palpable. Comment arrêter la pluie ? Surtout, comment un homme, une femme, des individus déjà précarisés par un système au bord de la rupture, peuvent y changer quelque chose ? Dans La Nuée, Virginie pouvait mettre un terme aux essaims assassins de grillons. L'événement était alors local, on pouvait lui opposer quelque chose. Mais qu'opposer à la pluie ?

Acide
Acide ©Pathé

La fascination que provoque Acide vient du spectacle très réussi de cette catastrophe, des péripéties et des dangers mortels sur le chemin de Michal et Selma. Elle vient aussi de cette réalité à sens unique, de ce récit si noir et implacable qu'on ressent très tôt qu'il n'y aura pas d'issue heureuse. D'une certaine manière, Acide entretient une ressemblance avec le trop sous-estimé Phénomènes de M. Night Shyamalan, récit survival d'une nature végétale qui a décidé de se débarrasser de l'espèce humaine. Un phénomène inexplicable, mais qui apparaît et disparaît à différents endroits, qui n'est jamais total, pour permettre un début de résolution. Dans Acide, le phénomène apparaît cependant irréversible, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas le temps.

La mousson de la colère

Pas d'ellipse, pas de répit, et donc pas d'issue. Il est alors fascinant de voir avec quels brio et fermeté Just Philippot se refuse à tout deus ex machina, tout twist, tout artifice de résolution. Acide est un film plein de rage, qui raconte la colère d'une époque. Il le fait donc par le drame d'un homme seul, brisé, qui se débrouille comme il peut et n'est pas valeureux. Dans ce rôle, Guillaume Canet, tout en noirceur et colère rentrée, montre qu'il sait parfaitement porter le costume d'anti-héros. Il le fait par le drame d'une jeunesse abandonnée aussi, baladée d'un domicile à un autre, d'un lycée à un autre, comme d'un confinement à un autre. Sur ce point grâce soit rendue à la performance inspirée de Patience Munchenbach.

Dans ce monde qui s'effondre, le père et la fille vont-ils alors rétablir le lien, essentiel à leur survie immédiate, et essentiel aussi à un n'importe quel avenir ?

La continuité dans l'oeuvre très contemporaine de Just Philippot est ainsi celle d'une colère saine. Celle d'une rage salutaire qui crie que la catastrophe est là si nous ne faisons pas société à ces trois niveaux : dans l'intimité, dans la collectivité, et sur la planète. Il lie dans Acide ces trois drames, au prétexte malin d'un excellent survival. Même si ici l'enjeu de tout survival - survivre - s'évapore dès que tombe la première pluie. On s'amuse alors par effroi, on est emportés par quelques séquences mémorables. Et on a à penser, beaucoup, à la fin du cours tragique et cruel de ce très bon film.

Acide de Just Philippot, en salles le 20 septembre 2023. Le film était présenté hors compétition au 76e Festival de CannesCi-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Sombre et cruel, "Acide" reprend avec réussite le schéma établi par Just Philippot dans "La Nuée". Survival classique autant que drame social et intime, "Acide" est un film très réussi, qui aurait pu l'être encore plus s'il ne se soumettait pas entièrement à son réalisme fascinant mais trop brutal.

Note spectateur : 2.5 (4 notes)