Les bums de plage, magnifique quête identitaire

Les bums de plage, magnifique quête identitaire

CRITIQUE FILM - Réalisé par Eliza Hittman et disponible sur Netflix "Les bums de plage" synthétise avec force l'acceptation de soi dans le milieu urbain, là où d'après l'ordre établi, il faut être un homme pour assurer ses arrières... De ses nuances et de sa sensibilité, le film se déploie en un bouleversant tableau anti-conformiste.

Eliza Hittman n'en est pas à sa première dissection de l'humain et de ses sentiments. En 2013, la réalisatrice - qui détient également les casquettes de scénariste et productrice - sortait son premier film, le timide It Felt Like Love. Un soupçon de ce qu'elle a pu atteindre, cinq ans plus tard, avec le film dont il est question ici. Avec le recul, force est de constater que Hittman est fascinée par la virilité. Cette aspect si contradictoire, que l'on aime pas forcément genrer - puisque n'importe qui peut être viril, après tout.

Seulement voilà, la cinéaste a aimé décrire, jusqu'à aujourd'hui, ce phénomène qui ne semble pas être totalement compris par notre société. Dans It Felt Like Love, le titre veut tout dire : la jeune Lila peine à approcher celui dont elle est amoureuse ; le bad boy Sammy. Avec son dernier film, Les bums de plage, Hittman filme à nouveau une bande de voyous, mais y instaure une sensibilité nouvelle. Il s'appelle Frankie.

À l'heure où la nuit tombe

Nous sommes en plein été, l'air y est suffocant, l'ennui règne. Frankie et sa bande de potes sont paumés. La routine est destructrice. Pour lutter contre le quotidien, les gars partent à la recherche de drogues douces et vagabondent, dans les rues, les foires, sur la plage... Frankie redoute la nuit, lorsqu'il doit rentrer chez lui et subir une mère dépassée par les événements et un père mourant. Mais il tente, il s'expérimente en flirtant avec des hommes sur Internet, dans le plus grand des secrets. Face à l'écran, Frankie n'assume pas et regarde d'un œil ces hommes lui parler, se dévêtir. Il ne comprends pas (encore) son homosexualité. S'installe en lui un conflit bien connu : accepter son attrait pour les hommes (dans le cas de Frankie, des hommes d'âges mûrs) ou se fondre dans la masse, dans le moule que la société lui impose.

Frankie repousse au lendemain. Il réalise le rêve de sa mère, en ramenant pour la première fois sa petite amie, rencontrée au pied d'un manège. Mais la réalité pourrait très vite le rattraper...

Se contredire jusqu'à se dénaturer 

Si Les bums de plage touche là où ça fait mal - le cœur - c'est parce qu'il aborde un questionnement universel. Avons-nous d'emblée une sexualité normalisée ? La découverte des émotions est un réel problème pour les nouvelles générations. Elles baignent dans une culture de l'image, de la représentation. Ou chaque pas en avant, audacieux ou pas, est vu comme un défi. La peur de ne plus être accepté par son entourage, de perdre sa virilité durement travaillée - et pourtant si factice.

Frankie traîne avec son groupe, tous torses nus, se pavanant dans une ville étouffée par l'été. L'ambiance transpire le désir. Hittman filme ces garçons au plus près, privilégiant les gros plans, les panneaux sur leurs muscles à la fois saillants mais si juvéniles. Ainsi se dégage du long métrage une ode à la jeunesse, libre mais aussi perdue, en proie d'elle-même et de ses tares.

Les scènes de ville, filmées avec grâce, sont presque suspendues dans le temps. Les regards se perdent, Frankie veut tout faire pour laisser sa trace sur Terre en écrasant ses nombreux mégots, yeux levés au ciel, l'air ailleurs. Harris Dickinson propose une performance nuancée, entre force tranquille et délinquance. Son allure élancée et attachante se démarque de celles de ses compères, qui entretiennent volontairement leurs bouilles de mauvais garçons.

Mais dans la dureté du quotidien, Frankie retrouve néanmoins sa tranquillité. Le soir, il fait tomber le masque et prolonge ses fantasmes. Sans tomber dans le voyeurisme, Les bums de plage met en scène le sexe en tout objectivité, Hittman place sa caméra à hauteur des personnages. Ce qui peut paraître cru devient plus intime, émouvant. Jamais sale, comme peut parfois être un autre cinéma auquel le film peut fait écho ; celui de Larry Clark (Kids, Ken Park, The Smell of Us).

Brookyln déprime 

Le grain de l'image, travaillé avec justesse par la directrice de la photographie Hélène Louvart, dépeint une ville en perdition. Presque vidé de ses sentiments (on voit très peu de population, étrange pour un arrondissement de New York). L'urbanisme est austère mais jamais nauséabond. Il est juste figé, comme ses habitants, dans la neurasthénie.

La résistance se fait donc par le biais de l'amour, qui lutte et qui demeure la seule et unique échappatoire (avec le trafic de substance). Dans ses scènes nocturnes, Les bums de plage revient à l'état sauvage et évoque les scènes en forêt de L'inconnu du lac d'Alain Guiraudie (sans le côté graphique cependant). Sincère et sombre, le film vire, dans ses vingt dernières minutes, dans un tout autre genre. Ce dernier acte officie comme une piqûre de rappel, glaçante, sur les dangers des rencontres en ligne. Si le sujet, évidemment vaste, peut paraître trop rapidement abordé par la cinéaste ; c'est pour mieux offrir au film un climax saisissant.

À défaut de clôturer l'histoire personnelle de Frankie, Hittman laisse le champ libre à l'interprétation et préfère laisse respirer le cinéma, la péripétie. Lors d'un instant de violence, le spectateur reste d'abord scotché, puis émerveillé, devant un spectacle de couleurs. Un feu d'artifice perçant l'obscurité, pour rappeler que malgré la menace de la nuit, la fête bat son plein.

Conclusion

Note de la rédaction

Sensible et émouvant, "Les bums de plage" parle de la fin de l'adolescence comme un passage inévitable vers l'acceptation de soi. Un très beau film du catalogue Netflix.

Note spectateur : Sois le premier