Je verrai toujours vos visages : la justice autrement

Je verrai toujours vos visages : la justice autrement

CRITIQUE / AVIS FILM - "Je verrai toujours vos visages", le dernier long métrage de Jeanne Herry, plonge avec délicatesse le spectateur dans l’univers et l’émotion de la justice restaurative. Avec Élodie Bouchez, Gilles Lellouche et Leïla Bekhti.

La justice restaurative: libérer les émotions par la parole

La réalisatrice Jeanne Herry, rencontrée à Bordeaux, dit que « son métier, c’est fouiller et raconter le monde et éclairer un endroit du réel qui existe et qui n’est pas fantasmé ». Déjà, dans Pupille, elle abordait avec pudeur l’accouchement sous X et l’adoption. Dans Je verrai toujours vos visages, elle éclaire avec brio le spectateur sur la justice restaurative, qui existe en France depuis 2014.

Ce dispositif peu connu propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction, tous volontaires, de dialoguer dans des lieux sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles. Pour autant, la réalisatrice évite subtilement l’écueil du documentaire, préférant « planter des graines de fiction dans ce terrain de jeu propice ». Car elle parvient précisément à donner vie aux protagonistes grâce au partage des ressentis des personnages attachants.

Je verrai toujours vos visages
Je verrai toujours vos visages ©Studiocanal

Ainsi le spectateur découvre la démarche aux côtés de Michel (Jean-Pierre Darroussin) et Fanny (Suliane Brahim), conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Soutenus par le regard bienveillant de Judith (Élodie Bouchez) et Paul (Denis Podalydès), ils rencontrent les détenus qui se prêtent au jeu et animent les cercles détenus - victimes.

Malgré la distance nécessaire à leur mission, tous sont émouvants dans leurs doutes et leurs partages d’expérience. Car il faut de la volonté et de l'abnégation pour ne pas juger ces détenus qui vont rencontrer, non pas leurs victimes, mais des victimes du même type d’actes qu’ils ont commis.

Comprendre et pardonner

Jeanne Herry donne ainsi à voir les séances en huis clos, filmant les visages et les regards. Elle s’attarde sur les corps repliés des victimes qui vont peu à peu retrouver leur aisance et reprendre goût à la vie. La réalisatrice renverse judicieusement les clichés,puisqu’elle choisit de montrer des victimes assez agressives avec les détenus.

Grégoire (Gilles Lellouche),  Nawelle (Leïla Bekhti) et Sabine (Miou-Miou) racontent la peur ressentie longtemps après et ne pardonnent pas ce qu’ils ont subi. Nassim (Dali Benssalah), Issa (Birane Ba) et Thomas (Fred Testot), tous condamnés pour vol avec violence, font plutôt le dos rond. Ils cherchent des explications à leurs actes et leurs choix de vie quand les victimes démontent leurs arguments.

Je verrai toujours vos visages
Je verrai toujours vos visages ©Studiocanal

Ce qui est bien montré dans Je verrai toujours vos visages, c’est la capacité mutuelle d’écoute et de compréhension qui trouve une vibration commune et facilite le chemin des uns vers les autres. Le mot "comprendre" est d’ailleurs souvent utilisé dans le film, faisant reconnaître à Jeanne Herry qu’elle « se doit d’être un peu pédagogue, trouvant beau que tout le monde donne à entendre sa subjectivité ». Mais même si les détenus ont été préparés dans cette démarche, la fin idyllique de leur prise de conscience dans cette première part du film, est moins convaincante.

La parole salvatrice

La réalisatrice offre au spectateur la possibilité de découvrir l'autre face de ce dispositif, la médiation restaurative. Cette seconde intrigue s’insère dans la première, par le biais de Judith. Elle fait le lien en répondant à la demande de Chloé (Adèle Exarchopoulos) de rencontrer son frère incestueux. Là encore, la base du volontariat n’est pas signe de facilité, puisque Chloé se retrouve bousculée et replongée dans ses émotions d’adolescente.

Mais elle affronte avec courage ses mauvais souvenirs traumatiques, en résonance avec les métaphores sur la boxe utilisées tout du long par Jeanne Herry à propos de cet outil. Je verrai toujours vos visages se révèle donc un film d’utilité publique passionnant et courageux, qui incite la société à aller à l’encontre des préjugés et à réfléchir au poids de la parole des victimes et de celle des détenus.

Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, en salle le 29 mars 2023.  Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Je verrai toujours vos visages" éclaire brillamment un pan méconnu de la justice et donne à voir l'utilité de la libération de la parole des victimes et des agresseurs.

Note spectateur : 5 (3 notes)