Les Drapeaux de papier : la vie après la prison

Les Drapeaux de papier : la vie après la prison

CRITIQUE FILM - "Les Drapeaux de papier" est non seulement le brillant premier film du tout jeune réalisateur Nathan Ambrosioni, mais c’est aussi une remarquable réflexion sur la réinsertion sociale et émotionnelle des détenus non accompagnés.

On vous prévient tout de suite : on a eu un véritable coup de cœur pour Les Drapeaux de papier ! Car rares sont les films si proches d’une réalité difficile qui parviennent à offrir autant d’émotions et de réflexions au travers de personnages aussi attachants. Le premier film de Nathan Ambrosioni aborde en effet un sujet a priori peu attrayant : le parcours d’un jeune homme à sa sortie de prison. Vincent (Guillaume Gouix) quitte donc sa cellule miteuse, mais pendant longtemps encore les bruits de la prison et les cris des prisonniers viendront le hanter. Son retour à la vie normale et la réappropriation de sa liberté après tant d’années sont filmés de telle sorte que le spectateur empathique les ressent tout à la fois comme un appel d’air et une trouille du vide monumentale. La caméra se veut sensuelle et filme Vincent qui redécouvre le plaisir simple de caresser les brins d’herbe, de toucher du doigt les rayons du soleil retrouvé ou d'effleurer les drapeaux de papier accrochés au plafond de sa nouvelle chambre.

Critique Les Drapeaux de papier : la vie après la prison

En peu d’images et de dialogues, le réalisateur happe et nous place habilement sur les épaules de Vincent. Et on ne les quittera que pour aller sur celles de Charlie (Noémie Merlant), sa jeune sœur qu’il n’avait pas revue et qui l’accueille chez elle. Les Drapeaux de papier fait partager les retrouvailles émouvantes de ces deux solitudes qui se frôlent et se ré-apprivoisent. L'empathie en balancier va de l’un à l’autre. Retrouver la complicité perdue avec Charlie et jouer le rôle protecteur du grand-frère vont faire tenir Vincent. Et Charlie en a grand besoin, tant elle peine aussi à joindre les deux bouts. Brisés par l’explosion de la cellule familiale, ils vont tenter de devenir des piliers l’un pour l’autre.

Car la vie après la prison ne concerne pas uniquement ceux qui en sortent. Il y a aussi ceux qui restent à l'extérieur, qui ont attendu, qui ont pardonné ou non. On pense bien sûr à Il y a longtemps que je t’aime de Philippe Claudel, qui abordait aussi la sortie de prison d’une jeune femme retournant vivre chez sa sœur. Mais là où le scénario de Les Drapeaux de papier diffère, c’est que le sujet du film n'est pas vraiment lié à la raison de l’emprisonnement de Vincent. Mais plutôt à la violence qui l’y a fait entrer et qui continue de l'habiter. Comment imaginer en effet que cette violence ait pu disparaître ou s’être canalisée après toutes ces années d’isolement, quand il est notoirement admis que la violence est l’une des conditions majeures de la survie en prison ?

La question de la réinsertion sociale des détenus qui ont purgé leur peine

En ce sens, la force de Les Drapeaux de papier est d’interroger précisément sur le rôle de la prison, en particulier en France. Purger sa peine, payer sa dette à la société, certes… Mais après ? Qui se soucie vraiment de ce que deviennent les détenus, lâchés dans la nature, à fleur de peau, parfois sans suivi psychologique, sans formation, sans métier ? Qui s’intéresse à leur honte de devoir expliquer d’où ils viennent, le peu de mains tendues, leur maladresse à utiliser les nouveaux outils technologiques, leur difficulté à recréer du lien social ? Cette parenthèse, loin d’être enchantée, les place dans une grande difficulté. Le temps s’est arrêté pour eux… Mais pas au-dehors.

Critique Les Drapeaux de papier : la vie après la prison

On se retrouve propulsé dans la peau de Vincent, et comme lui, on se pose ces questions graves : comment retrouver les codes d’une société qu’on ne connaît plus ? Comment reprendre le cours de sa vie ? Peut-on vraiment rattraper le temps perdu ? Et surtout, comment avoir envie de se sentir à nouveau vivant et d’espérer ? C’est un sacré parcours de combattant que donne à voir le film. Parce que les ingrédients de la réinsertion passent nécessairement par le lien familial reconstitué et la dignité d’avoir trouvé un travail. Mais aussi l’oreille d’une psy (Anne Loiret). Et peut-être l’amour qui pointe son nez sous les traits d'Emma (Alysson Paradis).

Enfin, on ne peut faire abstraction du jeune âge du réalisateur - 19 ans - que d’aucuns comparent déjà à Xavier Dolan. Nathan Ambrosioni fait en effet déjà preuve d’une grande maturité dans l’écriture de son scénario, du traitement de son sujet et de sa mise en scène, même si celle-ci semble parfois expérimentale. Et son film est réussi grâce à la parfaite interprétation de Guillaume Gouix et de Noémie Merlant, qui confirment tous deux la grande justesse et la remarquable intensité de leur jeu. Gageons même de les retrouver nommés aux César 2020. Les Drapeaux de papier se révèle donc un film solaire et pudique d’un incroyable réalisme et d’une grande humanité. Il mériterait sans nul doute, au même titre que Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, d’être montré à toutes les parties prenantes de la justice française. Car Les Drapeaux de papier est un exemple flagrant de la façon dont le cinéma peut aider à prendre conscience de la réalité du monde, voire de l'influencer.

 

Les Drapeaux de papier de Nathan Ambrosioni, en salle le 13 février 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la Rédaction

"Les Drapeaux de papier" : émouvantes retrouvailles entre un jeune homme tout juste sorti de prison et sa jeune sœur

Note spectateur : 4.85 (2 notes)