Sans filtre : la mitrailleuse à salissures de Ruben Östlund est notre Palme de Canard-WC

Une parabole salissante de la lutte des classes

Sans filtre : la mitrailleuse à salissures de Ruben Östlund est notre Palme de Canard-WC

CRITIQUE / AVIS FILM - Ruben Östlund est de retour au cinéma avec son brûlot anti-capitaliste "Sans filtre". Une comédie aussi drôle que dégoûtante et à la tenue aléatoire, et dont le pari - réussi - est de surtout ne laisser personne indifférent. On regrettera néanmoins que cette Palme d'or (?) s'éclate plus à triturer la matière fécale que la matière grise.

Après Cannes, la Palme d'or 2022 présentée à Deauville

Depuis 2020, le Festival de Deauville propose une "résidence" cannoise. En effet, cette année-là, le prestigieux Festival de Cannes n'avait pas pu se tenir en raison de la pandémie de Covid. En bon voisin, le festival normand avait donc ouvert sa programmation à quelques titres de la sélection cannoise. Deux ans plus tard, tout le monde y trouvant son compte, cette invitation est devenue permanente. Et c'est ainsi, parmi d'autres, que Sans filtre, Palme d'or 2022, a été montré au public deauvillois, présenté par Thierry Frémaux et son réalisateur Ruben Östlund.

Ruben Östlund - Cannes 2022
Ruben Östlund - Cannes 2022 ©Stephane Mahe / Reuters

Une présentation teintée d'émotion puisque, le 29 août 2022, l'actrice principale de Sans filtre Charlbi Dean décédait brutalement à l'âge de 32 ans. Son réalisateur, visiblement touché, lui a ainsi rendu hommage, avant que les lumières ne s'éteignent pour que débute son film, sa deuxième Palme d'or consécutive après The Square en 2017.

Beauté, souillures et lutte des classes

Sans filtre s'ouvre sur une séquence géniale, un casting de mannequins masculins à la mise en scène et aux dialogues cinglants. Tout le cinéma de Ruben Östlund y est : une stylisation formelle éclatante qui soutient une écriture cynique et ironique. Dans ce casting, on découvre Carl (Harris Dickinson). Un jeune mannequin suédois d'une grande beauté et fondamentalement un gars pas méchant. Il est en couple avec Yaya (Charlbi Dean). Elle est aussi mannequin, influenceuse et bien moins naïve que Carl. Ensemble, ils mènent leur vie et font grossir leurs comptes Instagram. Des happy few "next gen", avec ce que cela peut impliquer de fausse richesse et de précarité à moyen terme.

Invités à bord d'un yacht pour une croisière luxueuse, ils vont rencontrer une faune hétéroclite d'ultra-riches, servis par un équipage aux petits soins. Mais cette croisière en apparence idyllique va tourner au cauchemar, lors du traditionnel dîner du capitaine - génial Woody Harrelson en marxiste déjanté et alcoolique -, dîner qui prend place pendant une tempête qui va coller un mal de mer carabiné à presque tous les passagers.

Sans filtre
Sans filtre ©Bac Films

Ruben Östlund a fait de la provocation sa marque de fabrique. Il semble avoir en horreur le "bon goût" et le politiquement correct, et s'en donne donc à coeur joie dans un bac à sable qu'il occupe seul puisqu'aucun autre cinéaste n'y met les pieds. Logique, car plutôt qu'un bac à sable, il serait plus juste d'évoquer un bac à merde. En effet, la majeure partie de la seconde partie de Sans filtre est une explosion de vomissures, une inondation de diarrhées où se mêlent déjections, plats gastronomiques, bile intestinale et alcools hors de prix. Livré à son propre sort, le yacht va finir par sombrer.

Une fable obscène et critique de l'ultra-richesse

Certains rient, d'autres détournent le regard. Des soupirs et des onomatopées de dégoût voisinent avec les éclats de rires. Évidemment, la démarche est grossière, vulgaire, mais elle est sensée. Ruben Östlund veut en effet interroger le rapport de chacun à la souillure, la salissure - marqueur social par excellence. Comme, par exemple, Bong Joon-ho le faisait aussi dans son génial Parasite.

Seulement, le réalisateur suédois le fait avec moins de finesse. Sans par exemple avoir une intrigue autre que celle de se demander ce que les passager de ce yacht vont devenir. Et ça, étant donné qu'ils sont essentiellement présentés comme des raclures capitalistes sans empathie, on s'en fout un peu.

Sans filtre
Sans filtre ©Bac Films

La troisième partie développe sa lutte des classes dans un survival amusant mais de moins bonne tenue que les deux premières parties. D'une durée de 2h22, Sans filtre est très long, et on sent que le cinéaste aime étirer ses séquences jusqu'à la limite du soutenable. On remarque cependant une maîtrise exquise de la mise en scène. La photographie et la direction artistique sont ravissantes, et la caractérisation des personnages limpide. Mais ravissant d'une manière finalement classique, et limpide jusqu'à en être presque simpliste.

Après The Square, Ruben Östlund montre ainsi qu'il maîtrise à la perfection le genre du "blockbuster de festival". Surprenant, amusant, forcément inédit et unique en son genre, Sans filtre méritait d'être distingué. Mais la Palme d'or peut sembler excessive pour un film qui, oui, dit quelque chose, mais vraiment pas aussi bien qu'il pense le faire.

Sans filtre de Ruben Östlund, en salles le 28 septembre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Les deux films précédents de Ruben Östlund, Snow Therapy (Force majeure) et The Square, sont disponibles sur MUBI depuis le 25 septembre.

Conclusion

Note de la rédaction

"Sans filtre" est bien plus puéril qu'il n'y paraît, sous ses apparences de critique stylisée du capitalisme. Passé son introduction de très haut vol, le film de Ruben Östlund choisit les éruptions de souillures pour amuser la galerie. Beaucoup de style mais peu de fond, pour une oeuvre amusante mais qui tire en longueur faute de savoir où aller.

Note spectateur : 2 (1 notes)