Triple Frontière : J.C. Chandor jette au feu le rêve américain

Triple Frontière : J.C. Chandor jette au feu le rêve américain

CRITIQUE CINÉMA - Ben Affleck, Oscar Isaac, Charlie Hunnam, Pedro Pascal et Garrett Hedlund font équipe dans "Triple Frontière", un film d'action en territoire sud-américain réalisé par J.C. Chandor. Pour son quatrième essai, il s'offre une sortie musclée sur Netflix.

Un plan est fait pour ne jamais se dérouler à la perfection. Le cinéma nous l'enseigne de film en film. Et celui concocté par Pope (Oscar Isaac) n'échappera pas à la règle. Au courant des activités d'un cartel mexicain, l'ex-soldat des forces spéciales se rapproche de ses anciens amis pour monter une petite équipe capable de braquer un puissant baron. Tous occupés par leur nouvelle vie, ils se laissent néanmoins tentés par ce coup qui pourra financièrement les mettre à l'abri. Sauf que leur opération va mal tourner et immergera les cinq gaillards dans les hostiles territoires sauvages de l'Amérique latine.

J.C. Chandor filme depuis ses débuts des hommes qui se battent pour leur survie. Dans son inaugural Margin Call, c'était de traders à la veille d'un crash qui s'agitaient sans aucune pitié pour ne pas perdre trop de plumes. Il proposait ensuite à Robert Redford dans All is Lost de se débrouiller comme un grand en pleine mer à bord de son voilier endommagé. Et enfin dans A Most Violent Year, Oscar Isaac se confrontait à un environnement gangrené par la violence dans les années 80. Ce Triple Frontière poursuit cet élan thématique en revêtant les atours d'un film d'action testostéroné. Il réunit pour l'occasion un casting de choc, une sorte de version moins beauf des Expendables. La complémentarité entre Ben Affleck, Oscar Isaac, Charlie Hunnam, Pedro Pascal et Garrett Hedlund s'avère royale. Ils trouvent tous leur juste place grâce à un scénario habile dans la caractérisation. Futur père de famille, homme divorcé, boxeur ou instructeur, ils connaissent des fortunes diverses et vivent avec le sentiment que l'Amérique les oublie.

La première heure du film respecte le cahier des charges d'une coriace série B. Mise en place, recrutement et exécution du plan. Les éléments attendus sont à leur place et J.C. Chandor emballe son script avec un vrai savoir-faire. Et surtout, il n'en oublie pas ses personnages pour privilégier l'action. Les deux strates cohabitent avec fluidité, chaque protagoniste dessinant sa singularité psychologique au travers de ses actions. Jusqu'à ce grand tournant, le braquage. Une sublime séquence forgée dans la belle lumière du chef opérateur Roman Vasyanov qui malaxe les principaux dilemmes moraux des personnages face à l'appât du gain - sans négliger une nécessaire tension dramatique. Conventionnelle dans ses mécanismes de narration mais diablement bien exécutée, cette première heure se déroule sans accroc. Quand tout se passe trop bien, les choses ne peuvent pas durer ainsi. Sur le chemin du retour, un malencontreux accident forcent les cinq soldats à s'unir plus que jamais afin de rentrer à bon port avec leur paquet démesuré de billets.

Le film d'action se transforme alors en un film d'aventure anti-spectaculaire qui, avec sa rage intériorisée, saccage un butin se transformant en fardeau à traîner sur des kilomètres. Au commencement, le manque d'argent était un problème. Désormais, c'est son abondance qui l'est. C'est à ce stade que Triple Frontière s'extrait de sa condition d'actionner musclé et salit les derniers rêves de ces soldats littéralement et psychologiquement au bord du gouffre. Les dernières illusions s'évaporent en un nuage de billets ou dans les flammes d'un feu de camp transformé en inhumation du rêve américain. S'ils en sont à ce stade, c'est parce que leur pays offre une perspective d'avenir peu attrayante. Alors qu'ils ont donné beaucoup d'eux, de leur temps, de leur vie, de leur âme, à une patrie freinant des quatre fers pour se montrer reconnaissante. J.C. Chandor n'en avait visiblement pas terminé avec le défectueux système américain et lui remet un taquet ajusté à merveille dans la nuque. Même si son histore s'éloigne géographiquement des USA, elle n'en reste pas moins une attaque cinglante contre une politique ratée.

En récupérant un script que devait mettre en scène Kathryn Bigelow, Chandor s'accapare ce périple pour l'inclure dans sa filmographie avec continuité. Son mélange entre moments de bravoure spectaculaires (le final, le braquage, l'attaque inaugurale) et autopsie d'une désillusion qui a trop duré mène à une conclusion à la fatalité impitoyable qui invite in extenso à désacraliser le poids de l'argent. Certains trouveront cette démonstration un poil démago - ils n'auront pas entièrement tort - mais adresser un tel doigt d'honneur saillant à l'Oncle Sam sous couvert d'un film d'action populaire témoigne d'un vrai panache.

Triple Frontière de J.C. Chandor, disponible sur Netflix à partir du 13 mars 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Avec son casting prestigieux, Triple Frontière continue de creuser les thèmes chers à Chandor.

Note spectateur : 3.18 (8 notes)