Carmen : la tragédie envoûtante et bouleversante de Benjamin Millepied

Carmen : la tragédie envoûtante et bouleversante de Benjamin Millepied

CRITIQUE / AVIS FILM - Benjamin Millepied se réapproprie un classique de l'opéra avec "Carmen", expérience sensorielle impressionnante où la danse se mêle à la violence. Un long-métrage audacieux, mais dont le lyrisme risque de laisser des spectateurs sur le bas-côté de ses routes désertiques.

Carmen : la danse face à la mort

Benjamin Millepied signe une magnifique séquence pour ouvrir Carmen, son adaptation moderne et libre de l'opéra de Georges Bizet. Dans le désert mexicain, une femme se lance dans une danse alors que des hommes se rapprochent d'elle en voiture. En quelques plans, le chorégraphe qui signe son premier long-métrage scelle le destin tragique de ce personnage. Plutôt que de tourner le dos à ses meurtriers, elle défie la mort à travers une danse pleine d'audace et de poésie.

Carmen
Zilah (Marina Tamayo) - Carmen ©Pathé

Un événement tragique qui précipite la fuite de l'héroïne incarnée par Melissa Barbera aux États-Unis. En parallèle, le long-métrage introduit Aidan, interprété par Paul Mescal, soldat solitaire qui ne trouve aucun job dans la bourgade américaine laissée à l'abandon où il vit. Endetté, il accepte de rejoindre une milice qui patrouille de nuit à la frontière, suivant ainsi les conseils de sa soeur Julieanne (Nicole da Silva). Il fait équipe avec Mike (Benedict Hardie), qui se met à tuer les passeurs d'un convoi. Alors que ce dernier s'apprête à tirer sur Carmen, Aidan l'abat. Ils prennent la fuite ensemble en direction de la Californie.

Carmen est donc un voyage dans des paysages sublimes, marqué par la violence mais aussi par des rencontres poétiques. Les propos réconfortants d'un chauffeur de taxi qui comprend la détresse de l'héroïne amènent par exemple de l'espoir dans ce récit fataliste. Un arrêt dans un parc d'attraction où Aidan découvre Carmen par la danse, percevant à la fois toute sa sensibilité, sa douleur et sa force, dévoile par ailleurs sans le moindre dialogue la naissance de ses sentiments pour elle.

Un romantisme brûlant

Des scènes marquantes sublimées par la magnifique composition élégiaque de Nicholas Britell, qui pourraient s'enchaîner comme une succession de performances éblouissantes mais vaines, bénéficiant également de la photographie de Jörg Widmer, steadicamer sur The Tree of Life et chef opérateur de Knight of Cups dont les plans légers et aériens suivent à merveille les mouvements des personnages. Néanmoins, Benjamin Millepied ne se focalise pas uniquement sur son esthétique. Il apporte un soin rare à l'image et au son sans oublier son histoire, celle de la renaissance et la libération par l'amour de deux êtres isolés.

Carmen
Carmen ©Pathé

En cela, le long-métrage rappelle le formidable Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, autre modernisation d'une oeuvre majeure également tournée entre le Mexique et la Californie, dans un style radicalement différent. Plus lancinant et moins sauvage que son prédécesseur, Carmen comporte cependant la même fougue romantique, le même dévouement total et bouleversant entre deux personnages qui se connaissent à peine.

Après l'apaisement, le sang

Une naïveté qui n'empêche pas le chaos de s'installer. Lors d'une longue pause chez Masilda (Rossy de Palma), marraine lumineuse de Carmen et tenancière d'un cabaret où l'expression la plus spontanée est la bienvenue, l'inéluctabilité tragique du récit se fait sentir, alors que les deux personnages semblent pourtant enfin avoir une porte de sortie. Dans ce lieu fascinant, Carmen se reconnecte avec ses racines en découvrant le passé de sa mère tandis qu'Aidan ne cherche plus à enfouir ses traumatismes.

Carmen
Carmen ©Pathé

Mais après l'apaisement et les étreintes vient la fureur prophétisée par The D.O.C., rappeur légendaire à la voix bousillée par un terrible accident qui annonce clairement au cours d'un combat à mains nues que les deux seules issues sont la mort ou la danse. Contrairement à la superbe scène d'ouverture, Benjamin Millepied refuse de choisir dans sa conclusion symbolique où les corps se mêlent à la poussière. Un ultime geste un peu trop appuyé dans un ensemble déjà extrêmement solennel, mais qui ne ruine en rien sa beauté. À condition que le spectateur accepte cette proposition singulière, parfois lourde et pouvant être tournée en ridicule et comparée à une pub de parfum avec Johnny Depp, mais totalement habitée.

Carmen de Benjamin Millepied, en salles le 14 juin 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Le lyrisme et le romantisme exacerbé de "Carmen" risque de perdre certains spectateurs, qui pourront trouver la proposition de Benjamin Millepied poseuse. Le chorégraphe et réalisateur offre cependant un spectacle audacieux et enivrant, dans lequel Melissa Barrera et Paul Mescal incarnent à merveille l'amour véritable qui unit leurs personnages.

Note spectateur : 5 (1 notes)