Le Procès Goldman : Cédric Kahn réussit une captivante quête de vérité et d'humanité

Le Procès Goldman : Cédric Kahn réussit une captivante quête de vérité et d'humanité

Présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes au 76e Festival de Cannes, "Le Procès Goldman" revient sur une célèbre affaire judiciaire. Avec des comédiens inspirés et une brillante écriture, Cédric Kahn sublime l'exercice du film de procès pour livrer une exploration subtile et émouvante de la condition humaine dans la société française des années 70.

Un grand film de procès

Le film de procès constitue un genre en soi et surtout un exercice de haute voltige. En effet, poser ses caméras et développer son écriture dans un tribunal, lieu par excellence du dévoilement de la vérité, revient à assumer fièrement le pouvoir de ce dévoilement qui revient aussi au cinéma. Mais l’objectivité d’un procès entre forcément en conflit avec l’inévitable subjectivité de l’art cinématographique, même - peut-être surtout - quand celui-ci se donne les airs d’un documentaire aussi proche que possible des faits, gestes et mots qui ont fait l’histoire vraie. Avec Le Procès Goldman, Cédric Kahn réussit cet exercice brillamment, et le sublime même.

Que dit-il de ce célèbre procès d’une figure criminelle et aussi figure de la gauche radicale des années 60 et 70 ? Que montre-t-il, à défaut - heureusement - de vouloir prouver quelque chose ? Il montre une identité d’un homme, et une identité plus collective aussi, l’identité juive, perçue non pas théologiquement ou de manière abstraite, mais dans son histoire récente.

C’est pour cette raison que le film s’ouvre sur une discussion animée entre les deux avocats de Pierre Goldman, maître Kiedjman et maître Chouraqui. Pierre Goldman, via un courrier adressé au second, souhaite se séparer du premier, qu’il considère être un « juif de salon ». Dans cette même lettre, Pierre Goldman condamne aussi les effets de manche de la justice, son spectacle, assurant son innocence et donc toute la vanité qu’il y aurait à se défendre par tous les moyens.

Le Procès Goldman
Le Procès Goldman © Ad Vitam

Passé cette introduction, les caméras ne sortiront plus du tribunal d'Amiens, où se tient le deuxième procès de Pierre Goldman et où les jurés et les magistrats doivent statuer sur la culpabilité de l’accusé concernant quatre braquages à main armée, dont un durant lequel deux pharmaciennes ont été abattues. Pierre Goldman reconnaît les trois premiers braquages, mais sûrement pas celui avec le meurtre des deux femmes. Dit-il la vérité ?

L’acteur Arieh Worthalter  livre une grande performance, avec une ambivalence renversante. Impressionnant de présence, doué d’un sens direct et convaincant du discours, il n’en est pas pour autant sympathique. Il est un criminel, un voleur, il l’assume et en tire même une fierté. Mais un assassin ? Jamais. Et s'il se refuse à expliquer ce qu'il n'est pas, c'est par une tension physique, un regard déterminé et des mots choisis qu'il veut bien répondre aux questions concernant ce qu'il est.

Guérillero au Venezuela, ami de Régis Debray, auteur du livre « Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France », Pierre Goldman est acquitté par le jury d’assises des meurtre des deux pharmaciennes. Libéré en 1976, il est assassiné en 1979. Ceux deux affaires restent irrésolues, avec des coupables jamais identifiés.

En quête de vérité

En réalité, plus qu’une affaire judiciaire, Cédric Kahn déroule plutôt une affaire humaine, celle d’un homme qui dit et répète : « Je suis innocent parce que je suis innocent ». Fanatique d’une personnalité comme André Manouchian, séduit par l’esthétique et la valeur d’une mort au combat, celui qui aurait voulu être chasseur de nazis semble dire qu’il est coupable parce qu’il est coupable des braquages, innocent parce qu’il est innocent des meurtres dont on l’accuse.

Le Procès Goldman
Le Procès Goldman © Ad Vitam

Cette affirmation qu’il assène et refuse de développer, cette répulsion pour la rhétorique dont il sait pourtant jouer, semble ainsi, dans les images de Cédric Kahn, montrer une dignité et une sincérité qui s’exercent contre une société gangrénée par son hypocrisie, son racisme, son antisémitisme non-assumé mais bien réel, sa bourgeoisie égoïste. Mais cette idée se révèle par l'accusation et ses témoins, qui laissent voir leurs préjugés,

Jamais Pierre Goldman, sous les traits et la froide émotion de l’acteur, ne se défile, toujours il regarde ses accusateurs en face, de la même manière qu’il regarde ses défenseurs. Parce qu’entre ceux qui ne le voient que comme un sociopathe violent, tueur et menteur, et ceux qui l’idéalisent comme un Che Guevara du centre de Paris, tous semblent rater la véritable identité de Pierre Goldman.

Parce que durant tout Le Procès Goldman, c’est la solitude de Pierre Goldman qui frappe, une solitude énergique, une revendication de liberté unique, d’une humanité complexe, grise, mais entière. Coupable de quelque chose, oui, mais innocent d’une autre aussi.

Portrait d'un homme du XXe siècle

Avec délicatesse et prudence, à mesure qu'il avance, Le Procès Goldman nous ramène inlassablement à son introduction, où deux jeunes hommes, juifs, chargés de la défense compliquée d’un autre, se trouvent à interroger leur passé, leur histoire, leur place dans une société profondément marquée par l’Holocauste. Qui sont-ils ? Qu’attend-on d’eux ? Un « juif de salon » vaut-il moralement moins qu’un « juif tueur d’oppresseurs » ? S’ils ne sont pas, comme les nazis l’inventaient, coupables de tous les maux de la terre, alors sont-ils blancs comme neige et au-dessus de tout soupçon ? Enfants de victimes, enfants de résistants, où se situent-ils eux, et où se situe Pierre Goldman ?

Comme l’écrira à son sujet plus tard son ami Régis Debray : "Goldman ne pouvait pas plus se supporter coupable que disculpé". Incompris, insaisi entre ces deux absolus illusoires, la culpabilité et l'innocence totales, Pierre Goldman est montré seul dans sa cellule les minutes précédant l’ouverture des audiences, puis seul dans son box d’accusé. L’annonce de son acquittement ne semble pas le délivrer beaucoup, mais seulement signifier qu’une étape dans le dévoilement d’une plus grande mais lointaine vérité a été franchie. Quelle vérité ? Celle de la condition humaine, inatteignable dans son entièreté mais dont on peut s’approcher à force de dignité, d'humanité, d’intelligence et de générosité dans la réflexion. Ce qu’est le très beau film de Cédric Kahn.

Le Procès Goldman de Cédric Kahn, en salles le 27 septembre 2023. Le film a été présenté au 76e Festival de Cannes. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Grand film de procès, confrontation virtuose d'un homme et d'une société, "Le Procès Goldman" est d'une précision magistrale dans sa tentative de dévoilement d'une vérité, qui finit toujours par échapper. À voir sans hésiter.

Note spectateur : 1 (1 notes)