Opera de Dario Argento : Barnum généreux et conflictuel

Opera de Dario Argento : Barnum généreux et conflictuel

CRITIQUE FILM – « Opera » n’avait jamais connu d’exploitation dans les salles françaises jusqu’à présent. Le retard est rattrapé. Il ne reste plus qu’à répondre à sa supplication : le visionner sans indifférence.

Sidérer le spectateur

Dario Argento semblait dans L’oiseau au plumage de cristal se débattre des carcans du « giallo » (genre du thriller à l’italienne des années 60-80). En 1987, dix-sept ans plus tard, il revient avec Opera. Et à l’image de son héroïne Betty, c’est maintenant avec folie et désespoir qu’il cherche à s’affranchir de codes bien trop serrés pour son talent sauvage. C’est un cri du coeur qu’il offre à entendre ; Betty est son porte-voix.

L’histoire ? Un grand Opéra confie la mise en scène du Macbeth de Verdi à Marco, un réalisateur de films d’horreur. Juste avant la première représentation, la diva qui interprète le rôle titre a un accident. Betty, jeune première soprano, la remplace de pied ferme, non sans angoisse : tout le monde sait que cette pièce porte malheur. Ce sera sa malédiction!

L’opéra est un médium d’outrance et d’excellence, sujet idéal pour un support filmique constitué des mêmes énergies. Dans ce long-métrage, le spectacle est évidemment sur scène, subversif avec des corbeaux véritables comme compagnons de jeu. Mais il est aussi tout entier dans le théâtre, dans les rues, dans les habitations, dans la nature. Partout. Tout le temps. La représentation ne s’arrête pas et s’empare de Betty. Est-elle aussi machiavélique et torturée que Lady McBeth ? Contrôle-t-elle son personnage ou est-ce l’inverse ? Question passionnante et inépuisable. Les figures d’héroïnes incapables de battre en retrait face à la force de leur art n’ont d’ailleurs jamais manqué. Plus récemment, Nina Sayers dans Black Swan(Aronofsky, 2010) se tuait sur scène pour faire taire l’humaine et rendre éternel le cygne.

La perversion a mille déclinaisons et Dario Argento nous propose probablement la millième. Car il fallait y penser, à celle-là, à celle-là en particulier. Le rituel malsain auquel Betty est contrainte ? Regarder la mort de ceux qui essaient de la sauver, de nombreuses fois et invariablement en dépit des circonstances. Regarder la mort les yeux grands ouverts, par un instrument de torture l’incitant à ne pas les fermer, non sans rappeler celui qui rapproche un peu plus chaque jour Alex (Malcolm McDowell) de la démence. Malheureusement, si Orange Mécanique (Stanley Kubrick, 1971) fait preuve d’une rigueur formelle et narrative remarquable pour traiter de la perversion, Opera s’apparente davantage à la figure du chien fou, glissant ici et là des indices que le spectateur du film doit tenter de décrypter, au risque de n’y trouver qu’une coquille vide.

Les crimes, d’une violence extrême et dérangeante, rejoignent une volonté générale de choquer le spectateur. L’image, le montage et le son transforment la mise en scène en surenchère permanente. Cadres déformés, très gros plans, bruits du coeur qui bat, caméra fantôme poursuivant certains et dissimulant bien d’autres… La forme est virtuose et déconcertante. Mais une lecture purement esthétique condamnerait l’oeuvre à être un objet au mieux coloré, au pire répugnant. A y réfléchir plus en profondeur, Operas’avère résolument psychanalytique. Il fait des évènements et des personnages, l’expression des méandres intérieurs de Betty.

La psyché de Betty sous toutes ses coutures

Betty est le voyeur des crimes perpétrés. Etonnamment marginale, pour ne jamais prévenir la police des situations macabres dans lesquelles elle se retrouve jour après jour. Les personnages secondaires sont des observateurs posés, voire indifférents aux crimes qui se déroulent juste près d’eux. Les corbeaux volent, prennent de la hauteur : ils sont les voyeurs des voyeurs. Cette installation des points de vue donne une importance capitale au regard. Un regard extérieur qui ne serait finalement que le reflet intérieur des mouvements de l’âme.

A tous ceux qui sont frileux à l’idée de regarder des yeux au cinéma, abstenez vous de visionner Opera! Gros plans oculaires, yeux crevés, motifs circulaires… Autant de variations mettant en évidence l’identité et la responsabilité de tout à chacun comme spectateur des crimes.

Mais plus encore, beaucoup d’éléments et de personnages ont certainement été imaginés dans l’esprit d’Argento, comme une émanation de Betty: le criminel qui tue, incarnation réelle des rêves que fait Betty depuis l’enfance ? Le metteur en scène de l’opéra qui aime le sanglant et se trouve réellement intéressé quand la réalité dépasse la fiction qu’il a créée, ne serait-ce pas une Betty qui ne cacherait pas son plaisir ? Contrôle, pulsions, inconscient, conscient : tout a l’air dingue dans le film, mais un espace mental complet semble en filigrane se déployer, riche par essence d’antagonismes difficilement conciliables.

Il y a du coeur et de l’ambition à revendre, en dépit du sang et de la noirceur!

Conclusion

Note de la rédaction

Succès commercial en Italie, Opera est un choc formel et narratif qui attire l'attention, interpelle et sidère. Dario Argento délivre une profession de foi envers le regard au cinéma. Ce n'est qu'en osant tout qu'on risque de faire une grande oeuvre. Il s'en approche...

Sur la bonne voie

Note spectateur : Sois le premier