Hard Eight : et PTA entra en jeu...

Hard Eight : et PTA entra en jeu...

CRITIQUE FILM - Apprécié lors de sa sortie en 1996 aux US mais resté quasi confidentiel en France, "Hard Eight", le premier film de Paul Thomas Anderson ressort en salles et pour la première fois en France ce mercredi 21 novembre. Déjà constitué des thématiques et de quelques manières propres à l'auteur de "There will be blood", ce polar noir, iconique des années 90, est à la fois l'ouverture du cinéma de PTA, et en lui-même un excellent film.

En 1996, le jeune Paul Thomas Anderson présente Hard Eight au Festival de Cannes, dans la section "Un Certain regard". Ce film, son premier long-métrage, est un développement de Sydney, son personnage principal dans son court-métrage Coffee and cigarettes présenté et acclamé à Sundance en 1993. Il retrouve ainsi l’acteur Philip Baker Hall, auquel s’adjoignent notamment John C.Reilly et Philip Seymour Hoffman. On retrouvera ces trois acteurs ensemble dans Boogie Nights puis MagnoliaInédit dans les cinémas français, après une sortie en DVD en 2000, le film bénéficie d'une ressortie initiée par le distributeur Splendor.

Le premier feu

Une filmographie en devenir, c’est comme une nuit à éclairer. On procède par de premiers éclairages, pour poser les points cardinaux d’une exploration. Avec Hard Eight, il y a déjà beaucoup de ce qui fera le succès de son réalisateur, jusque dans sa fabrication. En effet, suivant la volonté de PTA, le montage initial devait durer 2h30. Il acceptera finalement et à regrets une durée d’1h41, et créera dans la foulée sa propre société de production pour garder la maîtrise totale de ses films. Déjà, Paul Thomas Anderson a une idée très précise de ce qu’il veut faire, et quoi que ce soit cela aura de l’ampleur. Hard Eight présente ainsi, comme ses successeurs, une rencontre magnifique, triste et poétique, de personnages solitaires.

Que ce soit sur la direction exemplaire de ces comédiens ou sur la première exploration de son thème fétiche de la rencontre, Paul Thomas Anderson réussit un excellent film, précurseur de ses œuvres futures, plus grandes et plus belles, mais respectueuses de l'ébauche du cadre imposé par ce premier long-métrage.

Le premier père ?

A une heure fraîche, dans le semi-désert du Nevada, Sydney (Philip Baker Hall) rencontre John (John C. Reilly). Sydney est âgé, il est peut-être riche, peut-être pas. Il est amical, mais il a quelque chose de menaçant. Sydney est un joueur professionnel, John est un jeune homme déboussolé qui a tout perdu au jeu et ne peut pas payer l’enterrement de sa mère.

Cette rencontre préfigure les grandes rencontres qui suivront dans la filmographie du réalisateur, des rencontres filiales, où la figure du père, toujours substitué, est centrale : on pense à Jack Horner dans Boogie Nights ou Daniel Plainview dans There Will be blood. Sydney est-il un père pour John ? Sydney est-il le dieu, le régulateur du monde froid et décadent où ils survivent ? Il y a dans Hard Eight les portraits précis et pénétrants de ses personnages, ainsi que le rapport à la puissance et à la manipulation cher à l’auteur.

Dans ce rôle de Sydney, Philipp Baker Hall est inoubliable. Les plans frontaux et serrés sur ses yeux bleus instillent avec délice un malaise grandissant. Que cherche-t-il ? Le film, même coupé, reste contemplatif, et sa partition est suggérée. A l’inverse, John C.Reilly et Gwyneth Paltrow jouent la jeunesse et ses limites, une forme de bonhommie crasse et inconséquente qui se fond à merveille dans les décors déprimants des casinos de seconde zone. Déjà, la passion du réalisateur pour le jeu d'acteur crève l'écran.

Un polar de luxe pour un tour de chauffe

Le film a des influences scorsesiennes : dans ses dialogues, et dans sa mise en scène. A Reno et non pas à Las Vegas, avec une mise en scène minimaliste et des plans-séquences soignées, PTA joue presque avec le Casino de 1995, choisissant le contrepied parfait au chef d’œuvre baroque de Scorsese. Philip Seymour Hoffman apporte sa folie lors d’une séquence culte, et Samuel L. Jackson se régale dans un registre ambigu, le même où il éblouira dans Jackie Brown de Quentin Tarantino. Certaines séquences sont magnifiques, déjà témoins d'une maîtrise hallucinante, comme l'est la magistrale introduction. D'autres sont moins percutantes, et peut-être est-ce dû à son désir de se démarquer des habitudes du genre et des styles de ses confrères. Paul Thomas Anderson ne réussit pas tout dans Hard Eight, notamment une narration qui passe de la contemplation à la précision d'une intrigue policière moyenne.

Cependant, rétrospectivement, on peut observer que tout raccroche Hard Eight au grand cinéma noir des années 90. Si l’on retiendra surtout Boogie Nights, pour l’ampleur formelle à laquelle PTA restera ensuite fidèle, comme son premier grand film, il serait injuste d’ignorer Hard Eight, celui-ci étant une forme de croquis inachevé et enragé de tous les films suivants.

 

Hard Eight (1996) de Paul Thomas Anderson, ressortie en salle le 21 novembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Hard Eight s'apprécie comme un très bon film des années 90, dans leur penchant pervers pour le noir de gala, le tout nimbé d'une jolie mélancolie. Dans le rétroviseur d'Hard Eight, on voit aussi beaucoup d'autres choses : des acteurs déjà immenses ou qui le deviendront, un amour profond du cinéma et de la mise en scène, enfin la découverte du cinéma de PTA, entamant tout juste sa route vers la grandeur. A (re)voir sans hésitation.

Note spectateur : Sois le premier