La Conférence : histoire vraie et film d'horreur

La Conférence : histoire vraie et film d'horreur

CRITIQUE / AVIS FILM - "La Conférence" raconte comment, en janvier 1942, les dignitaires nazis se réunissent pour apporter la "Solution finale" à la "question juive". Assumant sa nature de fiction, tout en dégageant une grande force documentaire, le très sérieux et réussi film de Matti Geschonneck terrasse néanmoins plus par son sujet que par sa forme.

Immersion dans la banalité du mal

Que n'aurait-on pas donné pour que La Conférence de Matti Geschonneck soit une pure fiction ? À quel sacrifice n'aurait pas consenti l'humanité, de la première seconde passée depuis l'accession au pouvoir d'Adolf Hitler en 1933 jusqu'à celle, aujourd'hui, de sortie dans les salles ce film d'horreur, pour que celui-ci ne soit que la création d'un esprit délicieusement et profondément détraqué. On pourrait, une fois les lumières rallumées, partager notre immense et jouissif effroi devant l'écriture géniale de ces personnages masculins, si humains et civilisés dans leurs manières, qui pensent et agissent de façon si inhumaine. On rirait, on s’émerveillerait de la folle invention de cet invraisemblable mais si réaliste univers, parce que celui-ci ne serait qu’une fantaisie, aussi profondément sombre soit-elle.

La Conférence
La Conférence ©Condor Distribution

Comme dans tout bon film d'horreur, il y a un lieu central. Ça peut être un manoir, comme une simple maison, ou une forêt. Il y a aussi une arme : une tronçonneuse, un couteau de cuisine, un poison. Et puis les victimes : des jeunes filles, une famille. Enfin, un ou des bourreaux : monstres, zombies, psychopathes, etc.. Dans La Conférence, l'endroit est une élégante villa de l'ouest de Berlin, au bord d'un lac, la villa Marlier. L'arme : la loi et son application. Les victimes : 11 millions d'êtres humains. Les bourreaux : des nazis. Évidemment, le huis clos sied parfaitement à l'horreur. L'enfermement, la promiscuité, la porte qu'on ne franchira qu'une fois l'horreur commise, achevée.

Et parfois vengée, si la fin est heureuse...

Quinze hommes en folie

Dans La Conférence, l'horreur prend la forme d'un film de procédure, une réunion de quelques heures de quinze hommes, le 20 janvier 1942. Plus précisément, ces quinze hommes sont les dirigeants, ou leurs délégués, du IIIe Reich. Ce jour-là, dans cette belle villa dont l'environnement est décrit par l'un deux comme "calme et tranquille", ils doivent ensemble établir ce qu'ils appellent "la Solution finale" à la "question juive". Entendre : éradiquer la population juive des territoires du Reich, et au-delà. Cette conférence est menée par Reinhard Heydrich, général SS et chef de la sûreté de l'État. À ses côtés et sous ses ordres, le chef de la Gestapo Heinrich Müller et son adjoint Adolf Eichmann.

Heinrich Müller (Jakob Diehl) - La Conférence
Heinrich Müller (Jakob Diehl) - La Conférence ©Condor Distribution

Ces trois hommes ont un objectif, asseoir leur autorité vis-à-vis des autres dirigeants présents, et prendre en charge sans contraintes la planification et l'exécution de l'assassinat des 11 millions de Juifs alors recensés en Europe.

En face d'eux, ils doivent ainsi composer avec les représentants des territoires occupés, ceux de la Pologne et des autres pays de l'Est envahis par les armées d'Hitler. Avec, aussi, le représentant du ministère des affaires étrangères, celui du ministère de la Justice, et ceux d'autres ministères encore. Tous ont leur mot à dire : combien cela va coûter ? Comment cet effort d'extermination peut-il être fait sans affaiblir l'effort de guerre ? En effet, avec les États-Unis et leurs alliés sur le front Ouest et la Russie sur le front Est, les forces nazies sont cernées. Peut-être, sûrement, que ces haut-gradés, docteurs, experts de leur domaine, savent qu'ils ont déjà perdu cette guerre. Mais dans leur folie froide, dans la banalité et le naturel avec laquelle ils portent le Mal, rien ne les arrête.

Procédure contre morale

Dans ce groupe, quelques timides voix émettent des réserves. Notamment celle de Friedrich Wilhelm Kritzinger, secrétaire de la chancellerie, qui ne cache qu'avec peine son malaise quant à l'horreur qui se joue. Lui, qui dit admettre que "l'histoire de la race juive s'achève", laisse échapper qu'il souhaiterait simplement que "les Juifs s'évaporent dans l'air". On le perçoit, grâce soit rendue au jeu de l'acteur Thomas Loibl, qu'il ne supporte pas les calculs des autres participants. Comment faire pour économiser 11 millions de balles de fusil ? Et si la réquisition des biens des Juifs "évacués" finançait directement la Solution finale ? Acquiescement du représentant du ministère de l'économie. Quel moyen le plus "humain" possible pour donner la mort ? "Humain" pour les bourreaux, évidemment, parce que ceux-là reviendront à la vie civile et il faut donc préserver leur santé mentale... Combien de trains ? Combien "d'unités" par wagon à bestiaux ?

La Conférence
La Conférence ©Condor Distribution

Pensé comme une donnée biologique, comme une gangrène qui pourrit le corps que constitue la population allemande aryenne, le peuple juif est aussi une donnée économique. Peut-on se priver de certaines expertises qu'ont développées certains de ces Juifs ? Ne faudrait-il ainsi pas des exemptions pour les ouvriers spécialisés ? Et que fait-on des demi-juifs, ceux qui sont issus d'un mariage mixte ? Un des dialogues les plus durs est sans doute celui où sont évoqués les Juifs de Berlin. Parce que ceux-là vivent dans la ville du pouvoir, parce qu'ils ont des amis, parce qu'ils sont directement visibles, leur "évacuation" pourrait troubler l'ordre public et faire perdre l'adhésion du peuple allemand aux grands projets du Führer.

Quand le fond élimine la forme

Fiction historique, film de procédure horrifique, La Conférence est mise en scène et interprétée avec sobriété. Jeux de regards pour jeux de pouvoirs. Argumentaires contre argumentaires, questions et réponses. Tourné à la villa Marlier, le film se joue dans quatre décors. La salle de conférence, semblable à n'importe quelle salle où se tiendrait n'importe quel conseil d'administration, une pièce adjacente où ces assassins en costumes trois-pièces vont déjeuner, la façade et la terrasse de la villa. Il n'en faut pas plus, au sens de Matti Geschonneck, pour montrer qu'une grande partie du destin de la population européenne se joue là.

La Conférence relate la conférence de Wannsee, événement historique parmi les plus sombres de l'histoire de l'humanité. Ce faisant, ce film de fiction a une grande force documentaire, écrit depuis le compte-rendu établi par Adolf Eichmann. Tout est vrai. À ce titre, le film La Conférence doit être montré, vu, ressenti, commenté, partagé. À ce titre, on lui pardonnera aussi son défaut artistique, son peu d'ambition cinématographique où finalement le sujet lui-même provoque les sensations que les images peinent à transmettre, en dépit de l'application des acteurs et des techniciens.

Le choix de montrer l'horreur uniquement par son élaboration bureaucratique était le bon, et potentiellement le plus puissant quand le cinéma s'est déjà beaucoup versé dans sa représentation directe. Il y avait cependant plus à faire, puisque le film n'est pas documentaire, en explorant comment cette assemblée d'horreur pouvait apparaître de manière inédite, et ainsi générer par la sensation, le rappel toujours nécessaire de notre devoir de mémoire.

La Conférence de Matti Geschonneck, en salles le 19 avril 2023Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Sérieux, appliqué, "La Conférence" se regarde comme un film d'horreur, terrifiant par la description de ces hommes élaborant l'éradication de la population juive d'Europe. Un film qui aurait pu être moins sobre pour ne pas reposer finalement que sur sa force documentaire.

Note spectateur : Sois le premier