Marie Madeleine : une réhabilitation fade et consensuelle en Terre sainte

Marie Madeleine : une réhabilitation fade et consensuelle en Terre sainte

CRITIQUE FILM - Après « Lion », l’australien Garth Davis rend hommage à la figure biblique de Marie Madeleine en choisissant de se concentrer sur sa rencontre avec Jésus de Nazareth. Sa révérence est sans doute sincère, mais son film, lui, est désincarné.

Coincée dans un bled paumé, Marie Madeleine (Rooney Mara) s’ennuie ferme. Louée par son entourage pour sa dévotion et sa douceur qui aide les femmes de son village à donner la vie, celle-ci n’en reste pas moins frustrée de n’avoir pour unique et seul destin un mariage qu’elle refuse en bloc. Accusée de contenir le Mal en elle, son père et son frère (Denis Ménochet), après une tentative d’exorcisme infructueuse, décident de faire appel au prophète du coin, plus connu sous le nom de Jésus de Nazareth (Joaquin Phoenix).

Ce dernier ne voit aucun démon en Marie Madeleine et continue tranquillement son prêche avec ses fidèles apôtres, Pierre (Chiwetel Ejiofor) et Judas (Tahar Rahim). Petit à petit, alors qu’il est la source de guérisons miraculeuses, les villageois voient en Jésus bien plus qu’un simple prophète. Il serait l’élu qui pourra rendre possible la mise en place d’un royaume de la foi, qui achèverait l’oppression romaine. Marie Madeleine décide d’accompagner celui-ci dans sa route et rejoint le petit groupe d’apôtres, uniquement composé d’hommes, qui se dirige vers Jérusalem. Sur sa route, celle-ci devra faire face à la méfiance de Pierre mais pourra compter sur la bienveillance de Judas. Une fois arrivée à Jérusalem, c'est des romains qu'il faudra qu'elle se méfie : Jésus est devenu une figure réunissant le peuple qui souffre.

La grande tradition biblique

L’histoire est bien connue et il faut dire que ce postulat n’a d’original que le point de vue qu’il donne à mettre en scène : la Bible a toujours été l’un des réservoirs favoris d’Hollywood. Tout le monde s’y est approché de près ou de loin. Cecil B. DeMille avec Les 10 Commandements ou John Huston avec La Bible pour l’Ancien Testament, Martin Scorsese avec le très controversé La Dernière Tentation du Christ ou encore Mel Gibson avec La Passion du Christ pour le Nouveau Testament, centré sur la vie de Jésus-Christ, le célèbre messie. C’est derrière ces quelques grands noms que vient donc s’inscrire celui de Garth Davis, réalisateur de Lion (déjà avec Rooney Mara), qui nous offre à voir l’évocation d’un passage de la vie du Christ du point de vue de Marie Madeleine. Considérée comme intimement liée au destin de Jésus mais injustement présentée comme une prostituée, elle est ici réhabilitée comme une figure centrale du christianisme.

Il faut voir les cartons introductifs du film, nous exposant le contexte au sein duquel la figure de Marie Madeleine va se révéler au monde, pour comprendre directement que cet enjeu de réhabilitation de la figure féminine est le seul et unique objectif du film. Il s’agirait donc, en plus de nous exposer les faits comme historiquement véridiques, de montrer le processus de revalorisation de cette femme au rang de véritable apôtre. En ce sens, un carton final insinuera même que Marie Madeleine a été considéré comme une prostituée par l’église durant des siècles avant que, miracle, celle-ci soit érigée au rang d’apôtre en 2016 par le pape François. Dans cette auto-célébration assez édifiante, il ne manquerait plus que de rajouter une dernière ligne à ces cartons finaux : « Marie Madeleine a été bafouée pendant des siècles. Un film répare cela en 2018 ».

Female-washing paresseux

L’intention était pourtant louable et la proposition a le mérite d’être en phase avec son époque. Il y est naturellement question d’émancipation : Marie Madeleine quitte sa famille pour joindre Jésus et ses apôtres dans leur route vers Jérusalem ; et d’empowerment féminin : Marie Madeleine est la première a avoir été témoin de la résurrection du Christ. Mais l’idée de faire un film biblique en se concentrant sur une figure féminine est, au fond, une démarche assez maladroite. Marie Madeleine s’avère être, plutôt qu’un sincère mea culpa, une sorte de « female-washing » un peu hypocrite. Histoire de dire, en 2018, que le Nouveau Testament a lui aussi ses femmes fortes et indépendantes. Et ce, bien sûr, sans faire de vagues.

Car nous sommes bien loin des frasques polémiques de Martin Scorsese avec La Dernière Tentation du Christ, où Jésus, cédant à la tentation de Satan, finissait par former une famille avec, entre autres, Marie Madeleine, avant de se repentir, ou bien de la controverse religieuse suscité par Da Vinci Code, le roman de Dan Brown, qui considérait que Marie Madeleine était la femme de Jésus et la mère de ses enfants. Ici, tout est aplani, lissé et poli jusqu’au moindre détail. Rooney Mara y est bien maquillée et entretient une dévotion sans limite. Joaquin Phoenix traverse bêtement le film comme une parodie de lui-même, en être éthéré et habité. À aucun moment ce portrait ne dérape et tout semble aller dans le sens de la vertu de Marie Madeleine. Le film de Garth Davis en devient fade, terne, profondément consensuel et ennuyeux. On se met même à regretter les délires visuels de Darren Aronofsky dans Noé ou le masochisme inavoué de Mel Gibson dans La Passion du Christ tant on sort de là dans l’indifférence la plus totale. Et ce n'est pas la bouillie grisâtre de la photographie et des décors qui viendront sauver le film de l'apathie qu'il génère.

Crucifixion du trouble

Au fond, cette manière d’adoucir ce portrait ne fait d'ailleurs pas vraiment honneur à la richesse et à la complexité des figures dépeintes dans le Nouveau Testament, qui ont inspiré les plus grands films. Garth Davis prive la Bible et le Nouveau Testament de ce qui fait son essence et son intérêt, à savoir l'exégèse complexe et alambiquée qu'elle donne à interpréter. On aurait aimé par exemple voir Marie Madeleine s’émanciper (concrètement ou métaphoriquement) de son statut de prostituée plutôt que d’être les témoins de ce gommage immédiat qui élude tout ce qui, aujourd’hui, pourrait prêter à confusion et à débat (Marie Madeleine est directement montrée comme unilatéralement vertueuse). Ici, tout est joué d’avance et est clair comme de l’eau de roche. Marie Madeleine va s’émanciper et se révéler au monde. Jésus, quant à lui, va se sacrifier et transmettre sa foi sans limite à ses pairs. Et c'est tout.

 

Marie Madeleine de Garth Davis, en salle le 28 mars 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Garth Davis intègre maladroitement son « Marie Madeleine » dans le corpus des films bibliques. En voulant reconsidérer la figure bafouée de Marie Madeleine dans une célébration béatifiante, celui-ci la prive de toute complexité et livre un film complètement apathique.

Touche le fond

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