Swallow : un tragique et magnifique corps de femme

Swallow : un tragique et magnifique corps de femme

CRITIQUE / AVIS FILM - Premier long-métrage de Carlo Mirabella-Davis, avec en premier rôle l'actrice Haley Bennett, "Swallow" utilise un trouble du comportement alimentaire pour dresser une satire mi-dramatique mi-horrifique du rêve américain et de ses "desperate housewives".

Le Festival du cinéma américain de Deauville a eu le nez creux en récompensant Swallow de son prix spécial pour son 45ème anniversaire. Produit par Mollye Asher et Joe Wright, réalisé par Carlo Mirabella-Davis - retenez bien ce nom -, et mettant en scène l'actrice Haley Bennett, Swallow est un film dramatique très réussi, oscillant avec grâce entre l'horreur et la comédie noire. Perturbant à souhait, il brille par la qualité de sa mise en scène, son discours critique et par la sublime interprétation de son actrice.

En apparence, Hunter et son mari ont tout pour eux. Lui vient de prendre la direction de l'entreprise familiale, elle est enceinte de leur premier enfant et ils vivent dans une magnifique maison. Mais ce bonheur de façade ne semble pas avoir d'autre objectif que de se maintenir, et Hunter est en réalité en grande souffrance. En réalité ignorée par son entourage, son mal-être va se manifester par l'ingestion de matières et d'objets divers, au péril de sa santé et d'une situation familiale a priori idéale...

Swallow

Une mise en scène radicale

Il y a une maîtrise stupéfiante de la mise en scène dans Swallow, ce qui est d'autant plus remarquable que c'est le premier long-métrage de son réalisateur. Souvent, les premiers films peuvent pécher par excès. Excès d'envie, désir incandescent d'en montrer beaucoup, tentative d'imprimer en gras son style... Les écueils sont nombreux, et Carlo Mirabella-Davis les évite avec un sens de l'équilibre rare. Swallow est équilibré et maîtrisé au point qu'il évoque par moments Parasite, dans l'usage qui est fait de la maison, une véritable prison dorée qui a sa propre présence. On se croit dans un thriller mais les ingestions d'objets variés nous emmène dans le genre horrifique, pour qu'ensuite les gros plans sur les visages fassent faire un pas de côté dans le drame intimiste. Il y a mille cinémas dans le film Swallow, de Hitchcock à Lynch en passant par le Rosemary's Baby de Polanski, ce qui participe à le rendre unique.

Autopsie de corps étrangers

Les corps étrangers et problématiques ne sont pas, uniquement, ceux auxquels on pense. Il y a évidemment la bille, dont la rondeur serait presque appétissante, puis la punaise piquante, et la pile et son acide... Les objets que Hunter avale, victime du syndrome de PICA, sont l'expression de son infini mal-être, sur lequel personne ne met de mots. Inspiré de l'histoire de la grand-mère du réalisateur, aussi victime de ce mal, le film Swallow cherche dans la violence du rêve américain et dans sa masculinité les origines de ce comportement. Hunter est une mère porteuse d'un héritier, elle est une potiche, réduite à l'aménagement de la maison. On ne l'écoute pas, et elle doit simplement faire partie de ce paysage idyllique, mais surtout sans le transformer.

Swallow

Le film dénonce ainsi la domination mortifère des hommes, coupable à ses yeux du grave trouble rencontré par Hunter. Les hommes du film sont son beau-père et son mari, respectivement interprétés par David Rasche et Austin Stowell. Tous deux jouent parfaitement la domination inconsciente, l'exercice violent de leur pouvoir d'hommes blancs aisés, sûrs de leur bon droit, et donc à mille lieux de pouvoir se remettre en question. Deux autres hommes apparaîtront dans l'entourage d'Hunter, et auront des rôles déterminants. Les autres femmes, sa belle-mère (Elizabeth Marvel) et la psychiatre Alice (Zabryna Guevara), entretiennent la violence de l'expérience d'Hunter, en n'étant pas vraiment des alliées.

Haley Bennett est une très grande actrice

Swallow est un film qui pénètre profondément au-delà des différentes couches de la vie qu'il filme. La couche de l'apparence, celle de la bienséance bourgeoise, celle des murs de la maison et aussi celle des barrières mentales, enfin celle du corps physique lui-même, en allant chercher les objets ingurgités dans les intestins d'Hunter. Pour incarner ce parcours éminemment intime et violent, l'actrice Haley Bennett est époustouflante. Elle a d'ailleurs reçu pour ce rôle le prix de la meilleure actrice au Festival du film de Tribeca.

Si Carlo Mirabella-Davis est la révélation de cet excellent film, Haley Bennett est son éblouissante confirmation, après son interprétation remarquée dans La Fille du train. Pour surmonter cette maladie de PICA et son mal-être, Hunter va se confronter à ses traumas et reprendre sa liberté, et l'actrice parcourt ce chemin avec brio. La caméra suit avec précision l'évolution de son corps, en alternant les plans moyens, larges, et les gros plans, et l'investissement d'Haley Bennett est total (elle est par ailleurs productrice déléguée du film).

Ainsi, sans s'être vraiment annoncé, Carlo Mirabella-Davis signe avec Swallow un très beau film contemporain et féministe, en se saisissant avec intelligence et précision des violences invisibles faites aux femmes, et une promesse très sérieuse quant à la suite de sa carrière.

 

Swallow de Carlo Mirabella-Davis, au cinéma le 15 février 2020. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Swallow réussit tout ce qu'il propose : un film gracieux malgré la violence et l'aridité de son sujet, un thriller horrifique et féministe, et une interprétation majeure de son actrice principale. Brillant.

Note spectateur : 4.5 (1 notes)