The Son : Hugh Jackman vulnérable dans un grand mélodrame tragique

The Son : Hugh Jackman vulnérable dans un grand mélodrame tragique

CRITIQUE / AVIS FILM - Après "The Father", Florian Zeller poursuit son exploration du drame familial et de la maladie avec "The Son". S'il n'a pas la bravoure cinématographique de son prédécesseur, et se développe sur une maladie mentale moins spectaculaire, "The Son" est un mélodrame de très haut niveau qui se révèle bouleversant.

Second volet de la trilogie familiale de Florian Zeller

The Father avait la force de l'évidence et signait la naissance de Florian Zeller en tant que cinéaste, après une oeuvre déjà très accomplie en littérature et au théâtre. Son film de 2021 était brillant sur la forme comme sur le fond ou, plutôt, fusionnait les deux dans un saisissant vertige tragique où son spectateur se trouvait tout autant déboussolé que son personnage principal. Couvert de récompenses prestigieuses, dont l'Oscar du Meilleur acteur pour Anthony Hopkins et celui du Meilleur scénario adapté, The Father ouvrait la voie à sa "suite" The Son, mais une voie aussi royale que truffée de pièges. En effet, sur le même canevas du drame familial nourri par une maladie mentale, The Son peut-il faire aussi bien que The Father ?

Nicholas Miller (Zen McGrath) - The Son
Nicholas Miller (Zen McGrath) - The Son ©Orange Studio

Florian Zeller réalise The Son avec une bonne partie de son équipe de The Father, avec Yorgos Lamprinos au montage et Ben Smithard à la photographie, et son co-scénariste et adaptateur Christopher Hampton. Il y a même une apparition d'Anthony Hopkins, rôle principal de son premier film. Si les costumes et les décors ne sont pas créés par les mêmes artistes, il y a une certaine continuité d'univers. On passe de Londres à New York mais la classe sociale reste sensiblement à la même hauteur, celle d'une bourgeoisie cultivée et aisée. La différence fondamentale entre les deux films réside dans la narration, qui est linéaire dans The Son, alors qu'elle ne l'était pas - et c'était tout son enjeu - dans The Father. Sur ce point, en contre-intuition, The Son est sans doute plus difficile à mettre en scène.

Une narration linéaire pour un trouble moins saisissable

Dans The Son, Peter (Hugh Jackman) et Kate (Laura Dern) sont les parents de Nicholas (Zen McGrath). Ils vivent séparés, et Peter a une nouvelle compagne avec qui il vient d'avoir un nouvel enfant. Nicholas vit très mal la séparation de ses parents, en veut à son père, et cette séparation fait partie intégrante de son mal-être. En dépression, Nicholas ne va plus à l'école, ment à ses parents et nourrit des idées noires, même s'il ne les formule pas. Le fait qu'il ne mette pas de mots sur sa dépression, pas plus que ses parents n'y trouvent d'explications et de solutions, fait de ce récit une poursuite vaine d'une terrible réalité, une tentative infructueuse de saisir un mal profond.

The Son
The Son ©Orange Studio

Quand dans The Father la maladie du père était très palpable, écrasante jusqu'à en dicter la narration, dans The Son la maladie du fils est comme un être fantôme, une menace évanescente, une ombre prophétique de malheur. Alors, logiquement, dans The Son, les spectateurs comme les parents assistent de manière linéaire au mécanisme patient, imperturbable et tragique, de la destruction du fils. Formellement, après un thriller complexe au penchant quasi horrifique, on passe donc à un mélodrame à la forme classique. Ce qui, par conséquent, confère beaucoup plus de responsabilités aux interprètes, en charge de sublimer cette proposition basique.

Une star faillible pour The Son

Malgré son titre, Nicholas, le fils, n'est pas le premier rôle de The Son. Son rôle principal est, de nouveau, celui du père, Peter. Celui-ci, interprété par Hugh Jackman, est un homme accompli. D'âge mûr, sportif et élégant, il est un avocat d'affaires si respecté qu'il doit rejoindre l'équipe du candidat à la primaire démocrate américaine. Il vit avec Beth (Vanessa Kirby), une femme plus jeune, dans un bel appartement new-yorkais. C'est à lui que revient de vivre et de transmettre au spectateur l'horreur de la dépression de son fils, qui vient vivre chez lui. Il faut saluer la performance d'Hugh Jackman, star de blockbusters où il incarne souvent des personnages puissants et sûrs de leur force, et qui ici s'illustre dans un registre opposé.

Peter Miller (Hugh Jackman) - The Son
Peter Miller (Hugh Jackman) - The Son ©Orange Studio

Si la situation de Peter a d'abord tout d'enviable, elle devient infernale. Son armure se fend, la peur et la peine le gagnent. Hugh Jackman ne réussit pas vraiment l'incarnation de son personnage durant le premier tiers du film, avec des premières irruptions de vulnérabilité qui paraissent artificielles. Mais peut-être que son personnage lui-même ne saisit pas bien l'ampleur de la dépression de Nicholas... Dans tous les cas, c'est à mesure que The Son se développe que l'acteur y trouve son tempo et devient entièrement Peter.

Lors d'une séquence exceptionnelle et bouleversante où Peter rend visite à son père, incarné par Anthony Hopkins, l'assaut de cruauté de celui-ci finit de le briser, le renvoyant à l'enfant qu'il a été. Peter est un père, mais il est aussi un fils, et le vertige s'actionne : a-t-il reproduit envers Nicholas les erreurs de son propre père ? Est-il devenu son père ? Peut-il comprendre son propre fils avec un père qui ne le comprend pas, lui ?

Une éclosion lente mais spectaculaire

D'abord sur un rythme lent, le développement du personnage s'accélère pour le meilleur, et finalement Hugh Jackman incarne à merveille la figure tragique, jouet et témoin impuissant d'une terrible destinée. Si l'acteur montre d'abord quelques failles dans ce registre, elle finissent par se mêler à celles de son personnage, se subliment, pour une séquence finale dévastatrice.

Autour de lui, rien à redire des actrices Laura Dern et Vanessa Kirby, qui apparaissent en marge mais assurent avec force leurs moments. Elles tiennent des rôles qu'on peut considérer ingrats, dans la mesure où ces rôles ont pour vocation de marquer l'impénétrabilité du drame intime de Nicholas, de rester à sa surface, comme si seul son père Peter possédait a priori une clé. Entre un père et un fils, il y a une matière masculine, un mystérieux drame d'existence qui n'appartient qu'à eux, et c'est ainsi que Florian Zeller le met en scène, laissant les femmes de cette histoire, mères toutes les deux, aux frontières de ce monde.

Kate Miller (Laura Dern) - The Son
Kate Miller (Laura Dern) - The Son ©Orange Studio

On notera évidemment la belle performance de Zen McGrath, qui devait ne pas en faire trop pour rendre l'aspect souvent léthargique de la dépression adolescente. Jouer l'absence au monde est un défi, et il transmet parfaitement par ses silences, ses hésitations et sa fragilité physique, tout le mal-être de son personnage. Zen McGrath incarne le rôle-titre et est fondamental dans la dramaturgie de The Son, mais à l'image des personnages féminins, il est un rôle-support du rôle principal, et remplit idéalement cette fonction.

Un film plus exigeant pour Florian Zeller

Pour traiter de la dépression adolescente de Nicholas, la marge de manoeuvre permise à Florian Zeller est moins large que celle qu'offrait la maladie d'Alzheimer d'Anthony dans The Father. Il y a donc moins de "bravoure" dans la mise en scène de The Son, qui assume son classicisme de part en part. On retient un tremblement de caméra plus accentué lors des scènes de confrontations, caméra qui par ailleurs offre des cadres souvent serrés et fixes sur des personnages centrés. Et comme dans The Father, héritage sans doute de la nature théâtrale et de l'intimité de ces histoires, il n'y a quasiment pas de séquences en extérieur, à l'exception des flashbacks d'un voyage en Corse quand Kate et Peter étaient encore les parents unis et heureux du petit Nicholas.

Après The Father, il était objectivement très difficile de livrer une performance cinématographique du même calibre. Ainsi, The Son fait moins bien, et pourra apparaître à certains égards moins fin que le premier film de son réalisateur. Mais il n'en est pas moins un très beau mélodrame, un brillant exercice de dramaturgie tragique, et une représentation aussi perspicace que bouleversante de la dépression adolescente.

The Son de Florian Zeller, en salles le 1er mars 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Un cran en-deçà de l'immense performance de "The Father", Florian Zeller réussit néanmoins un très beau mélodrame avec "The Son", son second long-métrage et encore adaptation de sa pièce de théâtre. Et ce qu'il perd en cinéma, il le gagne peut-être en émotion, dans cette bouleversante tragédie sur la dépression adolescente. Le casting est brillant, et Hugh Jackman s'y révèle sublime dans un registre dramatique. À voir.

Note spectateur : Sois le premier