Chris the Swiss : fascinante résolution d'un cold case familial

Chris the Swiss : fascinante résolution d'un cold case familial

CRITIQUE FILM - Dans «Chris the Swiss», mi-documentaire, mi-animation, la réalisatrice Anja Kofmel mène une passionnante enquête sur la mort de son cousin.

Le moins que l’on puisse dire en visionnant Chris the Swiss, c’est que l’on ne peut rester indifférent à l’univers que la réalisatrice suisse Anja Kofmel met au service de son enquête pour reconstituer les circonstances du meurtre de son cousin journaliste pendant le conflit serbo-croate. D’autant qu’elle avait dix ans lorsqu’elle l’a appris et qu’elle en a trente-six aujourd’hui. En voix off, elle explique à quel point cette annonce l’a hantée. Alors elle a décidé d’entreprendre un voyage dans le passé, de donner la parole à sa famille et de rencontrer ses derniers contacts. Car la date et le lieu de la mort de Christian, journaliste d’un pays en paix, c’est le 7 janvier 1992, aux environs de Vukovar en Croatie, pays en guerre contre la Serbie depuis quelques années. Une guerre sale et floue, à seulement quelques heures de train de la Suisse, dont les massacres de civils en novembre 1991 à Vukovar hantent encore les mémoires.

Le besoin viscéral de découvrir la vérité

Anja Kofmel s’est donc rendue sur place et a enquêté, de la même manière que son cousin. Il est en effet troublant de constater que tous deux, à plus de vingt ans d’écart, éprouvent le même besoin viscéral, peut-être génétique, de comprendre. Pour Christian, il s’agissait de comprendre, par son travail de reporter de guerre, les raisons qui mènent des hommes à entrer dans une telle guerre, ou des militaires à faire appel à des mercenaires. Il mettait tout son cœur à tenter d’identifier ce moment de rupture où l’homme perd sa part d’humanité et bascule dans la barbarie, se lançant sans vergogne dans le massacre de civils innocents et incapables de se défendre.

La réalisatrice, qui dessine depuis l’enfance, a choisi la puissance et l’onirisme de l’animation en noir et blanc pour donner à voir ce qu’elle a pu imaginer du parcours de Christian en Croatie, mais aussi de ses possibles émotions, doutes et questionnements. Elle représente le pays en guerre, la neige, les rues vides, les snipers, les journalistes qui se cachent, les mercenaires qui commettent des crimes. Il y a bien sûr la mort omniprésente, symbolisée par des nuées d’insectes, quand le bruit de leurs ailes fait penser à celui des balles.

Anja Kofmel maintient habilement le suspense de la résolution de ce cold case, en choisissant d’adjoindre à ces images d’animation un judicieux mélange d’images documentaires. Certaines montrent ses investigations sur place, quand d’autres visualisent les témoignages des anciens collègues de Christian, les journalistes, les fixeurs mais aussi les mercenaires. D’autres témoins font état de théories surprenantes, dont on ne dévoilera rien. Des images d’archives resituent cette histoire dans son contexte historique et géopolitique, conférant au film un caractère à la fois intime et universel.

Un subtil patchwork d’animation, d’images d’archives et de témoignages

Christian a côtoyé l’effroi et a été plus que troublé, c’est certain. Anja prend parfois son cousin à partie dans Chris the Swiss et l’interroge avec une grande empathie sur ce moment où lui-même a perdu pied, a repoussé ses propres limites, ne s’est plus contenté d’être un observateur neutre et a décidé de s’impliquer. Engagé dans la Première section Internationale de Volontaires, fondée par son collègue journaliste Chico et composée d’étrangers, il aurait participé à certains actes contre les Serbes.

Et là encore, la petite histoire vient percuter la grande, ouvrant le champ à un pan encore peu connu de cette guerre. Voir à l’écran ces images d’archives d’entraînements des mercenaires et ces vétérans témoigner à visage découvert est d’une rare force. Il n'a sans doute pas été facile pour la réalisatrice de trouver la bonne distance émotionnelle en prenant connaissance de certains actes brutaux et inhumains. Mais c’est en replaçant Christian dans le contexte et en élargissant la perspective qu’elle y parvient justement. Car l’enquête globale prend parfois le pas sur la quête personnelle. En ce sens, par son aspect documentaire, Chris the Swiss est tout à fait complémentaire du travail réalisé par Chris Marker dans La Trilogie des Balkans.

Enfin, ce qui est aussi très intéressant dans Chris the Swiss, c’est la transformation du regard admiratif et sublimé que la petite Anja portait sur son cousin inspirant et bénéficiant d’une once de mystère. Celui que la jeune femme lui porte désormais est réaliste et sans concession, car elle rétablit une vérité sur cet inconnu au sein de sa propre famille. Elle réhabilite aussi cet homme, à qui elle rend un vibrant hommage, et dont l’adolescence mouvementée mettait déjà en évidence son impérieuse nécessité de sensations fortes et de mise en danger.

C’est sans doute pour cela qu’il était devenu reporter de guerre, éprouvant le besoin, outre celui de témoigner, celui de ressentir la fascinante poussée d’adrénaline de ceux qui touchent la mort du doigt. Mais à trop vouloir s’approcher du mal pour en saisir la substantifique moelle, il semble s’être brûlé les ailes. Grâce à un travail remarquable de reconstitution et d’assemblement de diverses pièces de puzzle, on reste suspendu jusqu’à la fin de Chris the Swiss, detective movie très personnel, qui révèle de quoi peut être capable un homme en temps de guerre, du pire comme du meilleur.

 

Chris the Swiss d'Anja Kofmel, en salle le 3 octobre 2018. Ci-dessus la bande-annonce

Conclusion

Note de la rédaction

Une passionnante enquête familiale au sein du conflit serbo-croate qui nous maintient en haleine jusqu'au bout !

Note spectateur : Sois le premier