The Third Murder : le miroir vertigineux de Hirozaku Kore-Eda

The Third Murder : le miroir vertigineux de Hirozaku Kore-Eda

CRITIQUE FILM - Un an après la chronique familiale de « Après la tempête », le Japonais Hirozaku Kore-Eda transpose la mélancolie inhérente de son œuvre dans « The Third Murder », un film judiciaire obscur où un avocat tente de faire éviter la peine de mort à un homme que tout accable.

En montrant directement le troisième meurtre du titre, dévoilant à  la fois la victime et le coupable du crime, la toute première scène de The Third Murder désamorce tout suspense. Hirozaku Kore-Eda effectue là un revirement assez spectaculaire par rapport à son dernier film. Dans Après la tempête, la majeure partie du film se déroulait avant et pendant cette tempête. Le « suspense » du film résidait dans ce qui allait (ou pas) advenir par la suite : qu’arrivera-t-il lorsque cette famille, recomposée à l’occasion d’une nuit, allait devoir à nouveau se séparer ? C’est tout l’inverse qui se passe ici. Au contraire d'Après la tempête, The Third Murder s’attache à illustrer véritablement ce qu’il advient après le dit meurtre, tout en essayant, par bribes, de déterminer rétrospectivement ce qu’il s’est passé avant celui-ci.

Sortie de route

L’idée est donc, pour Kore-Eda, d’effectuer un virage à 180 degré par rapport à son dernier film. Le drame familial laisse place à un thriller judiciaire où un grand avocat, Tomoaki Shigemori (Masaharu Fukuyama), est chargé de défendre Takashi Misumi (Kôji Yakusho), un récidiviste accusé d’avoir assassiné son patron pour de l’argent et dont ce serait le troisième meurtre. Alors que ce dernier a déjà avoué son crime à la police, il change de version lorsqu’il rencontre Shigemori. Convaincu que l’affaire n’a pas dévoilé tous ses secrets, Shigemori et ses assistants vont enquêter sur le passé de Mismusi afin d’essayer d’expliquer ce meurtre soudain et de lui faire échapper à la peine de mort vers laquelle il se destine.

Il serait dommage de "divulgâcher" les révélations successives du film. Il s’agit, en vérité, du seul intérêt d’un thriller judiciaire qui réside uniquement sur la tension située entre l’incertitude d’une vérité qui ne cesse de changer, et la certitude véritable d'un meurtre (un homme est mort), seul fait avéré de l’histoire et qui le restera. À partir de là, Kore-Eda se situe d’emblée dans une stratégie qui consiste à prendre à contre-pied toutes les évidences successives que peut conclure Shigemori ou le spectateur (vis-à-vis de la narration comme du film en tant que tel), qui finit par n’y comprendre plus grand-chose. Cette confusion, inhérente aux affaires judiciaires au cinéma, est ici décuplée par l’imprévisibilité de l’accusé, Misumi, qui n’arrête pas de changer sa déclaration en fonction des nouveaux éléments apportés par l’enquête de Shigemori.

Labyrinthe mental

Kore-Eda s’occupe ainsi de brouiller au maximum les pistes pour nous faire douter. Ce Misumi, est-il profondément complexe et calculateur ? Ou est-ce juste un opportuniste qui passe son temps à improviser ? La suspension de cette question est étirée dans le film sur plus de deux longues heures qui en paraissent bien plus. L’enquête est alambiquée, inutilement retors et on finit par être, autant que Shigemori, épuisé et lassé face à tant de revirements. Pour combler à cela, Kore-Eda fait, de temps en temps, dévier son film judiciaire en le rattachant à ses thèmes de prédilections : la famille (décomposée), les relations parents/enfants, la solitude d’un père exclu et retranché sur lui-même. Cette enquête ne serait donc qu’un prétexte pour évoquer les sujets chers à son auteur ? Pas vraiment.

Il faudra attendre la toute fin de The Third Murder pour être vraiment persuadé du sens de cette démarche et pour être convaincu que cette affaire judiciaire est bien, pour Kore-Eda l’occasion d’explorer des questionnements encore inédits dans son œuvre. Les multiples face-à-face au parloir entre Shigemori et Misumi donneront à voir des échanges où les fondus enchaînés fusionnant leurs visages viennent opposer visuellement les contradictions et les incohérences d’un récit qui ne demande qu’à être interprété par Shigemori, confus, et par le spectateur, soucieux de donner un sens à toute cette aberrante histoire de meurtre. Car c’est à ce niveau-là que Kore-Eda souhaite vraiment nous amener : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour donner un sens à ce qui n’en a sans doute pas ?

Révélations

C’est le dernier de ces face-à-face qui viendra nous mettre face à cette idée. Une seule ligne de dialogue suffira : une question de Shigemori, une réponse de Misumi, et tout est remis en question. La fracture est vertigineuse et la chute, d’autant plus épatante. Dans ce faux twist final, tout ce que l’on a cru comprendre de cette enquête, tout ce que l’on a pu conclure de ce film au regard de la filmographie de Kore-Eda : tout, absolument tout, est remis sur la table. On ne sait dès lors plus si l’on a assisté à une vaste supercherie un peu trop longue ou si l’on vient de voir un petit bijou réflexif. La réponse importe peu : The Third Murder nous a déjà renversé.

 

The Third Murder de Hirozaku Kore-Eda, en salle le mercredi 11 avril. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Derrière les rouages sibyllins d’une enquête judiciaire qui n’en finit pas, Hirozaku Kore-Eda questionne notre propre manière d’interpréter les individus, leurs actes, mais aussi leurs œuvres. « The Third Murder » est un miroir fascinant.

BILAN TRÈS POSITIF

Note spectateur : Sois le premier