Fermer les yeux : une somptueuse recherche du temps perdu

Fermer les yeux : une somptueuse recherche du temps perdu

CRITIQUE / AVIS FILM - 31 ans après "Le Songe de la lumière", Victor Erice est de retour au cinéma avec "Fermer les yeux". Un film immense et apaisé d'un très grand réalisateur, qui laisse le spectateur avec un sentiment rare.

Fermer les yeux : sur les traces d'un vieil ami

Vieillir ne convient pas à tous les cinéastes. Si certaines légendes se sont encroûtées, n'ont pas su se renouveler ou ne sont tout simplement pas parvenues à masquer leur manque d'envie, d'autres ont traversé les décennies sans subir le poids des années. Au même titre que Clint Eastwood, Frederick Wiseman ou Marco Bellocchio, Victor Erice en fait partie.

31 ans après Le Songe de la lumière, le réalisateur espagnol est de retour avec son quatrième long-métrage, Fermer les yeux. Un immense retour, même si le cinéaste n'a jamais vraiment cessé de tourner. Ce drame débute avec une séquence d'un film inachevé de Miguel Garay (Manolo Solo), La mirada del adios, dans lequel un père solitaire et vieillissant demande à un homme brisé de retrouver sa fille afin de pouvoir échanger avec elle un ultime regard.

Un adieu auquel Miguel n'a pas eu droit avec son meilleur ami et acteur fétiche Julio Arenas (Jose Coronado). Après la disparition soudaine du comédien, le tournage de La mirada del adios a été interrompu, les années ont passé et Miguel n'a plus jamais réalisé de long-métrage.

Fermer les yeux
Miguel Garay (Manolo Solo) - Fermer les yeux ©Haut et Court

Désormais traducteur, il est un jour contacté par la productrice d'une émission qui souhaite revenir sur le destin tragique de Julio. Le cinéaste accepte d'y participer et de se confier sur leur relation. Son voyage à Madrid le plonge dans le passé et ravive l'intime conviction que son ami torturé et frondeur n'est pas mort et a peut-être démarré une nouvelle vie ailleurs. Une certitude renforcée par un coup de téléphone qui va changer sa vie.

Le souvenir, pas la nostalgie

Se déroulant essentiellement à Madrid, en dehors du segment de La mirada del adios dévoilé en ouverture, la première partie de Fermer les yeux est le fabuleux portrait d'un personnage qui a renoncé à un chapitre de sa vie sans pour autant la rater, avec la sagesse de ceux qui savent lâcher prise sans se tourmenter et s'octroyer une importance factice. Une humilité grâce à laquelle le spectateur s'attache très rapidement à Miguel.

Sans entrer dans une forme d'errance déprimante, le protagoniste prend le temps de se confronter à plusieurs fragments de son passé. Un regard dans le rétroviseur sur lequel Victor Erice s'attarde longuement, insistant sur cette forme d'agréable contemplation avec des transitions appuyées, l'un de ses merveilleux talents qu'il maîtrise depuis L'Esprit de la ruche, son premier long-métrage.

Fermer les yeux
Miguel Garay (Manolo Solo) - Fermer les yeux ©Haut et Court

Les fondus ouvrent sur de nouvelles retrouvailles, où un verre partagé et une chanson entonnée à plusieurs valent autant que des paroles pour faire resurgir des souvenirs lointains. Des souvenirs que le recul et l'expérience permettent d'apprécier, et ce malgré la douleur provoquée par la mort d'un fils, la disparition d'un proche et l'évaporation d'un amour autrefois très fort.

Le renoncement et l'acceptation salutaires que décrit Victor Erice empêchent toute nostalgie, qui viendrait embellir un passé nettement plus complexe, parfois joyeux et parfois tragique, que le spectateur observe ou devine bouleversé. Et une fois ce passé digéré, c'est sur le présent que le réalisateur se concentre à travers une deuxième et une troisième parties encore plus touchantes.

Un cinéaste en état de grâce

Après les rues et les couloirs gris de Madrid, Victor Erice pose sa caméra dans un petit campement en Andalousie installé non loin de la mer et dans un couvent accueillant des personnes démunies. Des lieux certes modestes mais lumineux, où les gestes et les moments passés ensemble s'avèrent encore plus puissants qu'ils ne l'étaient durant la première heure. Et parmi ces gestes figure évidemment le cinéma.

Alors que la petite fille de L'Esprit de la ruche découvrait un monde en visionnant le Frankenstein de James Whale, la projection qui clôt Fermer les yeux permet de se rappeler son propre monde, d'y retourner sans regretter qu'il ait disparu mais en célébrant le fait qu'il ait justement pu exister. C'est ce que semble sous-entendre la dernière image poignante, qui vient clore une magnifique succession de plans rapprochés sur des visages marqués par le temps mais que la fatalité n'a pas su briser.

Fermer les yeux
Ana Arenas (Ana Torrent) - Fermer les yeux ©Haut et Court

Depuis toujours, le cinéma est une source d'espoir pour Victor Erice. Le fait de constater que ce sentiment n'a pas changé malgré les années d'absence dans les salles et les nombreux projets avortés (comme la deuxième partie de l'inachevé Le Sud) représente une profonde source de joie pour le spectateur.

La simplicité de sa mise en scène n'est en rien une marque de lassitude. Elle est avant tout au service de personnages superbement incarnés qui savourent des retrouvailles imprévues et qu'ils ont logiquement envie de faire durer, ce que le cinéaste fait pour eux. Cinquante ans après avoir sublimé l'enfance dans L'Esprit de la ruche, Victor Erice signe l'un des plus beaux films sur la vieillesse avec Fermer les yeux, aboutissement bouleversant qui fait écho à sa carrière tout en réussissant à exister seul.

Fermer les yeux de Victor Erice, en salles le 16 août 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Chef-d'œuvre sur le renoncement, l'acceptation et la persistance de l'espoir malgré le temps qui passe, "Fermer les yeux" laisse le spectateur dans une forme de plénitude que le cinéma atteint rarement.

Note spectateur : Sois le premier