Paris est à nous : jeunesse, lève-toi

Paris est à nous : jeunesse, lève-toi

CRITIQUE FILM - Tourné pendant plusieurs années, avec des moyens réduits, "Paris est à nous" termine sa course dans la besace de Netflix. Une aubaine pour ce petit film porté par une jeunesse assoiffée de cinéma. Inconnus pour le moment, Elisabeth Vogler et sa bande pourraient être les talents de demain.

C'est l'histoire d'une jeunesse française qui ne se reconnaît plus dans son propre pays. Une jeunesse qui flotte. Puis, vient le temps de la révolte. Un film conçu par des jeunes, sur des jeunes. Celui d'Elisabeth Vogler et de ses amis, qui avec trois fois rien, font beaucoup. Armés de leur caméra mobile, comme Godard en son temps, ils descendent dans la rue et laissent leur émotivité s'exprimer. Tourné pendant plus de trois ans, Paris est à nous n'a pu se finaliser qu'avec l'aide d'un public sensible à la démarche. Une campagne de crowdfunding permet à la petite équipe de récolter environ 90 000 euros afin de finaliser la post-production. Une belle occasion de s'offrir une publicité positive et d'attirer Netflix pour la diffusion. La rencontre n'est pas illogique, le collectif s'est éloigné de la voie de production traditionnelle pour délivrer son film sur une plateforme qui est l'alternative montante dans le domaine de la distribution.

Paris est à nous parle de ces jeunes adultes à une époque instable, perturbée par des événements contraires, des tensions. Entre attentats et célébrations collectives, la France et Paris se réveillent chaque matin avec une désagréable incertitude quant au futur. Ce sentiment s'exprime au travers du personnage principal, Anna (sublime Noémie Schmidt). Le film s'ouvre sur une très belle scène de rencontre amoureuse dans une boîte de nuit. Le courant passe rapidement avec Greg (Grégoire Isvarine), qu'elle commence à fréquenter. Lorsque celui-ci part à Barcelone pour le travail, elle se rend compte que tout peut vaciller dans une existence qu'elle voudrait normale. Un jour, alors qu'elle veut le rejoindre en Espagne, Anne loupe son avion et l'appareil s'écrase. Passée à un rien de voir la Mort en face, la jeune femme remet en cause le sens de sa propre vie.

"Je vois quelque chose de spécial en vous, comme si vous étiez en dehors de tout", c'est ainsi qu'un père endeuillé décrit Anna en la croisant dans un cimetière. Comment se reconnecter à ce monde ? La question se pose à la fois pour ce personnage et pour la réalisatrice. C'est de cette problématique que découle toute la mise en scène d'Elisabeth Vogler, entre le documentaire et la fiction. En résulte un tournage ayant eu lieu lors de plusieurs événements majeurs de ces dernières années, des commémorations post-attentats de Charlie Hebdo en passant par la mort de Johnny Hallyday ou encore la Nuit Debout. Le film se débarrasse d'une structure narrative classique pour prendre le pouls du pays. Une sensation de trouble naît de cette confrontation permanente avec le réel. Vogler fait frictionner sa caméra contre l'incontrôlable vie de la capitale française pour créer une étincelle de vérité. Elle part de cette matière impossible à prévoir pour rebondir dessus, grâce à son personnage principal qui, telle une éponge, absorbe tout. Ce qui lui permet d'accoucher de stupéfiantes séquences, dont une où Anna, dans la rue, écoute l'hommage du président à Johnny Hallyday et fond en larmes.

Le film n'invente rien dans la forme et affiche ses inspirations malickiennes, mais il dit quelque chose de notre ère. Avec sensibilité et une envie de se faire entendre. Ce qui engendre des maladresses, une tendance à en faire trop. L'énergie du film est difficile à contrôler, parce qu'il est en vérité que rarement le produit de la fiction. Elisabeth Vogler souligne ses constats, ses émotions et son discours avec un abus de voix-off, dans un sens du symbole exacerbé lors de séquences oniriques elles aussi trop appuyées. Mais comment en vouloir à cette petite équipe ? Tous les plans dégagent une telle sensibilité à fleur de peau et s'accordent avec l'instabilité contemporaine prédominante. Si la proposition est imprécise, boursouflée, qu'elle s'écoute parfois parler autant qu'elle se regarde filmer, elle tient ses défauts de son insatiable envie de ne jamais faire du cinéma tiède.

Le film n'aurait rien gagné à être plus cadré et s'il peut exister sous cette forme, c'est sans conteste parce que ceux qui le font s'offrent l'espace de liberté nécessaire. Une note d'espoir s'en dégage, contenue dans le discours final d'Anna : "Si demain tout s'effondre, on allumera un feu et on se réchauffera avec les débris de leur monde, ce sera ça notre lumière." Un appel aux cinéastes de demain à faire bouger les lignes, que la jeunesse dans son ensemble doit entendre.

 

Paris est à nous d'Elisabeth Vogler, disponible sur Netflix à partir du 22 février 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Paris est à nous" est un portrait sincère et sensible de notre époque.

Note spectateur : 2.23 (20 notes)