Ultra Rêve de Poggi, Vinel, Gonzalez et Mandico : l'art est la manière

Ultra Rêve de Poggi, Vinel, Gonzalez et Mandico : l'art est la manière

CRITIQUE FILM - Sortie en salle de « Ultra Rêve », qui regroupe trois courts-métrages présentés aux deux dernières éditions de la Semaine de la Critique à Cannes : « After School Knife Fight » de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, « Les Îles » de Yann Gonzalez et « Ultra Pulpe » de Bertrand Mandico.

L’assemblage de trois courts-métrages dans Ultra Rêve se présente comme un menu en forme de crescendo alléchant. En entrée : After School Knife Fight du duo Caroline Poggi/Jonathan Vinel (dont le premier long-métrage, Jessica Forever, ne devrait pas tarder à sortir), où des lycéens, membres d’un groupe de rock, se retrouvent pour une dernière répétition avant leurs départs respectifs. En guise de plat principal : Les Îles de Yann Gonzalez, tourné avant Un Couteau dans le cœur et qui s’inscrit dans le même registre du porno-chic romantique. De jeunes gens se laissent guider par leurs nombreux désirs et pénètrent dans des lieux reliés entre eux : un parc dans la nuit, une chambre éclairée par la lune, une scène de théâtre érotique. Enfin, au dessert, la cerise sur le gâteau : Ultra Pulpe, le nouveau court-métrage événement de Bertrand Mandico après Les Garçons sauvages.

Ultra Rêve de Poggi, Vinel, Gonzalez et Mandico : l'art est la manière

Temps électrique

Le premier des trois films, After School Knife Fight, flirte du côté du clip romantique adolescent type Columbine, avec paires de Nike, chaînes en or et autres hoodies colorés en guise d’accoutrements pour des lycéens pâlots qui mangent du cake au milieu des champs. Ce court-métrage, plutôt anecdotique en comparaison à celui qui a révélé le duo Poggi/Vinel (Tant qu’il reste des fusils à pompe, sacré à Berlin en 2014), tente de formuler l'impossibilité et l'incommunicabilité du sentiment amoureux autour d’un dispositif très simple : un lieu, quelques souvenirs, l’idée d’un départ imminent. Vaste sujet pour un tout petit film, joliment réalisé bien que parfois artificiel dans sa façon d’exploiter l’espace. En bout de bourse, Poggi et Vinel arriveront cependant à viser juste dans l'illustration d'une douleur bien connue, celle issue des histoires impossibles de notre adolescence révolue.

Le second, Les Îles de Yann Gonzalez, arpente le terrain du film érotique volontairement déviant. Masturbatoire au sens propre comme au sens figuré, que ce soit par le biais d’une bande de branleurs des bois ou par l’entremise d’une femme nue éclairée par la lune, Les Îles inaugure déjà les quelques vilains penchants d’Un Couteau dans le cœur. Sans pour autant tomber comme celui-ci dans le piège de l’appareillage chic et consensuel, Gonzalez veut faire passer son exercice formaliste et sensuel pour un précis de nostalgie amoureuse, finalement assez premier degré malgré l’exubérance de ses motifs et de ses figures sexuelles. Le délire introductif sublime (un inoubliable ménage à trois entre deux gueules d'ange et un monstre hideux à tête de vulve, qui tourne à la jouissance collective) cède sa place à un petit manuel de sexe triste, où l’on se touche en pensant à un amour déchu. Les Îles paraît alors scindé en deux parties contradictoires : le rêve d’une partouze endiablée et le souvenir névrotique d’un amour passé.

Ultra Rêve de Poggi, Vinel, Gonzalez et Mandico : l'art est la manière

Piège de cristal

Enfin, le troisième, Ultra Pulpe, comme un bouquet final, s’inscrit dans la continuité des derniers courts-métrages de Bertrand Mandico en reprenant une partie du brillant casting des Garçons sauvages (Elina Löwensohn, Vimala Pons, Pauline Lorillard). Une fin de tournage au doux parfum d’apocalypse, un mystérieux babouin viscéral et des femmes réalisatrices, actrices, décoratrices ou maquilleuses qui déblatèrent une poésie verbale raccord avec les formes délirantes au sein desquelles elles déambulent librement. Mais cette fois-ci, et contrairement à After School Knife Fight ou Les Îles, le romantisme du film est plus plastique que sentimental. Bertrand Mandico ne tente pas de faire éclore un mélodrame au sein du chaos qu’il organise comme un savant fou. Encore mieux, il prend du recul sur son propre maniérisme et va jusqu’à mettre en scène la dimension auto-érotique de son cinéma avec humour et dérision, n’hésitant pas à montrer une réalisatrice excitée par la fabrication virtuose de ses images délirantes.

Et s’il manque sans doute le romanesque aventureux et réjouissant des Garçons sauvages à Ultra Pulpe pour en faire un incontournable, on se dit que, face à un spectacle aussi homogène dans sa diversité (là où l’uniformité des Îles de Gonzalez finissait par en révéler la nature disparate et hésitante), Ultra Pulpe se suffisait sans doute à lui-même. Un constat s'impose alors : au-delà de leur manifeste commun, Caroline Poggi, Jonathan Vinel, Yann Gonzalez et Bertrand Mandico boxent dans des catégories différentes, Ultra Rêve en est la preuve. Malgré l'insistance presque névrotique du cinéma français à vouloir systématiquement former des regroupements entre cinéastes de même génération (le groupe Brac, Triet, Peretjatko et Macaigne, plus vraiment d'actualité aujourd'hui) ou exposant des univers a priori similaires (ceux réunis dans Ultra Rêve donc), il vaudrait mieux que leurs cinémas, bien que guidés par des aspirations poético-érotiques communes, tracent leur route séparément pour sortir du piège qui leur est tendu.

 

Ultra Rêve, qui regroupe After School Knife Fight de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Les Îles  de Yann Gonzalez et Ultra Pulpe de Bertrand Mandico, en salle le 15 août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Plus disparate et plus inégal qu'il n'en a l'air, le cocktail d'« Ultra Rêve » met en lumière les différences et les particularités individuelles de ses ingrédients, à défaut d'en affirmer toute la cohérence.

Note spectateur : Sois le premier