Sans jamais nous connaître : Andrew Haigh signe un chef-d'oeuvre de cinéma

Sans jamais nous connaître : Andrew Haigh signe un chef-d'oeuvre de cinéma

CRITIQUE / AVIS FILM - Le nouveau film d'Andrew Haigh est d'une beauté et d'une intelligence rares, et une oeuvre de cinéma comme on en voit rarement à ce niveau d'aboutissement. En croisant avec une grâce exceptionnelle une histoire de fantômes, une grande histoire d'amour et un drame familial, le cinéaste britannique livre avec "Sans jamais nous connaître" un chef-d'oeuvre inoubliable.

Le retour triomphal d'Andrew Haigh

De son passé d'assistant monteur auprès de Ridley Scott, Andrew Haigh n'a pas retenu pour son oeuvre personnelle le calibre blockbuster de l'auteur du récent Napoléon. Il en a pris, à sa manière, le sens du soin et du grandiose. Mais il n'y a cependant rien du tout de comparable entre Andrew Haigh et Ridley Scott et, au-delà, il semble n'y avoir dans le paysage cinématographique rien non plus de comparable avec ce que propose Andrew Haigh, cinéaste anglais de 50 ans, dans Sans jamais nous connaître.

Adam (Andrew Scott) - Sans jamais nous connaître
Adam (Andrew Scott) - Sans jamais nous connaître ©Searchlight Pictures

Avec un casting réduit à l'essentiel, Andrew Scott et Paul Mescal en rôles principaux, Jamie Bell et Claire Foy en rôles secondaires mais pas moins essentiels, Andrew Haigh développe un récit qui mêle plusieurs histoires. Une histoire d'amour, une histoire de fantômes, une histoire familiale et enfin une histoire d'identité sexuelle. Le tout, complet, dans ce qui a l'apparence d'un "petit" film. Un casting minimal, quelques lieux, un budget qu'on devine restreint. Mais qu'on ne s'y trompe pas, Sans jamais nous connaître est un vrai film fantastique avec ses fantômes, un puissant film politique avec son traitement de l'homosexualité, un renversant drame familial avec son aller-retour inédit entre l'enfance et l'âge adulte, enfin une romance déchirante incarnée par deux acteurs phénoménaux.

À la croisée des genres

De nos jours, dans un Londres froid et anonyme, Adam rencontre son voisin Harry. Jusqu'à preuve du contraire, ils semblent être les deux seuls habitants d'une grande tour d'appartements impersonnelle. On les devine solitaires, et immédiatement leurs solitudes se répondent. Ils vont s'aimer tout de suite.

Dans le même temps où se développe cette relation, Adam, scénariste en panne d'inspiration, retourne dans la lointaine banlieue anglaise où il a grandi, jusqu'au décès de ses parents dans un accident de voiture lorsqu'il avait 12 ans. Là, devant son ancienne maison, il va alors retrouver son père et sa mère, fantômes bien réels d'un passé qui l'obsède encore aujourd'hui. Il va entamer avec eux une conversation, leur dire qui il est devenu, eux vont lui poser des questions : comment est sa vie aujourd'hui ?

Sans jamais nous connaître
Sans jamais nous connaître ©Searchlight Pictures

On gâcherait l'exceptionnelle qualité de Sans jamais nous connaître à en dire trop sur leurs retrouvailles surnaturelles. Mais on peut dire de cette "nouvelle" rencontre qu'elle est douce, aussi palpable qu'improbable, et que les acteurs Andrew Scott, Claire Foy et Jamie Bell y livrent des performances exceptionnelles sur des dialogues terrassants d'intelligence et d'empathie. Ses parents morts à l'âge qu'a maintenant Adam, ce sont trois adultes qui se parlent. Mais il est leur enfant, lui un adulte des années 2020, et eux sont des adultes de la fin des années 80. S'essaye alors une compréhension entre une génération qui ne connaissait pas et s'effrayait de l'homosexualité, et une génération pour qui cela appartient à la norme.

Paul Mescal - Andrew Scott, grand couple de cinéma

Paul Mescal, comédien au talent d'une profondeur insondable, incarne un personnage dont la solitude est semblable mais excède celle d'Adam. C'est cette solitude commune qui permet à Adam de s'ouvrir, de goûter à nouveau aux joies d'un amour qu'il n'a plus connu depuis trop longtemps, pour des motifs mystérieux. Peut-être parce que, orphelin, il se sent orphelin de tout et a appris à vivre avec la terreur permanente de sa destinée irrémédiable à être seul.

Sans jamais nous connaître
Sans jamais nous connaître ©Searchlight Pictures

Pour raconter ce qui arrive à Adam, passant d'un fantôme à l'autre, agissant d'une manière qui pousse à se demander s'il est lui-même bien vivant, Andrew Haigh a adapté magnifiquement le texte du roman Strangers de Taichi Yamada, dont Sans jamais nous connaître est la seconde adaptation pour le cinéma. Il l'a adapté pour que la lumière rayonne, dans toutes les couleurs, sous tous les angles, avec une photographie sublime. C'est ce qu'on ressent devant ce film, d'abord, avant tout, une beauté littéralement inouïe.

Beauté du texte, des images, de la musique, de la tristesse océanique d'Adam et d'Harry, et de leur amour si naturel et heureux aussi. Ensemble, les deux acteurs irradient chacun à l'image, avec ce délicieux paradoxe : chacun est plus beau, plus grand, plus présent quand ils sont tous les deux. Plus un prend de la place, plus il en laisse à l'autre. C'est là où Andrew Haigh réalise, avec ses deux acteurs principaux un chef-d'oeuvre de cinéma : il sublime et transcende son cadre, et aucun écran ne sera jamais trop grand pour projeter Sans jamais nous connaître.

Anatomie d'un chef-d'oeuvre

À mesure que se déroule Sans jamais nous connaître, toutes les certitudes vacillent. Que fait Adam ? Que cherche-t-il ? Finalement, peu importe qu'il parvienne à écrire. Peu importe même l'issue de sa relation avec Harry. Avec ses parents, revenus d'entre les morts dans le monde des vivants - ou bien serait-ce Adam qui les aurait rejoints ? - il engage cette conversation que personne ne peut avoir : parler à ses parents, qui ne le sont plus, de leur enfant qu'on a pourtant été. Parler entre adultes qui ne se connaissent plus de filiation, et ainsi confronter deux sociétés qui ne cohabitent jamais.

Ici l'identité homosexuelle joue un rôle thématique, mais plus profondément elle sert de porte à une interrogation plus vaste, plus métaphysique : qui sommes-nous, chacun, et comment nous aimons-nous, ensemble ? L'idée est formidable, et son exécution à l'écran l'est tout autant.

Il est en réalité difficile d'expliciter Sans jamais nous connaître, de le dire, et c'est là où il est, encore, un chef-d'oeuvre de cinéma. Ses images, son récit, sa photographie, ses comédiens forment ensemble quelque chose de si clair, de si limpide, de si profondément puissant qu'aucun mot ne pourrait le transmettre fidèlement. Si ce n'est peut-être qu'à sa fin, renversante et bouleversante, n'existent plus ni joie, ni tristesse, ni espoir ni regret, ni aucune autre sensation dialectique : existe seulement la pleine conscience que l'amour, l'amour dans sa forme la plus pure et la plus totale est la clé d'absolument, absolument, absolument tout.

Sans jamais nous connaître d'Andrew Haigh, en salles le 14 février 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Très certainement, déjà, un des plus beaux films de l'année : "Sans jamais nous connaître" est un chef-d'oeuvre de cinéma, parfait jusque dans chaque recoin de chacune de ses dimensions, fantastique histoire de fantômes, déchirant drame familial et bouleversante histoire d'amour, porté par quatre comédiens en état de grâce absolue. À voir absolument.

Note spectateur : Sois le premier