Bruno Reidal, confession d'un meurtrier : un portrait fascinant de l'humain et du monstrueux

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier : un portrait fascinant de l'humain et du monstrueux

CRITIQUE/AVIS FILM - "Bruno Reidal, confession d'un meurtrier" est un premier film dont on va beaucoup entendre parler. Réalisé par Vincent Le Port et interprété magistralement par le jeune Dimitri Doré, il est le récit intime et très violent d'une histoire vraie, celle d'un meurtre qui défie encore l'entendement. Un film brillant, à ne pas recommander cependant aux âmes sensibles.

Un premier film pour une double révélation

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier est le premier long-métrage de Vincent Le Port, et le premier rôle au cinéma du jeune acteur Dimitri Doré. Un duo qui s'est bien trouvé, autour du récit d'un terrible fait divers survenu en septembre 1905 : le meurtre de François Raulhac, 12 ans, par Bruno Reidal, 17 ans. S'il n'y avait qu'un geste fou, d'une cruauté majeure, on aurait pu en rester là. Mais la particularité de ce meurtre est que son auteur l'avait entièrement prémédité, comme prémédité sa reddition immédiate aux autorités. Une énigme pour la police et les médecins, qui ne comprennent pas ce geste, ni le profil de Bruno Reidal, jeune paysan devenu séminariste, et enfin meurtrier.

Bruno Reidal
Bruno Reidal, confession d'un meurtrier ©Capricci

Vincent Le Port raconte cette histoire par la confrontation entre Bruno Reidal et les médecins et anthropologues qui veulent analyser son geste. Pourquoi a-t-il tué ? Pourquoi n'a-t-il aucun remords, aucune honte ? Quelle est sa conscience de son geste, et de lui-même ? Pour incarner Bruno Reidal à l'âge de son crime - on le voit plus jeune dans le film, interprété par deux garçons moins âgés - c'est Dimitri Doré, comédien de théâtre d'origine lettone, qui a été choisi. Celui-ci livre une performance monumentale, qui fait naître de la terreur, de l'empathie, ouvrant des portes vers son âme pour tout de suite les refermer. Avec son metteur en scène, ce sont deux révélations précieuses.

Présenté à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2021, où il a fait sensation, Bruno Reidal, confession d'un meurtrier est un film à la fois rêvé et cauchemardé, une démonstration de cinéma dans ce que cet art peut apporter à un examen général de la condition humaine. Bruno Reidal était-il monstrueux ? La réponse est complexe. Et le film va tenter de restituer cette complexité.

Bruno Reidal, au-delà du méchant et de l'anti-héros

Pour raconter ce parcours meurtrier, Vincent Le Port peint un monde rural difficile et monotone. Au début du dernier siècle, Bruno travaille à la ferme de sa famille, dans un quotidien mécanique. Il ne parle pas beaucoup, n'a pas vraiment d'amis, sourit peu. Il n'aime pas, ne déteste pas, il est là sans être là. Les belles images de Vincent Le Port montrent une campagne verte, des arbres qui se penchent dans le vent, des chemins caillouteux sur lesquels Bruno traîne sa carcasse asymétrique.

Plutôt chétif, il a en effet comme un blocage de l'épaule gauche, qui remonte et incline un peu sa tête du même côté. Son corps trahit ainsi une tension nerveuse, comme ses yeux noirs transmettent autant d'intelligence que des ténèbres impénétrables. C'est que, dans ce monde rural calme, simple, sans remous, l'esprit de Bruno est battu par de grandes vagues assassines. Depuis qu'il a l'âge de se souvenir de ses pensées, Bruno est en effet obsédé par une seule chose : tuer.

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier
Bruno Reidal (Dimitri Doré) - Bruno Reidal, confession d'un meurtrier ©Capricci

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier débute par le retour du meurtre, pour vite présenter Bruno en prison. Il lui est demandé de relater à l'oral et par écrit toute sa vie. Ses souvenirs heureux et malheureux, ses envies de meurtre, sa masturbation obsessionnelle aussi. Le jeune garçon se livre sérieusement, sans gêne, sans vice. Sans chercher à se défausser ou tromper. Auteur d'un mal terrible, la décapitation d'un camarade de séminaire, Bruno n'a rien d'un génie du mal. Il n'est pas Keyser Söze, il n'est pas le John Doe de Seven. Bruno Reidal est un narrateur fiable et apparemment dépourvu de perversité et d'intérêt personnel, ce qui est fascinant. Il va en effet se livrer, on le croit, mais on ne comprendra pas plus.

Religion, masturbation et décapitation

Bruno Reidal appartiendrait plutôt ainsi à une catégorie de personnages où trône Meursault de L'Étranger d'Albert Camus. Il a tué, il comprend où se situent le bien et le mal, mais il ne s'inscrit pas dans cette dialectique, et n'en forme aucune émotion. Tout en étant formellement très différent, il y a dans Bruno Reidal, confession d'un meurtrier comme un air de Le Ruban blanc de Michael Haneke, où on examine chez des enfants une monstruosité qui les dépasse et nous dépasse tous. Le jeune garçon incarne une absurdité fondamentale, et le récit fait par le film, alternant les séances d'analyse et les flashbacks de l'enfance de Bruno, en propose une vue frontale, très violente et terrifiante.

Bruno Reidal
Bruno Reidal, confession d'un meurtrier ©Capricci

Bruno est intelligent, a conscience de ses pulsions, et pour les combattre et peut-être changer sa condition sociale, il va s'inscrire au séminaire pour entrer dans les ordres. Au début du 20e siècle, bien que l'État et l'Église se séparent, c'est encore une carrière enviable. Et Bruno est un bosseur qui brille dans toutes les disciplines. Il veut vaincre ses pulsions de mort, comme celles qui le poussent à se masturber frénétiquement, jusqu'à épuisement. Il n'a cependant jamais goûté aux plaisirs consentis de la chair à deux, ni ne projette son désir sexuel sur des personnes clairement identifiées.

Mais il sait pertinemment qui il veut tuer, un camarade. Ou plutôt, un genre de camarade, le genre aisé, beau, à l'aise, socialement supérieur. Comme il le dit, il ressent "des choses" pour ces jeunes garçons. Ayant raté sa première cible, il va se reporter sur un plus jeune camarade, et le décapiter dans une séquence très graphique.

Dimitri Doré, l'avenir lui appartient

Le jeune garçon est ainsi entièrement soumis au combat ancestral entre l'Eros et le Thanatos, l'élan de vie et celui de la mort, concepts psychologiques associés depuis la psychanalyse freudienne. Plus que le bien et le mal, c'est donc dans cette dialectique que Bruno s'inscrit. Comme de son meurtre, Bruno, son regard terriblement noir et sa diction patiente, réfléchie, parle de ses pulsions sans détours. Le film de Vincent Le Port est formidable dans le portrait qu'il fait de Bruno Reidal, grâce à l'interprétation géniale du jeune Dimitri Doré. Froid, intelligent, ni gentil ni méchant, il se donne des traits terrifiants, aussi communs que monstrueux.

Ce que Bruno Reidal, confession d'un meurtrier réussit moins, c'est sa description d'un monde et de forces en mouvement. Pourtant, il y avait sans doute plus à dire sur la religion, le monde rural et leur violence sourde. Sur l'intelligence d'un garçon qui devine la lutte des classes, la naissance de l'anthropologie criminelle aussi - personnifiée par le professeur Lacassagne (Jean-Luc Vincent). Si le film est très beau visuellement, tirant vers la peinture avec une photographie très picturale, et que Vincent Le Port trouve la parfaite distance pour le portrait intime de son personnage, il rate quelque peu celle vis-à-vis de l'environnement qu'il décrit. Un défaut qui crée certaines longueurs, d'autant plus criantes que la performance de Dimitri Doré est elle parfaitement rendue.

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier de Vincent Le Port, en salles le 23 mars 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Patient, appliqué, brillant, le formalisme de "Bruno Reidal, confession d'un meurtrier" cache une plongée perturbante dans une monstruosité unique. S'inspirant d'une histoire vraie, le réalisateur Vincent Le Port et l'acteur principal Dimitri Doré font une entrée fracassante dans la cour du grand cinéma. À voir, mais en ayant le coeur bien accroché.

Note spectateur : Sois le premier