Le Consentement : horreur et procès d'une société malade

Le Consentement : horreur et procès d'une société malade

CRITIQUE / AVIS FILM - Avec deux formidables comédiens, Vanessa Filho adapte le terrible récit de Vanessa Springora "Le Consentement". Inégal et imparfait, il n'en reste pas moins une plongée courageuse dans l'horreur, ainsi qu'une peinture perspicace du rapport malade que la société entretient aux femmes.

Après le récit littéraire, le film

Le film de Vanessa Filho, adapté du récit éponyme de Vanessa Springora, n'est pas parfait. Mais ce serait injuste d'en attendre autant, quand la démarche artistique et esthétique se saisit aussi frontalement, sans détours ni recours lâches aux artifices, d'une histoire si vraie et si terrible. Le Consentement met en effet en images le récit autobiographique de Vanessa, qui a l'âge de 14 ans a entretenu une relation sentimentale et sexuelle avec l'écrivain Gabriel Matzneff, au milieu des années 80.

Adolescente, douée pour l'écriture, elle vit à Paris avec sa mère dans un milieu et à une époque où les moeurs "libérées". Enfin, "libérées"... Gabriel Matzneff a lui 50 ans et est un écrivain reconnu, admiré, choyé par le milieu littéraire. Il ne s'en cache pas : il aime faire l'amour à des enfants, garçons et filles, dans son petit appartement parisien comme à l'étranger où il se rend souvent. Il ne se cache pas d'être un pédophile, puisqu'il raconte ces relations dans ses publications.

Le Consentement
Le Consentement ©Pan européenne

L'homme est intelligent, charismatique, doux au premier abord. L' admiration de Vanessa, le prédateur qu'est Gabriel Matzneff va l'utiliser pour abuser d'elle, pour créer une emprise sur son corps et ses sentiments. Vanessa est-elle consentante ? Elle l'est. Elle aime l'homme, elle se sent privilégiée, elle se sent exister et être considérée dans cet "amour". Avant que, la relation se terminant, elle ne prenne alors conscience de l'anormalité de cette relation et de son caractère totalement abusif.

Tout l'enjeu du récit de Vanessa Springora et celui du film de Vanessa Filho est là : comment admettre un abus si on y a consenti ? Un viol est-il un viol s'il n'est pas ressenti comme tel ? À quel point peut-on être trompé, à ce point de croire qu'au contraire on serait dans "le vrai" ? En tant qu'artiste, comment montrer cette zone d'une intimité totale, d'une indicibilité totale ? Qu'est-ce qui appartient au cauchemar vécu rétrospectivement ? Qu'est-ce qui appartient à la réalité du moment ?

Une forme inaboutie

C'est dans cet univers physique et mental, un univers torturé, que Vanessa Filho construit un film aux sensations aussi intenses que confuses. Parfois, le naturalisme de l'image plonge le spectateur avec justesse dans une réalité épouvantable. Parfois aussi, l'image prend une lumière onirique, quelque chose d'éthéré infuse l'écran, jusqu'à une douceur gênante. Formellement, Le Consentement aurait comme pris un peu de la perdition du personnage de Vanessa. Tout en tenant bien son fil rouge - le portrait en creux d'une société permissive avec la pédophilie bourgeoise -, le film part dans plusieurs directions au moment de se donner en sensations. Cela fonctionne souvent mais parfois pas du tout, comme lors de la représentation ratée, et qui confine tout bonnement au malaise, d'une relation sexuelle entre le cinquantenaire et l'adolescente.

Sur ce plan de la sensation esthétique, Le Consentement apparaît dans une forme de continuité avec L'Événement d'Audrey Diwan. Deux films sur le corps féminin, sur son obligatoire soumission à l'emprise des hommes et de la société, sur combien le corps et l'esprit qui l'anime peuvent s'offrir comme champ horrifique. Mais là où Audrey Diwan parvenait grâce à une mise en scène exceptionnelle à rendre de manière uniforme cette idée, Vanessa Filho ne fait que la moitié du chemin. Apparaît alors, mais malheureusement comme une béquille, la grande performance des deux acteurs principaux.

Jean-Paul Rouve, glaçant dans un rôle terrible

Kim Higelin incarne avec une intensité remarquable la jeune Vanessa. Physiquement, elle occupe l'espace avec une grâce contrariée par l'horreur des situations où elle se trouve. La performance est là, et l'actrice joue bien les différentes sensations vécues dans cette relation. Mais, là où peut-être la direction d'acteurs lui fait défaut, elle "joue", elle incarne, plus qu'elle "serait" Vanessa. Il y a ainsi un effet de distance quant à ce qu'elle voudrait faire ressentir. Trouble du personnage, trouble de l'actrice ? La confusion dans le corps et l'esprit de Vanessa n'est pas rendue ainsi, comme un chaos dramatique, mais plutôt comme une barrière, faisant du coeur du film - un drame intime et horrifique - un endroit inaccessible. Nonobstant cette limite, la jeune actrice livre une performance notable et prometteuse.

Le Consentement
Le Consentement ©Pan Européenne

Évidemment, quant au grand défi d'incarnation, c'est vers Jean-Paul Rouve qu'il faut se tourner. Celui-ci, extrêmement populaire et célébré dans le registre comique, compose ici un anti-Jeff Tuche. Le crâne chauve, l'intelligence acérée et la charmante amabilité du monstre qui se dissimule. Le portrait qu'il fait de Gabriel Matzneff est très réussi, dans la mesure où il est source d'un effroi majeur. Ses mains, son regard, et son corps toujours droit qui s'oppose à toute tentative d'échapper à son emprise, tout est une menace, tout son personnage est une surface vénéneuse qui empoisonne au premier toucher. Le Consentement est l'histoire de Vanessa. Mais aussi celle de son tortionnaire qui, par le portrait qui en est fait, incarne toute une société qui complaisamment fermé les yeux sur sa pédophilie.

Une terrifiante peinture sociale

Que ce soit avec la lâcheté de la mère (Laetitia Casta), avec l'éditeur et les amis goguenards de Matzneff qui s'amusent de ses conquêtes, avec un petit ami de Vanessa sain d'esprit, Le Consentement raconte un milieu privilégié qui s'est autorisé l'inconcevable. Cette critique des "moeurs libres" des années 70 et 80 est d'ailleurs une dimension bien plus importante dans le livre de Vanessa Springora qu'elle ne l'est dans le film. Concentré sur Vanessa et sa relation avec Matzneff, le film dispose ainsi ça et là quelques moments qui montre qu'en plus de l'emprise du prédateur sur Vanessa, la société a choisi son camp, du côté du prédateur. Il y a donc l'homme, le pédophile, mais aussi tout le contexte qui lui a permis son comportement, ses relations traumatiques pour ses jeunes victimes, et ultimement permis la prédation dans tout ce qu'elle a d'à la fois monstrueuse et banale.

Le discours juste est là, les bonnes idées sont là. Mais comme pour les autres lignes de front du film, cette critique sociale pèche par une narration et une mise en scène trop relâchées, qui s'évadent trop souvent pour que cette critique soit pleinement puissante. Imparfait donc, mais pouvait-il vraiment en être autrement ? Le geste de Vanessa Filho n'en est pas moins un des plus forts vus récemment au cinéma.

Le Consentement de Vanessa Springora, en salles le 11 octobre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Le Consentement" est à voir, pour les performances de son casting principal et pour la force du geste de Vanessa Filho, même si celui-ci aurait gagné à être formellement plus tenu. Film imparfait, bancal parfois, ses sensations n'en sont pas moins un enseignement à accueillir avec urgence.

Note spectateur : Sois le premier