Au Poste ! de Quentin Dupieux : du comique au comico

Au Poste ! de Quentin Dupieux : du comique au comico

CRITIQUE FILM - Après « Réalité » avec Alain Chabat et avant « Le Daim » avec Jean Dujardin, sort « Au Poste ! », la nouvelle comédie de Quentin Dupieux. Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig y incarnent respectivement un flic et un suspect tentant, face-à-face, de résoudre une affaire de meurtre.

Après avoir signé sa grande œuvre il y a un peu plus de trois ans avec l’ambitieux Réalité, Quentin Dupieux semble effectuer, tout en demeurant dans le même registre comique, un virage à 180 degrés avec Au Poste !. Comme un négatif de son précédent film, qui était fait de portes ouvertes vers des niveaux de réalité alternatifs, parallèles ou simplement hors-sol, comme dénués de toute logique spatio-temporelle, Au poste ! se présente comme un petit récit policier à la douce saveur rétro, cloisonné entre les murs d’un commissariat.

Dans ce dernier, Buron (Benoît Poelvoorde), un flic au poumon percé (d’où s’échappe la fumée de ses clopes…) interroge Fugain (Grégoire Ludig), quidam devenu le suspect numéro un d’une troublante affaire de meurtre qui a eu lieu en bas de chez lui. Débute alors une enquête abracadabrantesque qui, paradoxalement, se déploie en un peu moins d’une heure et quart, au sein d’une structure minimaliste et d’un quasi huis-clos.

Dupieux au langage

Cette double voie – ou ce « va-et-vient » comme l’aime le dire le commissaire Buron – entre une investigation retors, dont le suspect, Fugain, repousse l’issue au bout des multiples anecdotes qu’il déblatère à propos du soir où s’est déroulé le meurtre, et le resserrement de l’espace (étriqué) et des protagonistes (peu nombreux) donne à Au Poste ! une gageure particulière. Peu de personnages entrent ou sortent de l’intrigue (un caméo d’Orelsan, quelques interventions ou quelques remarques ici et là, mais globalement c’est tout) et Quentin Dupieux limite son récit au ping-pong oratoire mené par Buron et Fugain. Autrefois adepte des effets ou des sursauts burlesques, entre rêve, fantasme et réalité (tous ses films en général), entre la fadeur graphique d’un univers et les explosions réflexive de celui-ci (Wrong en particulier, voire Réalité), Dupieux délaisse ici la plupart de ses effets pour se concentrer sur la joute verbale qui se met en place entre deux comédiens mis face à face.

Alors il y a bien quelques incursions méta – toujours – ou encore quelques gags grotesques (un flic attardé qui s’apprête à perdre son seul et unique œil), mais Au Poste ! lorgne plutôt vers une forme de sketch épuré. Toujours enclin à la parenthèse délirante ou à la scénette absurde, Quentin Dupieux y révèle la minutie rythmique de ses dialogues ou de ses ritournelles orales en les exposant au grand jour. Et si ce talent de dialoguiste n’est pas nouveau (on en voyait déjà une forme d’aboutissement dans ses deux derniers films, Wrong Cops et Réalité), l’épuration de ses penchants formalistes effectuée dans Au Poste ! permet d’en saisir toutes la précision et l'ensemble des possibilités comiques. Répétitions (« c’est pour ça », qui revient sans cesse), quiproquos (la lettre de motivation), interruptions (effectués directement par les personnages à l’intérieur même des flash-backs) ou fausses pistes (« je suis partant pour que vous alliez dîner ») sont de la partie et permettent, dans leur variété, de renouveler une formule que l'on pense, au départ, comment étant vouée à s'essouffler.

Trompe-l’œil symphonique

Car quoiqu’en dise les critiques du « Figarock » dans le film, Au Poste ! tient bien son pari tout au long de ce format resserré, qui sied parfaitement au déploiement d’un humour immédiat de la langue. La grande force du film tient ainsi dans sa manière de parvenir, tant bien que mal, et avec peu d'artifices ou de cordes à son arc (une enquête, deux personnages principaux, une nuit) à nous surprendre en permanence. On se dit que pour son prochain film (Le Daim avec Jean Dujardin, l’histoire d’un type en quête du blouson 100% daim de ses rêves), Quentin Dupieux a peut-être trouvé là la bonne formule au sein de laquelle mettre en place ses sketches entre deux albums de Mr. Oizo et autres festivals musicaux.

De musique d’ailleurs, il n’en sera pas directement question dans le film. L’ouverture du film sur du Mozart est à la fois une feinte et une annonce pour la suite. Si la poursuite d’un chef d’orchestre en slip sur le point d’être arrêté nous amène tout droit au commissariat où aura lieu la petite pièce de Dupieux, elle indique, implicitement, une approche du dialogue comme faisant partie intégrante d’un concert musical où les comédiens, représentant chacun des tonalités d’humour différents, s’accordent au profit d’une véritable symphonie de l’absurde.

 

Au Poste ! de Quentin Dupieux, en salle le 4 juillet 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Pas besoin d'attendre la scène post-générique, géniale et indispensable, pour voir que l'épure spatiale et temporelle effectuée dans « Au Poste ! » est l'occasion pour Quentin Dupieux de condenser, comme un chef d'orchestre, toutes ses brillantes notes d'humour en un court mais rutilant morceau.

Bilan très positif

Note spectateur : Sois le premier