Titane : la poupée de métal enragée de Julia Ducournau

Titane : la poupée de métal enragée de Julia Ducournau

CRTIQUE / AVIS FILM - Julia Ducournau n'a eu besoin que d'un seul film pour se faire une place dans le cœur des amateurs de cinéma de genre. Est-ce que "Titane", son second essai, confirme l'incroyable talent qu'on lui soupçonnait ?

Titane : l'heure de la confirmation pour Julia Ducournau

L'arrivée de Grave en 2017 a fait l'effet d'une bombe. Précédé d'une réputation flatteuse suite à son passage à La Semaine de la Critique, le film a permis à Julia Ducournau de se faire un nom. Reste, maintenant, à faire le plus dur : perdurer. C'est donc animés d'une curiosité non dissimulée qu'on l'attendait au tournant avec TitaneUn énigmatique projet au scénario si difficile à décrire. On se contentera donc de dire qu'il est question de deux personnages : Vincent, un pompier incarné par Vincent Lindon dont le fils a disparu il y a des nombreuses années, et Alexia, une strip-teaseuse portée par Agathe Rousselle.

Des corps cabossés

Julia Ducournau ouvre son second film sur une scène d'accident. Un père réprimande sa fille en conduisant et fait une sortie de route. Alexia, enfant, subie une opération et se fait poser une plaque métallique dans la tête. Pimpée avec une impressionnante cicatrice sur le côté du crâne, elle sort de l'hôpital et prend dans ses bras une voiture. Une étreinte qui traduit un dérèglement. Plus surprenant, même : une affection. Quelques instants plus tard, Alexia devenue plus grande danse sur le capot d'une voiture, devant la caméra d'une Julia Ducournau qui transpire d'une hypnotique énergie sexuelle. La réalisatrice filme un corps qui se plaît à s'exhiber sous les yeux d'hommes admiratifs.

L'anti-héroïne est-elle simplement dans une démarche de strip-teaseuse pour allumer la galerie ou trouve-t-elle un intérêt plus personnel dans ses vigoureux mouvements ? Quelque soit la réponse donnée par le film par la suite, il est effectivement question du corps dans Titane. Julia Ducournau confirme son attirance pour le body horror et, par extension, pour une partie du cinéma de David Cronenberg. Son second essai est blindé de corps que l'on malmène, que l'on abîme.

Titane
Alexia (Agathe Rousselle) - Titane ©Diaphana Distribution

Mutations corporelles et cinématographiques

Durant sa première partie, le film prend un chemin plutôt identifiable en suivant une Alexia portée par un élan meurtrier. Le scénario prend un gros risque en nous mettant aux côtés de ce qui semble être une dérangée du ciboulot. Quel est donc le pacte que l'on passe avec le film ? Faudra-t-il, à un moment, que l'on s'oppose à ce personnage depuis notre position de spectateur ? Julia Ducournau opère alors un basculement dans son œuvre qui change la donne et la fait muter vers quelque chose d'inattendu. Il y a évidemment le corps d'Alexia, sujet à des troubles pour le moins inexplicables, mais également une bascule dans la tonalité.

Ce qui était un film d'horreur devient un drame intime sur deux marginaux qui ont besoin l'un de l'autre. Julia Ducournau, en partisane du genre qui permet de parler de sujets rationnels, peut alors développer toute sa réflexion sur la masculinité et le male gaze. Le film joue à merveille avec le corps d'Agathe Rousselle mais aussi avec celui de Vincent Lindon, ici transformé en Musclor qui se compare à Dieu dans une caserne de pompiers. L'un comme l'autre s'inflige des sévices pour rentrer dans une case. Les transformations des personnages épousent celles du film, objet cinématographique bardé d'influences et creusant dans le même temps sa propre singularité.

Titane
Vincent (Vincent Lindon) - Titane ©Diaphana Distribution

Un film d'amour

Si Titane contient des éléments de cinéma de genre et va même parfois très loin dans certaines idées, c'est aussi un magnifique film sur l'amour. Celui dont on est privé (Alexia a un père qui se refuse de lui donner de l'affection, Vincent a divorcé et n'a plus son fils) et dont le manque provoque des névroses. Celui que l'on finit par accepter, même quand il ne répond pas forcément à nos attentes ou aux normes sociales. Derrière ses multiples mutations, le long-métrage abrite une sensibilité qui vous ravage dans son dernier acte.

À l'époque de La Mouche, David Cronenberg parlait d'un homme-monstre qui perdait l'amour de sa compagne lors de sa transformation. Le nouveau Julia Ducournau, malgré ses grands airs tragiques, apparaît comme une sorte de contre-champ, avec deux freaks qui accèdent à l'affection qu'ils n'attendaient plus. Sous son capot, Titane abrite un cœur de chair et de métal qui vrombit très fort, ainsi que l'éclatante confirmation du talent précieux de sa génitrice.

Titane de Julia Ducournau, en salle le 14 juillet 2021. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Julia Ducournau confirme avec Titane tout le bien que l'on pensait d'elle après Grave. Elle ose davantage, triture les corps et propose un objet de cinéma à la fois sous influence et à la fois totalement revigorant.

Note spectateur : 6 (1 notes)