Retour à Howard’s End : le chef-d'oeuvre de James Ivory

Retour à Howard’s End : le chef-d'oeuvre de James Ivory

CRITIQUE FILM – Avec « Retour à Howard’s End », James Ivory signe une véritable perle sur les rapports sociaux dans l’Angleterre du début du XXe siècle. Portrait de deux sœurs profondément modernes pour leur époque et extrêmement bienveillantes, le film raconte leur éloignement progressif qui se creuse entre elles à cause de leurs choix respectifs. En prêtant leurs traits à ces deux femmes bouleversantes, Emma Thompson et Helena Bonham Carter trouvent chacune l’un de leurs plus beaux rôles.

26 ans après sa sortie en France, le magnifique Retour à Howard’s End bénéficie d’une ressortie en salle que l’on vous recommande chaudement. Récompensé par trois Oscars dont ceux de Meilleure actrice pour Emma Thompson et Meilleur scénario adapté, le long-métrage de James Ivory révèle plusieurs histoires d’amour impossibles dans l’Angleterre du début du XXe siècle, marquée par la séparation des classes.

Tout commence dans le jardin d’une somptueuse demeure de la campagne anglaise. Sa propriétaire Ruth Wilcox en fait le tour et l’on comprend immédiatement son attachement profond à cette maison. Lorsqu’elle se rend à Londres pour le mariage de l’un de ses enfants, cette épouse d’un riche industriel conservateur se lie d’amitié avec Margaret Schlegel, issue de la bourgeoisie intellectuelle londonienne. Malgré le fait qu’Helen, la sœur complice de Margaret, ait eu une liaison avec l’un des fils Wilcox, les deux femmes développent une relation extrêmement puissante. À sa mort, Ruth décide de léguer la demeure d’Howard’s End à Margaret, ce qui laisse sa famille totalement abasourdie. Peu de temps après, Henry Wilcox, le veuf de Ruth, se rapproche de l’héritière, qui tombe progressivement sous son charme.

Deux sœurs modernes et complices

Construit en plusieurs actes et multipliant les ellipses, Retour à Howard’s End raconte l’éloignement progressif entre deux sœurs en raison des milieux sociaux différents dans lesquels elles ont décidé d’évoluer. Mais avant cela, le spectateur découvre deux femmes profondément modernes pour leur époque, qui tentent d’entretenir des rapports égalitaires dans une société qui ne l’est absolument pas.

Retour à Howard's End : critique du film de James Ivory.

Le raffinement avec lequel James Ivory présente les sœurs Schlegel, extrêmement bienveillantes, contraste à merveille avec la vulgarité mal enfouie de certains membres de la famille Wilcox, à l’origine de la séparation entre les deux femmes. Les riches conservateurs menés par Anthony Hopkins, l’interprète du patriarche, causeront également la perte de Leonard et Jacky Bast, un couple nettement plus modeste que les sœurs Schlegel accueillent avec gentillesse dans plusieurs scènes. Employé de banque, Leonard Bast perdra en effet son emploi à cause des spéculations sur l’économie d’Henry Wilcox, qui se désintéressera par la suite de son sort alors qu’il l’a conduit au chômage.

Cette injustice et le rapprochement entre Margaret et Henry provoqueront la scission totale entre les deux sœurs. Les ellipses renforcent cette sensation d’éloignement en surgissant après les séquences où leur union, leur liberté d’esprit et leur ouverture aux autres étaient largement perceptibles. Après Chambre avec vue, James Ivory retrouve Helena Bonham Carter et dirige pour la première fois Emma Thompson, avec laquelle il enchaînera sur le magnifique Les Vestiges du jour. L’alchimie entre les deux comédiennes est telle dans leur demeure londonienne que le spectateur ne fait qu'espérer leurs retrouvailles à mesure que la situation s’aggrave. Les sublimes derniers plans qui révèlent un moment d’accalmie entre elles, malgré une distance visible à l’écran, marquent d’ailleurs de façon magnifique l’envol de leur jeunesse et la fin d’une époque. Ne serait-ce que pour leurs performances magistrales, Retour à Howard’s End est à (re)découvrir sans aucune hésitation.

L’émancipation d’une femme tiraillée

Si James Ivory bascule entre de nombreux personnages dans le long-métrage, sans jamais que le récit tombe dans la confusion, il reste la plupart du temps focalisé sur Margaret. N’ayant aucun préjugé et faisant preuve d’une bonté à tous égards, l’héroïne est présentée par son réalisateur sous un aspect beaucoup plus grâcieux que certains membres de la famille Wilcox. Le ton satirique du réalisateur apparaît notamment dans le traitement des enfants de Ruth et Henry, pour la plupart peureux et méprisants, en plus d’être dans l’incompréhension totale vis-à-vis du testament de leur mère.

Retour à Howard's End : critique du film de James Ivory.

Le décalage entre eux et Margaret ne sonne jamais faux, et amplifie plutôt la montée en puissance de l’héroïne sur leur famille, qui se fait quelque peu malgré elle. La lâcheté et la sournoiserie d’Henry, incarné par un Anthony Hopkins tout en retenue, est montrée par la grâce de Margaret, qui finit par l’aimer profondément malgré ses actes peu reluisants. Tandis que sa sœur Helen préfère sacrifier un amour par dignité, le personnage d’Emma Thompson continue de lutter pour préserver une famille sans pour autant s’oublier. James Ivory parvient même à faire naître une sorte de suspense quant à l’évolution de son héroïne, que le spectateur ne veut pas voir se faire étouffer par le clan conservateur et égoïste qu’elle rejoint.

Le parcours de cette femme tiraillée devient donc l’axe le plus passionnant de ce film parfaitement équilibré, qui ne délaisse à aucun moment ses personnages secondaires comme Helen et les Bast. Progressivement, Margaret va reprendre en main Howard’s End, pour que la demeure abandonnée depuis la mort de Ruth redevienne le havre de paix qu’idéalisait cette dernière. James Ivory filme l’endroit avec une élégance rare, tandis que Londres paraît nettement plus terne dès que l’on sort de l’habitation. À l’instar de Bertrand Tavernier avec la maison d’Un dimanche à la campagne, le cinéaste donne parfois l’impression au spectateur d’observer des tableaux d’époque en mouvement, grâce à des plans parfaitement composés et magnifiés par la photographie de Tony Pierce-Roberts. Autant de raisons qui devraient donc pousser à voir ce chef d’œuvre dans une sublime restauration 4K.

 

Retour à Howard’s End de James Ivory, en salle le 26 décembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Un portrait de femmes d’une beauté picturale à couper le souffle, porté par les excellentes Emma Thompson et Helena Bonham Carter.

Note spectateur : 4.7 (1 notes)