Barbaque : Fabrice Éboué réussit sa cuisson et son cinéma

Barbaque : Fabrice Éboué réussit sa cuisson et son cinéma

CRITIQUE / AVIS FILM - Après "Coexister", Fabrice Éboué présente une comédie au gabarit plus réduit, l'histoire d'un couple de bouchers-tueurs. Plutôt que de s'attaquer gratuitement au sujet du véganisme, il s'en sert comme d'un formidable moteur d'humour noir et de suspense, pour offrir un excellent film.

Fabrice Éboué, l'humour vache

Après Case départ, Le Crocodile du Botswanga et Coexister, l'humoriste, acteur et réalisateur Fabrice Éboué revient au cinéma avec un proposition surprenante, mais dont la surprise n'est pas celle que l'on croit. En effet, fournisseur historique d'un humour vitriolé où toutes les causes et minorités en prennent pour leur grade, Fabrice Éboué n'étonne pas vraiment en s'attaquant au sujet du véganisme. Militantisme pour une alimentation débarrassée de toute matière et origine animale, celui-ci est aussi une source de crispations sociales et culturelles, source à laquelle le réalisateur de Coexister a puisé son idée pour Barbaque.

Rien d'étonnant à ce qu'ainsi Fabrice Éboué propose une "boucherie" dans laquelle on tue dans la joie et la bonne humeur du militant végan, avant de le servir sous l'absurde dénomination de "porc d'Iran". Ce qui est en revanche une surprise, et une belle, est le fait que Barbaque soit un vrai film de cinéma, sans souci de la performance populaire qu'assure souvent le style potache sympathique, un film de genre qui s'amuse avec les codes de la comédie romantique, du genre policier et de celui de l'épouvante, le tout avec brio.

Vincent et Sophie Pascal, couple de tueurs

Filmé sobrement, avec un délicieux faux rythme, Barbaque raconte l'histoire de Vincent et Sophie Pascal, couple en crise de bouchers en crise. Un quotidien monotone et morose, désargenté et sans saveur, jusqu'à l'action de militants végan qui viennent dégrader leur petite boucherie de Melun. Une mésaventure qui aurait pu en rester là, mais le destin va s'en mêler quand ils renversent et tuent par accident un des militants. Et que celui-ci, par une négligence "heureuse", se retrouve dans la trancheuse à jambon et sur les étals de la boucherie...

Barbaque
Barbaque ©Apollo Films

Cette histoire, c'est Christophe Hondelatte qui la raconte, dans son célèbre style de Faites entrer l'accusé. Nous sommes toujours dans une comédie, mais d'une manière subtile Fabrice Éboué peint une France ignorée au point d'en être fascinante, loin des métropoles, celle qu'on ne voit que dans les faits divers. Avec ses problèmes de couple et la boucherie qui décline, entre le racisme décomplexé des uns et le militantisme passif-agressif des autres, les environs à la fois anonymes et familiers de Melun, c'est comme si Fabrice Éboué se détachait de tout ce qu'il avait filmé auparavant et voulait réaliste, pour recréer dans une comédie absurde et avec authenticité une réalité parfaite.

Et c'est dans ce cadre aussi authentique que possible que s'enchaînent avec fluidité des séquences légères de meurtres, des dialogues cruels et osés. Fabrice Éboué n'a jamais été aussi fin dans son approche, et ça lui permet une audace folle dont on accepte gaiement les conséquences.

Casting à point sur une écriture aux mille saveurs

Vincent et Sophie Pascal, nommés en doubles prénoms chers à la mythologie des tueurs en série, façon Émile Louis ou Guy Georges, vont s'amuser du goût incroyable de la viande humaine "végane". Avec le goût du sang revient la passion dans leur couple, une attirance renouvelée de Sophie pour Vincent. Avec le chiffre d'affaires qui remonte, ils ne subissent plus la condescendance de leurs odieux meilleurs amis, bouchers industriels parvenus, beaufs, racistes et vulgaires (parfaits Jean-François Cayrey et Virginie Hocq). La mayonnaise prend, et le spectateur s'amuse et jubile à voir le couple poursuivre et tuer comme dans les meilleurs slasher movies.

On retrouve le vêtement de pluie et le couteau de cuisine, accessoires classiques du tueur de cinéma. On retrouve aussi la maladresse propre aux anti-héros, élément toujours goûtu de la bonne comédie, une sidekick dont la perversité n'a d'égale que sa grande sensualité (formidable Marina Foïs), et des situations de plus en plus absurdes mais sans artifices. Simple, d'une durée idéale, concentré sur son seul récit - la comédie française se perd souvent dans le piège du film à sketchs à la narration sans cohérence -, Barbaque se développe avec humilité pour mieux faire exploser ses saillies et ses moments de bravoure.

Barbaque
Barbaque ©Apollo Films

Fausse moquerie, vraie comédie

On pouvait craindre une charge moqueuse et unilatérale de l'auteur envers une cause dont la radicalité l'agace, plus que le message. Une de ces causes aux positions parfois absolutistes que Fabrice Éboué déteste et adore tourner en dérision. Mais il n'en est rien. En portant son humour critique dans un vrai film de cinéma, il a d'abord convaincu Marina Foïs de le rejoindre, une actrice déjà nommée 5 fois aux César. C'est une chose de faire venir une des meilleures actrices françaises, c'en est une autre de lui laisser la place et d'en faire en réalité le personnage central de son film. En effet, en plus de jouer sur le thème de véganisme, il est aussi question de virilité et d'identité masculine dans Barbaque. C'est ainsi autour du personnage de Sophie Pascal que s'ordonnent les actions du film, objet du désir de Vincent et initiatrice des actions de celui-ci.

Avec elle, Fabrice Éboué s'est trouvé la complice idéale pour faire naître mille idées de cinéma. L'accroche de l'affiche n'est ainsi pas une vanne, Barbaque est bien autant un polar criminel qu'une vraie comédie romantique. Avec son inscription donc dans la comédie romantique habillée d'humour noir, qui utilise son sujet comme source d'auto-dérision générale plutôt que de moquerie, Fabrice Éboué réussit ainsi avec panache son deuxième film en solo. Sans ses complices de toujours, dans un format resserré sur ses deux principaux personnages, l'acteur et réalisateur se révèle auteur d'un cinéma à la fraîcheur séduisante.

Barbaque de Fabrice Éboué, en salles le 27 octobre 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Fabrice Éboué opère une mue avec son quatrième long-métrage en s'éloignant de la comédie essentiellement populaire, pour mettre un pied dans le cinéma d'auteur avec un humour affiné. Parfaitement écrit et interprété, "Barbaque" est une excellente surprise, de celles qui restent.

Note spectateur : 1.67 (6 notes)