Suspiria de Dario Argento : aveugle mais pas sourd

Suspiria de Dario Argento : aveugle mais pas sourd

CRITIQUE FILM - Alors que le remake de « Suspiria » par Luca Guadagnino sortira en salle cet automne, ressortie en salle du film original sorti en 1977 et réalisé par Dario Argento. Une jeune américaine débarque dans une école de danse à Fribourg, où elle sera confrontée à d’étranges événements.

Après avoir réalisé l’un des giallo les plus importants du genre, Dario Argento change de registre et s’aventure, avec Suspiria, dans les tréfonds hallucinés du film fantastique. Suzy Bannion (Jessica Harper) est acceptée dans l’une des écoles de danse les plus réputées au monde. À son arrivée, elle croise la route d’une jeune fille terrorisée qui vient d’être exclue de l’académie. En sortant du bâtiment principal, sous une pluie diluvienne, elle bafouille quelques mots que Suzy peine à entendre et à comprendre. Cette même nuit, cette jeune fille sera assassinée à coup de couteau et pendue. Alors que Suzy débute ses cours à l’académie et s'intègre parmi le groupe de jeunes danseuses qui y résident, d’étranges événements surnaturels surviennent. Des larves infestent les murs de l’académie. Un pianiste aveugle est tué par son propre chien guide. Et Sara (Stefania Casini), avec qui Suzy a sympathisé, disparaît dans la nuit.

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Après avoir soutenu la valeur des images-clés dans Les Frissons de l’angoisse, où toute la résolution de l’enquête policière tenait dans un seul et petit détail visuel noyé dans la masse rance d’images disséminées dans le décor, Dario Argento effectue un revirement fantastique, à première vue, assez surprenant. En effet, dans Suspiria, son penchant pour l’expressionnisme baroque s’exprime plus que jamais à travers des lieux et des jeux de lumières ou de projections aux caractéristiques exubérantes.

Couleurs, reflets et effets s’entrelacent dans un magma graphique remarquable qui, au même titre que l’expressionnisme allemand du Le Cabinet du Docteur Caligari de Wiene, situe – du moins en apparence – les enjeux du film comme pouvant être trouvés « dans le décor ». L’expressivité exacerbée des symboles visuels et graphiques, avec ces lumières qui se transforment à l’oeil et ces motifs picturaux pullulant sur les murs de l’académie, tentent, en effet, de nous mener sur cette (fausse) piste.

Mais au-delà de la ronde endiablée qui se met en place sur fond de sorcellerie et autres jeux de lumière virtuoses accompagnés d'une direction artistique à couper le souffle, le véritable enjeu de Suspiria se situe dans sa bande-sonore. Si à ce niveau, là aussi, Dario Argento brouille les pistes en insistant avec un thème principal au volume et à l’intensité anormalement élevés, il faudra, en effet, bien écouter ce qu’il s’y trame. Les Frissons de l’angoisse nous poussait à faire attention à chaque détail visuel et Dario Argento, considérant cela comme acquis à celui qui découvrira Suspiria, compose ici un éloge du son et de l’attention auditive comme étant, encore une fois, la clé de tous les mystères qu’il s’amuse à mettre en place. Ce n’est pas pour rien si, lors de son entrée dans l’académie le lendemain du meurtre, ce sera le pianiste aveugle, chargé d’accompagner musicalement les cours de danse, qui précédera Suzy avant qu’elle ne pénètre à son tour dans l’imposant bâtiment.

Sous-entendu

Cette incursion préalable d’un aveugle est un premier indice à l’indication de Suzy, qui tentera d’élucider le mystère qui hante ces lieux. Le renvoi de l’académie de ce même aveugle un peu plus tard dans le film, alors que son chien a prétendument attaqué un enfant, vient confirmer l’hypothèse d’un film à écouter plus qu’à regarder. Celui-ci, fou de rage lors de son limogeage, insistera sur le fait qu’il est « aveugle, mais pas sourd », en demandant à l’audience si celle-ci a bien compris cela.

Un peu plus tard, ce pianiste aveugle sera tué par son chien, que l'on devine sous l'emprise d'un Mal voulant, justement, protéger ses secrets de ceux qui écoutent plus qu'ils ne regardent. Comme un renvoi à l’intrigue des Frissons de l’angoisse, la réponse aux recherches tournant à vide de Suzy se situe, cette fois-ci, dans une écoute attentive des signaux sonores, la solution du mystère se trouvant, également, au début du film, là où la future première victime soupirera quelques mots importants sur le parvis de l'académie. Le génie de Suspiria, en superbe miroir sonore des Frissons de l’angoisse, tient alors dans une résolution donnant un sens à sa bande-son cacophonique.

Ce n’est qu’à partir du moment où Suzy écoute attentivement les bruits de pas qu’elle entend tout autour d’elle qu’elle se rendra compte que, contrairement à ce que celles-ci prétendent, les deux institutrices de l’académie (Miss Tanner et Madame Blanc), ne quittent pas les lieux à la tombée de la nuit. Après avoir suivi le bruit de leurs pas et s’être retrouvée dans le bureau de la direction, Suzy, en se souvenant des mots prononcés par la jeune fille sur le perron de l’académie le soir de son arrivée (« The secret, I saw it behind the door – Three irises, turn the blue one ! »), va pouvoir à nouveau avancer.

Ce n’est plus simplement, comme dans Les Frissons de l’angoisse, une vision qui se rejoue, mais, cette fois-ci, une vision accompagnée de sons : les mots prononcés par la jeune fille condamnée nous sont montrés à nouveau, comme un équivalent à la re-vision du miroir des Frissons de l'angoisse. En nous donnant les mots-clés de l’intrigue dès le départ à condition d’une écoute attentive, Suspiria tente de nous ré-apprendre à écouter un film, à en entendre les bruissements et les indices plus qu'à simplement s'ébahir devant sa virtuosité plastique. Ici, pour résoudre le mystère et vaincre le Mal, il suffisait de tendre l’oreille.

 

Suspiria de Dario Argento ressort en salle le 27 juin 2018 en version restaurée. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Contrairement à son statut de prouesse visuelle et plastique, « Suspiria » est un film dont la réussite se mesure, surtout, à l'aune de sa bande-son, où tout se joue et se dénoue. Après nous avoir amené à regarder attentivement toutes les images d’un film avec « Les Frissons de l’angoisse », Dario Argento nous pousse, ici, à en écouter tous les moindres soupirs.

Bilan très positif

Note spectateur : Sois le premier