Petite nature : drame solaire pour un éveil intime et politique

Petite nature : drame solaire pour un éveil intime et politique

CRITIQUE / AVIS FILM - "Petite nature", qui raconte les tourments du jeune Johnny, reste longtemps au coeur et à la tête. Accrochés à Johnny, on expérimente un éveil à la fois sombre et lumineux aux grandes choses de la vie, dans une chronique sociale mise en scène avec passion par Samuel Theis.

Petite nature, l'envol de Samuel Theis

Après Party Girl, un premier long-métrage co-réalisé avec Marie Amachoukeli et Claire Burger, l'acteur et réalisateur Samuel Theis présente Petite nature. Un nouveau film en forme de portrait, celui d'un jeune garçon de Forbach en Moselle, Johnny, qui s'éveille à la conscience sociale et amoureuse. Party Girl était librement inspiré de la mère de Samuel Theis, et se déroulait dans le même milieu. Avant ça, il y avait eu le court-métrage Forbach, auquel Samuel Theis a collaboré à l'écriture et à la mise en scène, qui s'inspirait de la vie de sa propre famille. On se pose donc la question, le Johnny de Petite nature est-il Samuel Theis ?

Petite nature
Johnny (Aliocha Reinert) - Petite Nature ©Avenue B Productions

Il doit l'être, en partie, ce jeune garçon à la blondeur longue et angélique du film, qui s'éveille à la profondeur du monde, se heurte aux carcans de la vie étroite de son milieu social, et les fêle. Johnny a douze ans, une allure androgyne et l'esprit vif. Pas forcément plus mature mais plus précoce que les gens de son âge, il va faire l'expérience de la solitude que fait naître la conscience de soi, quand ce "soi" ne se moule pas naturellement dans l'environnement quotidien.

Johnny vit avec sa mère Sonia, une femme encore jeune mais marquée par la vie, à la fois volage et dure, voire violente. Il a un frère plus âgé et absent, une petite soeur dont il doit s'occuper, sa mère n'étant là que par intermittence. Dans leur cité HLM, la vie est précaire et morne. Alors, quand Johnny intègre la classe de l'instituteur Jean Adamsky, fraîchement arrivé de Lyon, son monde va lui laisser en entrevoir un autre.

S'arracher par la sensibilité

L'histoire de Johnny est celle, à la fois douloureuse et solaire, de l'arrachement à sa condition. Cet arrachement prend forme au fur et à mesure que Johnny constate que sa mère, aussi aimante soit-elle, fait preuve d'immaturité, s'occupe à sa vie sentimentale et ne cherche pas à améliorer leur quotidien. Un quotidien immuable qui ne le destine pas à grand chose.

Une séquence de dispute dans la cuisine, lieu du foyer par excellence, part ainsi du fait que Johnny ne comprend pas pourquoi sa mère a de l'argent pour acheter des bières mais pas pour acheter du "vrai" Coca-Cola. Ce "vrai" n'est pas un détail dans Petite nature, puisque le film est le récit de la lutte inconsciente d'un enfant pour toucher à ce que la vie aurait de véritable, faudrait-il commencer par les choses les plus triviales.

Petite nature
Petite nature ©Avenue B Productions

L'arrivée d'un nouvel instituteur, muté depuis Lyon pour suivre sa compagne Nora qui travaille au Centre Pompidou de Metz, va ainsi être l'accélérateur de sa prise de conscience d'être social, soumis aux regards et aux jugements des autres, apprécié ou méprisé pour ses différences. Mais Johnny, tout aussi vif soit-il, ne peut pas se rendre vraiment compte des complexités de ce monde adulte. C'est alors via la sensation amoureuse, et celle-ci est peut-être une illusion, qu'il va rechercher la rupture définitive avec son monde d'avant.

Jean Adamsky est un professeur des écoles compétent et attentif, soucieux de son métier. Avec sa compagne, ils semblent mener une vie heureuse dans un agréable pavillon de Forbach. Elle est conservatrice, lui est enseignant, ils aiment les arts et la discussion. Amoureux de son professeur - et de son monde - Johnny va se laisser aller à un geste fou, à un baiser. L'arrachement devient alors déchirement.

Un vertigineux film d'apprentissage

On pense à Dans la maison de François Ozon, on pense aussi à Billy Elliot de Stephen Daldry, mais Petite nature n'est ni un thriller ni la chronique d'une émancipation par le savoir-faire. Petite nature est le récit patient, presque à hauteur d'enfant, de l'apprentissage des bords de la vie, qu'on touche et qu'on pousse, faut de pouvoir, à l'instant, les franchir.

Comme à son habitude, le réalisateur a mêlé à son casting des acteurs non-professionnels, comme le jeune Aliocha Reinert et Melissa Olexa, pour interpréter Johnny et sa mère, et des professionnels accomplis comme Antoine Reinartz (Jean Adamsky) et Izïa Higelin (Nora). On retient particulièrement la découverte des deux premiers, et peut-être surtout celle de Melissa Olexa, en mère à la fois aimante et effrayante, qui sans le comprendre prépare à la fois l'arrachement et le déchirement de la vie de Johnny.

Délicat et complexe, solaire et captivant, Petite nature est une très belle réussite de cinéma, un portrait unique où tout se révèle : la violence des relations contemporaines, les tourments de l'enfance, l'éveil gracieux et dramatique aux sentiments et à la politique, au travers d'une mise en scène et d'interprétations idéales.

Petite nature de Samuel Theis, en salles le 9 mars 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Petite nature" de Samuel Theis est un film d'apprentissage gracieux, nourri de la vie et du cinéma de son réalisateur Samuel Theis. Parfaitement interprété par un alliage précieux d'acteurs non-professionnels et professionnels, "Petite nature" raconte avec authenticité l'éveil grisant et douloureux d'un jeune enfant au monde "adulte" et à l'amour. Une très belle performance de cinéma, à voir sans hésiter.

Note spectateur : Sois le premier