Blonde : une orgie baroque et infernale de cinéma avec une formidable Ana de Armas

Blonde : une orgie baroque et infernale de cinéma avec une formidable Ana de Armas

CRITIQUE / AVIS FILM - "Blonde", biopic fictif de Marilyn Monroe réalisé par Andrew Dominik depuis le roman homonyme de Joyce Carol Oates, est un film unique, chaotique, perturbant, et d'une monstruosité exemplaire. À la fois magnifique et épouvantable, "Blonde" souhaite s'inscrire dans le grand cinéma, pour le meilleur comme aussi pour le pire.

Film d'épouvante et de poésie

À la démesure assassine sur laquelle on bâtît des pyramides, des cathédrales et des enceintes sportives en plein désert, répond logiquement la fureur sanguinaire et salutaire avec laquelle on les détruit. Brûler les icônes et leurs maisons, qu’on a jadis adorées, est en effet une passion historique de l'humanité, ivre de son idée d’immortalité puis sevré de force par les flétrissures du temps qui passe. Qui passe, et qui emporte avec lui les rires peut-être insincères de Marilyn Monroe.

Formidable créateur d’images et de sensations, en quête de l'élan qu'il avait trouvé pour son excellent L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford,  comment agit Andrew Dominik sur son sujet ? Tient-il devant la statue de Marilyn Monroe l’outil d’érection ou celui du déboulonnage ? Des questions auxquelles Blonde n’apporte pas de réponses précises, s’affairant plutôt à ouvrir les vannes d’un déluge biblique sur un public qui n’en demandait sûrement pas tant. Un déluge d'images et de sons qui n'ont qu'un - double - sujet : Norma Jeane Baker/Marilyn Monroe, formidablement incarnée par Ana de Armas.

Marilyn Monroe (Ana de Armas) - Blonde
Marilyn Monroe (Ana de Armas) - Blonde ©Netflix

Le film s’ouvre sur un double incendie, celui des collines hollywoodiennes et celui de l’enfance traumatisante de la petite Norma Jeane Baker, aux mains dangereuses d’une mère dévorée par la maladie mentale. La photographie est belle, incandescente, et l’aiguille du moteur tragique de Blonde déjà dans le rouge. Privée de figure paternelle, rapidement placée dans un orphelinat, on comprend immédiatement que Norma Jeane Baker ne trouvera pas la paix de l'âme et que Marilyn Monroe, son double de scène, non plus.

Il y a une poésie visuelle et un travail du son remarquables dans le film d’Andrew Dominik. La musique, les bruits de l’environnement, les respirations, on ressent vite une sensation d’épouvante devant le film Blonde et dans le destin de Marilyn Monroe. De tous les genres dans lesquels Blonde tend à s’inscrire, l’épouvante est le premier. Le second, par moments, pourrait être le film de guerre.

Un tapis de bombes iconographiques

Blonde est beau, et surtout il est sincère dans sa démarche iconographique de rendre hommage à la formidable muse plastique qu’était Marilyn Monroe. La grande idée du film est de créer plusieurs séquences, suivant parfois mais précédant souvent et directement des photographies iconiques. Sur son canapé, sur la plage du Maine, dans sa loge. Avec, à chaque fois, une mise en scène différente, des couleurs différentes, un moment de vie différent.

Blonde
Blonde ©Netflix

Film "horrible" à bien des égards, Blonde fait l'effet d'une plongée dans l'horreur pour son personnage, et dans l'épouvante pour son public. À fond sur l'autoroute d'une folie, vers sa source comme on remontait le fleuve d'Apocalypse Now. La démarche artistique de Blonde est en effet monstrueuse, ce qui ravira les uns autant que dégoûtera les autres. La monstruosité, la folie, les violences sexuelles et psychologiques, Andrew Dominik envoie la cavalerie sur tous les fronts.

Trop proche, trop loin, en aucun lieu

On se posait la question de sa distance à l'icône Marilyn Monroe, ici il n'en a plus du tout. Collé au corps de la star, il s'amuse à recréer son sex-appeal dans une intimité de plus en plus repoussante. Rien n'est ainsi épargné à Marilyn Monroe, ni au public. Les séquences de viol montrent des hommes puissants, un président de studio comme un président des États-Unis, agresser la jeune femme, et Andrew Dominik en fait des images saisissantes de mauvais goût. Sur 2h45 de film, on peut légitimement se demander pourquoi ces séquences n'ont pas eu un autre traitement. Elles sont en effet noyées dans le flot monstrueux et pourtant égalisé de l'ensemble.

Trop proche du corps, c'est là où Andrew Dominik accumule les fautes. Le fil rouge du film est la filiation de Norma Jeane Baker, l'absence de figure paternelle et son désir, présenté comme brouillon, d'avoir un enfant. À partir de là, Andrew Dominik crée des images très crues et violentes. Il y a le point de vue depuis l'utérus, sur des médecins menaçants agitant un spéculum. Il y a les plans sur un foetus qui parle, dans une conversation hallucinée avec Marilyn Monroe sur l'avortement. Film et biographie fictive, Blonde n'a pas à composer avec le contexte social et politique américain du moment - le film a été tourné avant l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade, mais la puissance non-contrôlée de ces fautes d'un goût très douteux nous y ramène malgré tout.

Une performance inouïe d'Ana de Armas

Raconter Marilyn Monroe, la véritable, n'est pas l'objet du film, ni celui du roman dont il est adapté. Pour son portrait ainsi fictif et libre d'une femme violée, trompée, utilisée et finalement réifiée et détruite par les hommes, Andrew Dominik utilise tout ce que la cinématographie peut proposer, aux dépens peut-être du sens de son propos. Du noir et blanc auxquels succède la couleur, un changement constant de ratios, toutes les lumières et toutes les teintes jetées dans des peintures aussi esthétiques qu'infernales.

Blonde
Marilyn Monroe (Ana de Armas) - Blonde ©Netflix

Filmée sous toutes les coutures, Ana de Armas se livre entièrement à l'intention trouble de son réalisateur, avec une intensité supérieure. Elle est pleinement Norma Jeane Baker, elle est tout autant son double Marilyn Monroe, parcourant ainsi tout le spectre de l'interprétation, du mimétisme fidèle à la pure création dans une performance unique. Femme-enfant qui voudrait grandir, on s'y attache à volonté, mais son portrait trop souvent ingénu est aussi une source d'agacement. Ana de Armas semble ainsi concourir avec son réalisateur auquel des deux s'épuisera le plus, dans un chaos total et une fusion de cinéma hors de tout contrôle.

Andrew Dominik en artiste kamikaze

Andrew Dominik hurle à travers Blonde qu'il est un auteur, et suggère qu'il en est un grand, comme Caravage ou Brueghel, comme Baudelaire, comme David Lynch - auquel il emprunte beaucoup -, enfin comme des auteurs qui établissent de la grande poésie dans la provocation et inversement. L'intention est bien là, soulignée, et sa réalisation totalitaire et sans réserve. Mais la réalisation n'est pas au niveau de cette intention, qui s'embarrasse par son propre chaos. Difficile en effet de trouver un rythme, une structure de temporalité claire quand les ellipses ne servent qu'à passer d'hommes à d'autres, impossible de trouver une unité autour de laquelle ordonner les sensations. Épuisé à l'issue de ce film-fleuve tempêtueux, on se trouve bien en peine de savoir ce que dit Andrew Dominik.

Est-ce un caprice d'artiste plasticien ? Est-ce une fable amorale maladroitement contée ? Impossible de trancher, seules restent les images bouleversantes et traumatisantes d'une Marilyn Monroe imaginée par des démons. Parce que si Andrew Dominik assure en funambule sur le fil du suicide artistique, encore faudrait-il savoir de quelle cause il se ferait le martyr. Blonde restera en effet en grande partie une énigme, un objet dont la trop grande multiplicité de (fausses) prises fait qu'on ne peut le saisir entièrement. À l'image, sans doute, de l'énigme Marilyn Monroe.

Blonde d'Andrew Dominik, disponible sur Netflix le 28 septembre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film était présenté en avant-première au 48e Festival de Deauville.

Conclusion

Note de la rédaction

"Blonde" est formidable, monstrueux, offrant un cinéma gargantuesque et ce jusqu'à l'indigestion. Avec sa cinématographie brillante, la performance majeure de son actrice principale Ana de Armas, le film d'Andrew Dominik est un hommage tragique et malade à l'icône des icônes Marilyn Monroe. À la fois aimable et détestable, il est dans tous les cas à voir par un public averti.

Note spectateur : 4 (1 notes)