Les Éternels : le ciel étoilé du champ des possibles

Les Éternels : le ciel étoilé du champ des possibles

CRITIQUE FILM - Trois ans après « Au-delà des montagnes », déjà présenté en compétition mais reparti sans prix, Jia Zhangke est revenu sur la croisette pour « Les Éternels », un ample mélodrame centré sur la vie de Qiao, amoureuse de Bin, un malfrat mutique.

Tout comme Qiao, le personnage central de la nouvelle saga dramatique de Jia Zhangke, nous avons cru apercevoir une lumière dans le ciel. Était-ce un vaisseau extra-terrestre ? Un météore ? Une hallucination ? Un délire ? Ou encore autre chose ? Au fond, peu importe : ce nouveau film par Zhangke, figure de proue du cinéma chinois contemporain, est bel et bien l'apparition qui éclairait les premiers jours du festival de Cannes 2018. Les Éternels est une comète mélo colossale, où le temps, disloqué par des événements traumatiques, s’arrête, file à toute allure, se fige, ralentit pour toujours mieux repartir de plus belle, insaisissable.

Qiao (Zhao Ta, toujours incroyable) et Bin (Liao Fan) s’aiment. Ils n’ont plus besoin de mots pour exprimer leur amour au quotidien, seuls quelques gestes suffisent. Mais Bin est un gangster voué à une vie dangereuse. Le jour où un promoteur immobilier, l’un de ses alliés, est brutalement assassiné, une guerre urbaine commence. Bin se fera d’abord agresser à la barre de fer en pleine rue avant, un peu plus tard, d’être lynché par une dizaines de petites frappes face à une audience passive. C’est là que Qiao entre en scène pour sauver l'amour de sa vie. Et si l'on sentait déjà qu’elle tenait ce couple et la petite entreprise du gang de façon subreptice, la manière dont elle fait cesser ce combat sanglant et sauve Bin, l'arme à la main, dans une posture droite qui ne tressaille jamais, actera définitivement notre fascination pour cette femme qui semble indestructible.

Au-delà des possibles

Et tant mieux pour nous, Qiao sera la figure centrale et le guide des deux autres parties du film, situées à dix années d’intervalles, à la fois connectées par le passage du temps et déconnectés par la sensation d’une possibilité narrative parallèle, qui n’en est pas une. Cette amplitude, habituelle chez Zhangke, s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de son dernier film, le sublime Au-delà des montagnes, où trois strates de récits se suivaient tout en laissant le temps s’écouler quand il le fallait. Les Éternels et Au-delà des montagnes sont certes liés par cette mélancolie du temps qui passe et par leur structure narrative similaires, mais ils le sont surtout par l’ambiguïté des retrouvailles ou des séparations qui portent le film vers des hauteurs mélodramatiques inégalables. Le fait que Qiao s’entête à retrouver Bin à sa sortie de prison, ou décide de se séparer brutalement d’un inconnu croisé dans un train, substitution affective de son éternel amant, travaille cette dislocation du temps propice à tous les soubresauts émotionnels : Qiao cherche à retrouver le sens de sa vie passée, peut importe le temps que cela peut prendre.

Jia Zhangke articule par ailleurs ses séquences, languissantes, cocasses, musicales, brutales ou mélancoliques de façon à dessiner des ruptures de ton ou de rythme, où les soirées en boîte au son des Village People s'invitent dans une fresque mafieuse, où les situations comiques s'imbriquent dans un puissant mélodrame. Les Éternels est, en cela, une synthèse imposante de son cinéma. Encore plus qu’Au-delà des montagnes, déjà un bel aboutissement en terme de saga familiale et d’ambition narrative, et dont les équivalents, dans le monde, sont rares. Dernièrement, seul The Place Beyond the Pines de Derek Cianfrance pourrait s'en rapprocher en terme d'écriture, mais celui-ci tient pas la comparaison.

Soudain, la vie dernière

Car l’amplitude émotionnelle qui se dégage dans Les Éternels n’a d’égale que le grand ensemble de thématiques qui y sont brassées et, pour le coup, travaillées en profondeur, sculptées avec l’aide du temps qui passe : la famille, bien sûr, mais aussi la loyauté, la société, l'amour et surtout la foi en un autre champ des possibles (déjà présent dans la dernière partie d’Au-delà des montagnes avec un malentendu identitaire et maternel). Et si Les Éternels côtoie les sommets lors de ses ellipses fulgurantes, il devient lui-même une apogée lors, au contraire, de ses bulles temporelles où la vie semble s’arrêter, laissant s’écouler l’instant tragique.

En démontre une scène à l’intérieur d'un train, magnifique, ou une séquence de combat, violente, éprouvante et brillamment chorégraphiée, sublime aussi. Les retrouvailles douloureuses entre Qiao et Bin dans une chambre d’hôtel le sont tout autant. Et que dire de cette rupture étoilée, pause vibrante où toutes les possibilités d’une vie défilent sous nos yeux à travers une multitude d’astres cosmiques, qui bouleverse à jamais ? Une pause qui fait de nous les témoins privilégiés d'une apparition lumineuse, qui change, pourquoi pas, le chemin tracé de toutes ces vies passées et à venir.

 

Les Éternels de Jia Zhangke, présenté en compétition à Cannes, en salle le 27 février 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

« Les Éternels » de Jia Zhangke, nouvelle saga en trois actes, est un aboutissement de tous les instants, qui secoue et qui renverse.

Note spectateur : 2.15 (1 notes)