Tár : Cate Blanchett au sommet dans un portrait fascinant

Tár : Cate Blanchett au sommet dans un portrait fascinant

CRITIQUE / AVIS FILM - Cate Blanchett incarne une cheffe d'orchestre aussi brillante qu'autoritaire dans "Tár". Un personnage fascinant, seul et détestable, que Todd Field filme avec une précision remarquable.

Tár : de la gloire à la chute

Todd Field est un cinéaste beaucoup trop rare. Depuis 2001 et la sortie d'In the Bedroom, le réalisateur a signé deux autres films : Little Children en 2005 et Tár. Trois oeuvres à travers lesquelles il s'intéresse au désir et à la frustration, au pouvoir et à la manipulation, ainsi qu'aux conséquences abjectes qu'ils peuvent engendrer.

Tár s'ouvre sur un écran de téléphone qui filme une femme endormie, et qui n'aurait "pas de conscience" d'après les échanges peu flatteurs qui défilent sur le smartphone. Cette femme, Lydia Tár (Cate Blanchett), est une brillante cheffe d'orchestre installée à Berlin qui s'apprête à sortir son ouvrage et à enregistrer un concerto de la Symphonie n°5 de Gustav Mahler. Alors qu'elle est au sommet de sa carrière, un événement tragique vient ternir son image. Dans la tourmente, elle vacille progressivement mais sûrement.

Tár
Lydia Tár (Cate Blanchett) - Tár ©Universal Pictures

L'une des raisons pour lesquelles Tár impressionne autant, c'est parce qu'il parvient à raconter cette chute sans que son personnage n'ait vraiment l'impression de la vivre. Jusqu'au bout, Lydia Tár tente de ne pas fléchir, aveuglée par son arrogance et son absence d'empathie. Mais les signes de son comportement problématique, de son tempérament autoritaire, de son incapacité à entendre les autres et de sa faculté à se croire supérieure sont bien présents.

Ces signes, Todd Field les dévoile de manière plus ou moins discrète à travers une mise en scène d'une précision hallucinante. Il peut aussi bien s'agir d'une main posée de manière condescendante sur une épaule que d'une leçon de morale méprisante adressée à un élève, ou d'une réaction surprise lorsqu'une personne s'adresse à elle sans le moindre rapport de soumission.

L'art des ellipses et de l'enfermement

Todd Field ne montre à aucun moment Lydia Tár aller au bout de ses pulsions, du moins jusque dans la dernière partie du long-métrage. Le cinéaste révèle néanmoins la manière dont la cheffe d'orchestre se sert de son statut pour écarter ou écraser ceux qui pourraient lui nuire. Il s'attarde également sur le génie de la musicienne, extrêmement charismatique lorsqu'elle se retrouve devant son pupitre. Il se focalise surtout sur sa solitude et sur son incapacité à s'ouvrir à son entourage et à lui dévoiler la moindre faiblesse. Quand elle se blesse en tombant dans un escalier, elle fait par exemple croire à sa compagne et violoniste Sharon (Nina Hoss) qu'elle a été agressée et qu'elle s'est battue.

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Lydia Tár (Cate Blanchett) - Tár ©Universal Pictures

Mais derrière le prestige, le talent et la poigne se cachent le vide. Un vide qui envahit l'écran dans une somptueuse photographie grise et une atmosphère métallique, où le moindre élément perturbateur est capable de ruiner la rigueur de cette protagoniste d'abord fascinante, puis détestable. Tár ne supporte pas les bruits extérieurs, l'apparence de sa voisine et le grésillement d'une bouche d'aération qui dérange le silence de l'intérieur de sa Porsche. Tár ne supporte pas grand-chose d'autre qu'elle-même et que les éléments sur lesquels elle a le contrôle, c'est-à-dire à peu près tout.

Et quand des accusations graves émergent, ce contrôle n'est plus possible. Durant la dernière heure, Todd Field multiplie les ellipses pour montrer les différentes étapes de la chute de la musicienne, qui refuse d'admettre qu'elle sombre et ne semble absolument pas perturbée par la notion de culpabilité. Cette construction narrative brillante provoque plusieurs sursauts inattendus et laisse le spectateur sur une fin pathétique et abrupte. Une superbe conclusion où le déni finit de l'emporter sur tout le reste.

Cate Blanchett, glaciale et furieuse

Le long-métrage doit évidemment énormément à Cate Blanchett. Dès les premières minutes durant lesquelles elle donne une conférence, la comédienne fait preuve d'une énergie et d'une force redoutables, tout en laissant échapper plusieurs réactions qui provoquent le doute chez le spectateur. Tár est-elle une artiste tourmentée et totalement absorbée par sa discipline ? Ou est-elle une tortionnaire dénuée de sentiments qui cherche avant tout à entrer dans l'Histoire ? La cheffe d'orchestre est probablement tout cela à la fois et, aidée par la réalisation de Todd Field, son interprète contribue à la rendre indéchiffrable.

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Tár ©Universal Pictures

Tár rappelle ainsi des oeuvres majeures qui dressent le portrait de personnages troubles et fascinants à regarder, de Citizen Kane à Phantom Thread en passant par Raging Bull. Le long-métrage rejoint ces films et reste en tête pendant très longtemps, ne demandant qu'à être revu pour tenter de percer un mystère supplémentaire, de déceler un détail qui serait passé inaperçu et surtout d'admirer un tel travail d'orfèvre.

Tár de Todd Field, en salles le 25 janvier 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Formidable portrait d'une artiste manipulatrice, violente et profondément seule, "Tár" est l'association parfaite entre la mise en scène brillante de Todd Field et l'interprétation monumentale de Cate Blanchett.

Note spectateur : 3 (5 notes)