La Femme de Tchaïkovski : une tragique passion amoureuse

La Femme de Tchaïkovski : une tragique passion amoureuse

CRITIQUE / AVIS FILM - Nouvelle oeuvre sombre de Kirill Serebrennikov, "La Femme de Tchaïkovski" présente l'amour passionnel et maladif d'Antonina Miliukova, l'épouse du célèbre compositeur russe.

L’amour à sens unique de la femme de Tchaïkovski

Dans le roman de Stefan Zweig Lettre d’une inconnue (1922), dès les premières pages une femme annonce sa mort certaine dans une lettre destinée à l’homme qu’elle a aimé. Une manière de nous poser d’emblée la tragédie d’une terrible histoire d’amour. Dans le même esprit, Kirill Serebrennikov débute son nouveau film, La Femme de Tchaïkovski, par le décès du célèbre compositeur russe.

Sa veuve, Antonina, après avoir eu bien du mal à trouver quoi indiquer sur la couronne funéraire, se rend enfin devant son corps. Tchaïkovski est mort, mais se relève soudain, agacé par la présence d’Antonina. Une illusion certaine qui se mêle au réel, dans un style que maîtrise si bien Serebrennikov (Leto, La Fièvre de Petrov).

Aliona Mikhaïlova - La Femme de Tchaïkovski ©Bac Films
Aliona Mikhaïlova - La Femme de Tchaïkovski ©Bac Films

Ainsi, comme Lettre d’une inconnue, La Femme de Tchaïkovski raconte l’histoire d’un amour à sens unique, d’une passion maladive et tragique, dont la finalité est déjà connue. Et comme avec Leto, Serebrennikov n’a finalement que faire de la grandeur d’un artiste (Leto s’arrête avant le succès du groupe Kino), privilégiant le drame intime.

Antonina, un personnage complexe

Il y a dans le cinéma de Serebrennikov un désespoir fascinant. Même si Leto disposait de moments musicaux entraînants, derrière la naissance de l’artiste Viktor Tsoï, on ne pouvait s’empêcher de ressentir une profonde mélancolie en voyant s’éloigner son mentor, Mike Naoumenko, en guise de conclusion. Mais avec La Femme de Tchaïkovski, le réalisateur s’enfonce définitivement dans les ténèbres avec pour décor la froide Russie du XIXe siècle.

Mais pas de misérabilisme pour autant. Et même si on en ressort ébranlé, La Femme de Tchaïkovski demeur saisissant. Tout réside dans la complexité de son héroïne, Antonina. Elle n’est pas une simple victime, et est même en partie responsable de son sort. Ses premières rencontres avec Tchaïkovski sont loin d’être idylliques. L’artiste n’affichant aucun intérêt pour elle, et la repoussant dans un premier temps. Logique, étant donné sa préférence pour les hommes.

La Femme de Tchaïkovski ©Bac Films
La Femme de Tchaïkovski ©Bac Films

Sauf que devant l’insistance de la jeune femme, qui souhaite à tout prix l’épouser, et voyant là un moyen de soigner son image face aux rumeurs portant sur son homosexualité, Tchaïkovski accepte finalement de s’unir à elle. Bien que toutes et tous autour d’Antonina l’assurent de son erreur et qu’elle en souffrira, elle s’enfonce toujours plus dans une forme de déni. Ne remarquant même pas les signes de mauvais augure le jour de son mariage - l’alliance trop petite, une bougie qui s’éteint.

Antonina n’en aura alors que faire, et n’acceptera pas non plus les rejets de plus en plus fréquents de son mari. Un homme qui, d’ailleurs, n’a rien d’un bourreau, bien qu’il affiche un manque de sensibilité désarmant.

Serebrennikov, ou l’art du désespoir

Ainsi, Serebrennikov dépeint en premier lieu une société dure envers les femmes et hypocrite. Une société prête à protéger “son” artiste, Tchaïkovski, si cela sert les intérêts et l’image de la Russie. Un clin d'œil certain à la condition de Serebrennikov. Le cinéaste, critique envers son pays (dans ses films comme publiquement), avait été arrêté et assigné à résidence en 2017 suite à des accusations de détournement.

À la manière de La Fièvre de Petrov, mais sans tomber dans l’excentricité de ce dernier, La Femme de Tchaïkovski développe une ambiance étouffante sans aucune lueur d’espoir et où la folie s’installe au fur et à mesure. La mise en scène de Serebrennikov est une fois de plus d’une précision remarquable. Le cinéaste ayant cette capacité à gérer à merveille l’espace, il propose ici et là de courts plans-séquences au sein même desquels se jouent certaines ellipses.

Aliona Mikhaïlova - La Femme de Tchaïkovski ©Bac Films
Aliona Mikhaïlova - La Femme de Tchaïkovski ©Bac Films

L'atmosphère onirique fait parfois douter de ce qui est vrai ou non, comme une traduction de la paranoïa qui accompagne les divagations d’Antonina. Comme cette conversation tendue entre Antonina et Tchaïkovski après une de ses prestations. Si leur rencontre se conclut par un baiser oppressant, voile collé au visage pour Antonina et point serré pour Tchaïkovski (image de l’affiche française du film), la disparition du cadre de l’artiste ajoute à l’incertitude vis-à-vis du réel.

Que dire alors de cette dernière séquence aussi magnifique qu’effrayante, danse contemporaine sous fond de musique anachronique où Anatonia passe de bras en bras d’hommes virils. Le dernier point au sommet d’une prestation magistrale de la comédienne Aliona Mikhaïlova qui rend empathique la désespérante aliénation de son héroïne, détruite par son amour obsessionnel.

La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov, en salles le 15 février 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Découvrez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

On s'enfonce dans les ténèbres avec "La Femme de Tchaïkovski", sublime tragédie proposée par Kirill Serebrennikov. Le réalisateur offre un portrait passionnant et complexe d'Antonina Miliukova, dont l'amour fou et à sens unique demeure empathique. Éprouvant et magistrale !

Note spectateur : 3 (1 notes)